Quatre coronavirus sont sur l'image, un en bas à gauche les autres plutôt en haut à droite. Leur centre est rouge et le tour est doré.
SARS-CoV-2 observé en microscopie électronique à transmission (MET). L'image est colorisée artificiellement. © National Institute of Allergy and Infectious Diseases (NIAID)

COVID-19 : des physiciens de l’IN2P3 prêtent main forte aux épidémiologistes

Résultats scientifiques

L’épidémiologie trouve en l’IN2P3 un allié inattendu face au SARS-CoV-2. Giacomo Cacciapaglia (IP2I) et Vincent Breton (LPC), tous deux physiciens à l’institut, ont réalisé des études pour mieux comprendre la pandémie COVID-19. Qu’il s’agisse respectivement d’apporter de nouvelles méthodes grâce à la physique ou simplement des moyens humains face à l’urgence, retour sur cette coopération scientifique inédite.

Prédire le futur…

Entre septembre et octobre, la France rencontrera le pic de la deuxième vague de la pandémie Covid-19. Dès début août, c’est ce qu’indiquait le modèle mathématique élaboré par Giacomo Cacciapaglia et Corentin Cot, chercheurs à l’Institut de Physique des deux Infinis (IP2I) de Lyon en collaboration avec Francesco Sannino de l’Université du Sud du Danemark et l’Université Federico II de Naples.1 Ce modèle, dont les prédictions se vérifient doucement dans l’hexagone, est issu de travaux menés en physique des hautes énergies. Il exploite une méthode particulière et chère aux physiciens : le « Groupe de renormalisation ».

Ces derniers sont confrontés, en physique de la matière condensée et des particules, à des systèmes d’une grande complexité, d’autant plus compliqués à étudier, qu’ils changent d’organisation en fonction du niveau d’énergie qu’ils adoptent. C’est là qu’entre en jeu l’approche du « Groupe de Renormalisation ». Les physiciens réduisent la complexité du système en identifiant un paramètre de l’ensemble qui évolue selon une dynamique proche de celle du système tout entier. En d’autres termes, le paramètre le plus représentatif possible du système. Les scientifiques génèrent ensuite une équation mathématique qui va décrire la variation de ce paramètre en fonction de l’énergie et ainsi remonter aux variations de tout le système. Etonnamment, cette méthode de simplification s’adapte très bien à la pandémie de COVID-19.

Giacomo Cacciapaglia et ses collègues ont établi que pour décrire l’évolution dans le temps de la pandémie, ils disposaient d’un paramètre stable : l’évolution du nombre total de personnes infectées, guéries et décédées inclues. Ils ont ainsi réalisé sur cette base un travail de modélisation à l’échelle d’un pays, décrit dans une précédente étude.2

La particularité de cette nouvelle publication est que la simulation prend en compte les interactions entre pays et qu’il devient alors possible d’en déduire la circulation du virus au sein de l’Europe. « La courbe épidémiologique est plutôt universelle et donc l’équation s’adapte à tous les pays relativement facilement. » observe Giacomo. Il prend en compte les voyages et les contrôles aux frontières. Dans ce contexte épidémique, le Groupe de Renormalisation se démarque des autres modèles par sa simplicité : il se résume en une seule équation aisée à résoudre avec seulement deux variables : le nombre d’habitants d’une région en millions et les interactions (voyageurs) par semaine entre deux régions. Le modèle mathématique est plus amplement décrit dans une nouvelle étude.3

  • 1Cacciapaglia, G., Cot, C. & Sannino, F. Second wave COVID-19 pandemics in Europe: a temporal playbook. Sci Rep 10, 15514 (2020). https://doi.org/10.1038/s41598-020-72611-5
  • 2M.Della Morte, D.Orlando and F.Sannino, Renormalization Group Approach to Pandemics: The COVID-19 Case, Front. in Phys. 8 (2020), 144 doi:10.3389/fphy.2020.00144
  • 3Cacciapaglia, G., Sannino, F. Interplay of social distancing and border restrictions for pandemics via the epidemic renormalisation group framework. Sci Rep 10, 15828 (2020). https://doi.org/10.1038/s41598-020-72175-4

Simulation Vidéo

Vidéo représentant la 1ere vague COVID-19 puis une simulation de la 2nde vague à travers l'Europe.

