QUBIC remporte le pari de l’interférométrie bolométrique pour l’observation du fond diffus cosmologique

Astroparticules et cosmologie R&D instrumentation

Après avoir cartographié précisément le fond diffus cosmologique, les scientifiques tentent d'en mesurer la polarisation à la recherche des traces fossiles de l'inflation initiale de l'univers. Pour extraire cet infime signal du brouhaha ambiant, la collaboration QUBIC (QU Bolometric Interferometer for Cosmology) a développé un instrument particulièrement ambitieux et inédit : l’interféromètre bolométrique. Un premier démonstrateur assemblé à l’APC, a passé début 2020 sa première revue « expérimentale ». Les résultats sont très prometteurs. Explications.

À l'âge d’environ 380 000 ans, l’univers devient transparent : les protons et noyaux se combinent avec les électrons pour former les atomes, si bien que les photons peuvent se découpler de la matière chaude et se propager en toute liberté. Ce tout premier rayonnement, appelé « fond diffus cosmologique » ou « CMB » (Cosmic microwave background) a été découvert par hasard en 1964 et a donné la priorité aux modèles basés sur le Big Bang, qui prédisaient l'émission d'un tel rayonnement thermique à l'époque de l'Univers primordial. Aujourd’hui observable dans le domaine des micro-ondes, ses propriétés sont une source d'informations précieuses. « C’est comme une photo en super haute définition de la toute petite enfance de l’univers » explique Jean-Christophe Hamilton, chercheur à l’APC et porte-parole de la collaboration QUBIC. « Imaginez un paléontologue qui, au lieu de déterrer quelques os fragmentés de dinosaures, tomberait soudain sur un film en 3D du jurassique ! »

Fond diffu cosmologique
Carte du fond diffus cosmologique sur la totalité de la voûte céleste obtenue avec le satellite ESA Planck [https://www.cosmos.esa.int/web/planck/picture-gallery]

Comme souvent dans les grandes avancées scientifiques, la découverte du CMB pose encore plus de questions qu’elle n’en a résolues. Grâce aux avancées technologiques, son observation s’est affinée, jusqu’aux dernières données en date collectées par le satellite Planck et une pléiade de télescopes au sol. Capable de détecter d’infimes fluctuations de température sur la carte, ils ont permis des avancées magistrales sur la composition de l’univers et son évolution dans ses premiers instants. Il est maintenant question de franchir une nouvelle frontière passionnante : mesurer de façon plus précise la polarisation du CMB.

Valider formellement l'existence de la période d'inflation

La polarisation de la lumière caractérise la direction dans laquelle oscille le champ électrique de l’onde électromagnétique. On peut la déterminer à l’aide de deux détecteurs décalés de 90°, ce qui permet d’observer les directions privilégiées de la polarisation des photons : la polarisation en mode E est radiale ou tangentielle, celle en mode B en tourbillon. Le CMB étant en partie polarisé, la détection du mode B primordial est une nouvelle étape à franchir et pourrait apporter des réponses définitives à certaines théories. Celle de l’inflation met en place des mécanismes de fluctuations quantiques dans les champs primordiaux, et prédit différents types de perturbations, dont les perturbations tensorielles qui seraient dues aux ondes gravitationnelles primordiales. Celles-ci auraient engendré des vibrations dans l’espace-temps, magnifiées par l’inflation, qui conduisent à imprimer le mode B dans la polarisation du rayonnement du fond diffus. On comprend alors tout l’intérêt de détecter ces fameux modes B : leur mesure précise peut aboutir à la validation formelle de l’existence de la période d’inflation et déterminer ses échelles d’énergie. Autant dire que c’est un des Graal actuels de la cosmologie, et que sa conquête sera semée d’obstacles.

Le premier est l’extrême faiblesse du signal attendu : on parle des quelques dizaines de nano kelvin à repérer sur un fond évalué à 3K, autant dire des aiguilles dans une botte de foin. De plus, des observations ont montré que les émissions d'avant-plan produites par notre propre galaxie (poussières, rayonnement synchrotron des électrons relativistes dans le champ magnétique interstellaire) sont significativement polarisées elles aussi, et peuvent masquer le signal déjà infime. Le seul espoir de soustraire ces émissions parasites est de mesurer la polarisation dans un grand nombre de fréquences différentes, pour mieux isoler ces émissions d’avant-plan.

La sensibilité des bolomètres et la pureté de mesure de l’interférométrie

Face à ce double défi, la collaboration QUBIC a mis au point un concept technologique innovant : l'interférométrie bolométrique, une alternative de pointe par rapport aux technologies classiques d’imagerie directe utilisées jusqu’ici. L’idée originale date du début des années 2000 et les physiciens français ont joué un rôle moteur dans son exploration, en particulier au laboratoire millimétrique de l’APC et à l’IJCLab, où a bouillonné une forte activité instrumentale. Les corrélateurs employés d’ordinaire en interférométrie ont ici été remplacés par des bolomètres, offrant à QUBIC la sensibilité des bolomètres et la pureté de mesure de l’interférométrie. De plus, la précision des bolomètres utilisés a été poussée jusqu’à une sensibilité incroyable, notamment grâce à l’expertise de Michel Piat, enseignant-chercheur à l’APC et responsable scientifique de l'instrument QUBIC.

RésultatsExpQUBIC
Lobe synthétique de QUBIC mesuré (à gauche) et attendu (à droite) pour différentes fréquences accessibles à QUBIC.

Surtout, QUBIC crée via une astuce optique la possibilité d’observer le ciel sur deux bandes de fréquences (150 et 220 GHz) pour les séparer ensuite au minimum en 5 bandes. Cette technique inédite permettra la soustraction des fameux avant-plans, un point essentiel. On aboutit donc à un instrument différent des autres observatoires du domaine. « La sensibilité et la statistique de l’instrument QUBIC déjà construit seront pour le moment moindres que certains d’entre eux, concède Jean-Christophe Hamilton. Mais l’approche différente des effets systématiques et de la soustraction de l’avant-plan pourrait être décisive pour la découverte ou la confirmation d’un signal attendu extrêmement faible. Il sera ensuite aisé et comparativement peu couteux d’accroître la sensibilité de QUBIC, pour atteindre une sensibilité ultra compétitive »

Un grand potentiel pour la cosmologie

Construit en collaboration avec des laboratoires italiens, argentins, irlandais et britanniques, le démonstrateur technologique a été intégré à l’APC à Paris en 2018. Identique à l'instrument nominal mais avec moins de détecteurs et de voies d'interférométrie, les objectifs affichés pour le démonstrateur ont été en grande partie validés lors d'une revue IN2P3 et INFN. Le rapport a souligné l’innovation apportée par ce démonstrateur technologique pour l'interférométrie bolométrique, et son grand potentiel pour la cosmologie.

Pour en savoir plus

Le site consacré à QUBIC

La publication sur arXiv : QUBIC: Exploring the primordial Universe with the Q\&U Bolometric Interferometer

 

Contacts QUBIC :

Jean-Christophe Hamilton
Porte-parole de l’expérience QUBIC, chercheur à l’APC
hamilton@apc.univ-paris7.fr

Stefanos Marnieros
Chercheur à IJCLab
stefanos.marnieros@csnsm.in2p3.fr

Michel Piat
Physicien responsable de l’instrument, Professeur de l’Université de Paris, enseignant-chercheur à l’APC
piat@apc.in2p3.fr

Contact

Emmanuel Jullien
Responsable du service communication de l'IN2P3
Berrie Giebels
Directeur-adjoint de l'IN2P3