Etude des réactions neutroniques : la « méthode de substitution » tient ses promesses

Physique nucléaire

Cette méthode envisage de simplifier l’étude des réactions neutroniques sur les noyaux instables. Testée dans l’installation ALTO1 d’IJCLab2 dans le cadre d’une collaboration menée par des équipes du CENBG3 et du CEA-DAM4 Ile-de-France, elle fait à nouveau la preuve de son efficacité en déterminant pour la première fois, simultanément, les sections efficaces induites par neutron de fission et de capture radiative du plutonium 239. Les résultats sont publiés dans Physical Review Letters.

  • 1Accélerateur linéaire et tandem à Orsay.
  • 2Laboratoire des 2 infinis Irène Joliot-Curie.
  • 3Centre d'études nucléaires de Bordeaux Gradignan.
  • 4Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives-Direction des applications militaires.

Créer un noyau identique en masse, en charge et en énergie d’excitation

Étudier les réactions induites par les neutrons, autrement dit les réactions neutroniques, représente un défi pour les scientifiques. A fortiori lorsqu’ils doivent étudier des noyaux instables. Il leur faut manipuler des cibles radioactives très complexes à produire et manipuler, et composer avec un énorme bruit de fond qui complique la mesure des sections efficaces. Entendez par là, la propension qu’aura le noyau d’évoluer vers un état ou un autre à partir de la même excitation initiale.

Pour simplifier ces mesures, ou parfois juste les rendre possibles en laboratoire, les scientifiques expérimentent une parade. Ils miment les effets d’une réaction neutronique en produisant par une voie plus simple, grâce aux faisceaux d’ions, un noyau équivalent en masse, en charge et en énergie à celui que l’on cherche à étudier. Cela s’appelle la méthode de substitution. C’est cette approche que la collaboration emmenée par les équipes du CENBG et du CEA-DAM Ile de France explore depuis plusieurs années sur l’installation ALTO d’IJCLab.

Du plutonium 240 dans un faisceau d’alphas

« Notre objectif est de tester la méthode de substitution. Pour cela nous avons utilisé du plutonium 240 pour déduire les sections efficaces neutroniques du plutonium 239, explique Beatriz Jurado, chercheuse au CENBG et co-autrice de l’étude. Nous exposons une cible de 240Pu à un faisceau de particules alpha qui vont rebondir sur les noyaux de plutonium et les exciter en leur cédant un peu d’énergie au passage. Comme dans le cas d’un noyau de 239Pu qui aurait capturé un neutron avant de fissionner, le 240Pu va alors évoluer, soit vers une émission de rayons gamma – la capture radiative-, soit vers une fission en deux noyaux fils. »

Voilà pour le principe. Dans la réalité les choses sont beaucoup plus compliquées. Notamment parce que l’expérience génère toujours un important bruit de fond gamma provenant de la désexcitation des fragments de fission et qui compromet les mesures. Pour en venir à bout, la collaboration a dû batailler sur tous les fronts de son protocole expérimental. A commencer par l’installation autour de la cible de trois types de détecteurs de nature différente : des détecteurs de silicium chargés de mesurer les alphas diffusés, des cellules photovoltaïques pour enregistrer les fragments de fission et des détecteurs à scintillateur liquide pour surveiller les émissions gamma. Ce trio à l’avantage de faire de la détection en coïncidence et donc de s’affranchir du bruit de fond, mais il permet aussi pour la première fois de mesurer en même temps les deux phénomènes étudiés : la fission et la capture radiative. L’autre tour de force a été de disposer d’une cible de 240Pu la plus pure possible. La solution est venue cette fois du laboratoire de radiochimie d’IJCLab qui a réalisé une cible par électro déposition de 240Pu sur un support de carbone ultrafin.

Le calcul théorique pour remonter aux sections efficaces

A l’issue de la prise de données, l’équipe dispose d’une probabilité pour chacun des deux destins possibles de la réaction à différents niveaux d’énergie d’excitation. Reste encore à faire le lien avec la notion plus complexe de section efficace. C’était le travail de l’équipe du CEA-DAM qui avait en charge cet autre tour de force : réaliser la modélisation théorique des propriétés des états quantiques peuplés par la réaction de substitution sur le 240Pu. La combinaison de ces données théoriques avec les probabilités expérimentales a, in fine, donné des valeurs de sections efficaces pour le 239Pu bien cohérentes avec les mesures directes trouvées dans la littérature (voir la figure 1).

L’étude montre ainsi que cette approche alternative pourra dorénavant être utilisée avec confiance. Une bonne nouvelle pour les physiciens nucléaires qui comptent beaucoup dessus pour produire des données nucléaires sur des noyaux difficilement accessibles, alors qu’ils sont d’intérêt pour les productions innovantes d’énergie nucléaire, ou pour l’étude du cycle de la nucléosynthèse stellaire.

Graphique représentant les sections efficaces du plutonium 240.
Fig. 1 : Sections efficaces de fission (a) et capture radiative (b) du 239Pu induites par des neutrons. Les résultats obtenus avec la méthode de substitution sont indiqués par des lignes bleues continues. Les aires en bleu-ombré indiquent les d’incertitudes associées. Les pointillés noirs indiquent les résultats des mesures directes et les lignes alternant tirets et pointillés représentent les différentes évaluations pour ces sections efficaces.

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Ce travail a été soutenu par le programme français NEEDS « Nucléaire, Energie, Environnement, Déchets, Société » et par la Commission européenne dans le cadre du programme-cadre EURATOM FP7 à travers le projet CHAllenges in Nuclear Data (CHANDA : Projet n°605203).

Laboratoires français impliqués :

  • CENBG (Centre d’études nucléaires de Bordeaux Gradignan).
  • IJCLab (Laboratoire des 2 infinis Irène Joliot-Curie), Orsay.
  • LPSC (Laboratoire de Physique Subatomique et Cosmologie), Grenoble
  • CEA-Cadarache (Commissariat à l’Énergie Atomique-Direction d’Energie Nucléaire)
  • CEA-DAM (Commissariat à l’Énergie Atomique-Direction des applications militaires), Île-de-France.

Contact

Beatriz Jurado
Chercheuse au Centre d'Etudes Nucléaires de Bordeaux-Gradignan (CENBG)
Fanny Farget
Directrice adjointe du GANIL
Jennifer Grapin
Chargée de communication