Audiodescription

La vidéo est une carte de l'Europe. Les vagues épidémiques sont représentées par l'évolution de nuances de rouge dans chaque pays. La première partie de la vidéo représente la 1ère vague telle qu'on la connait, la seconde est la visualisation de la simulation. Ce sont d'abord les pays de l'Est qui la voient arriver en juin : Croatie et pays voisins. Ensuite, en juillet viennent la Suède et la Pologne. Fin juillet début aout : c'est au tour de la Tchécoslovaquie, de l'Espagne, de la Belgique et de la Hollande. Ensuite : Suisse, Norvège, Portugal, France, Allemagne se succèdent au cours du mois de Septembre pour atteindre leur pic en Octobre et ensuite décroître. La seconde vague se termine en Italie et au Royaume-Uni au cours du mois de Novembre. Une nouvelle vague reprend en Pologne et en Suède dès Décembre.

Les paramètres fixes, issus des valeurs de la première vague avec une variation de 15%, sont la fréquence d’infection mesurée en semaines et le nombre total d’infectés par million d’habitants après chaque vague. Mais le modèle reste modulable et s’adapte aux nouvelles données. Il donne une idée des scénarios possibles par exemple en modifiant dans les données de départ les pays les plus touchés. En effet, la prédiction de dates laisse le temps aux gouvernements, entreprises et citoyens d’anticiper et de se préparer à la fois au meilleur et au pire scénario. Attention tout de même : la simulation donne une indication temporelle de la vague mais pas de son intensité. Cette dernière dépend notamment des comportements citoyens.

Deux autres études mêlant physique et épidémiologie, portées par Giacomo Cacciapaglia, sont en révision par des pairs : elles visent à mieux comprendre la diffusion de la pandémie pour trouver des moyens de la ralentir.

… En comprenant le passé

Pour alimenter de tels modèles de prédiction, il faut comprendre les mécanismes d’évolution de la pandémie. C’est ce à quoi ce sont essayés Vincent Breton, chercheur au Laboratoire de Physique de Clermont (LPC) et Laurent Gerbaud, chef du service de santé publique du CHU de Clermont-Ferrand. « C’est une des applications essentielles du travail : alimenter les modèles avec des données sur les premiers clusters français » explique Vincent Breton. Les deux chercheurs ont étudié l’apparition des cas de Covid-19 dans la région du Haut-Rhin en effectuant une comparaison rétrospective d’un questionnaire auprès de la population, de dossiers médicaux et de données de laboratoires d’analyse.1

Graphique avec deux courbes : la ligne continue du dessus représente les données des sondages et celle du dessous les données de services d'urgence. Les lignes pointillées sont les seuils épidémiques.
Dynamiques des cas suspicieux de COVID-19 : moyennes sur semaines glissantes et seuils épidémiques. Un franchissement de ce seuil est observé plusieurs semaines avant l'identification du premier cas COVID-19 officiel de la région. (c) Laurent Gerbeaud et. al.

Croiser ces éléments issus de sources multiples permet d’étudier l’incidence du virus avec une bonne fiabilité. Cela leur a permis de comprendre qu’en Alsace, l’épidémie était déjà installée depuis plusieurs semaines, bien avant le premier cas officiel du 26 février 2020. « Si le rassemblement religieux à Mulhouse a bien aidé à sa propagation secondaire dans toute la France, ce n’est manifestement pas lui qui a implanté l’épidémie dans la région, » concluent les scientifiques.

  • 1Gerbaud, L.; Guiguet-Auclair, C.; Breysse, F.; Odoul, J.; Ouchchane, L.; Peterschmitt, J.; Dezfouli-Desfer, C.; Breton, V. Hospital and Population-Based Evidence for COVID-19 Early Circulation in the East of France. Int. J. Environ. Res. Public Health 2020, 17, 7175.

Contact

Giacomo Cacciapaglia
Chercheur à l'Institut de Physique des Deux Infinis (Lyon)
Vincent Breton
Chercheur au Laboratoire de physique de Clermont (LPC)
Sébastien Incerti
DAS Interdisciplinarité