Une nouvelle technique pour étudier des noyaux à vie courte

R&D instrumentation

L'équipe d'ALTO à Orsay a produit un faisceau très pur d'Etain 134 radioactif (134Sn) à demi-vie courte là où toutes les autres tentatives par la technique ISOL classique avaient échoué jusqu'à présent. L'exploit tient à la sulfuration des noyaux qui accélère l’extraction et permet une étude rapide avant désintégration. Cette technique promet d'élargir la gamme des noyaux exotiques accessibles avec la méthode ISOL.

La sulfuration accélère l’extraction des noyaux et purifie les faisceaux

L'idée a germé lorsqu'à plusieurs reprises, des contaminations ont produit des molécules de sulfure d'étain dans les expériences de production de faisceaux radioactifs avec la méthode ISOL, une méthode où les ions radioactifs sont produits à l’aide d’une cible d’uranium et sont ensuite extraits, ionisés et séparés pour être étudiés. Clairement l'association Soufre/ Étain donnait une molécule très stable et beaucoup plus volatile que l'Étain métallique seul.

Pourquoi dans ces conditions ne pas utiliser cette propriété pour accélérer l'extraction des noyaux d'Étains radioactifs afin d’avoir le temps de les étudier avant leur désintégration ? En effet, certains isotopes générés ont une durée de vie trop courte et leur extraction est trop longue pour espérer les étudier dans la foulée. Or ce sont ces noyaux instables et fugaces que les scientifiques cherchent à observer pour mieux comprendre les phénomènes qui régissent la cohésion des noyaux. L'Étain 134 (134Sn) est de ceux-là. Ce noyau très proche de l’Étain doublement magique 132Sn (50 protons, 82 neutrons) a une demi vie de 1,05 seconde, trop courte pour la technique ISOL classique.

Un protocole créé pour sulfuriser les noyaux d’Étain

Pour mettre en place un protocole de sulfuration, une collaboration s'est mise en place avec l’Institut de physique nucléaire d’Orsay (IPNO), le GANIL, CERN-ISOLDE et INFN-LNL (1). Le travail de développement conduit sur plusieurs années a fini par payer. « Nous avons créé un système d'injection très précis de Soufre 34 (34S) sous forme gazeuse dans l'enceinte qui abrite la cible d'uranium fissile, et où se forme l'Étain radioactif » explique Maher Cheikh Mhamed ingénieur de recherche et responsable du groupe R&D Cibles et sources d'ions à l’IPNO. « Les noyaux d’Étain réagissent donc dès leur formation avec le Soufre et ressortent sous forme moléculaire Étain+Soufre (134Sn34S) beaucoup plus vite de la cible ».

Sans perdre de temps ces molécules sont ionisées, séparées et isolées dans un faisceau pour être étudiées. C'est ainsi que l'équipe a réussi pour la première fois à obtenir et observer un faisceau 134Sn34S. Mieux encore, ce faisceau est d'une pureté totale, dépourvu de contaminants (voir le spectre ci-dessous appliqué à l’isotope 133 de l’Étain). Autre observation, le facteur SnS/Sn augmente à mesure que les noyaux sont de plus en plus exotiques. En d'autre termes, plus les noyaux seront exotiques, plus ils sortiront facilement. Le succès est complet et les chercheurs et chercheuses réfléchissent déjà à étendre son utilisation, notamment aux noyaux exotiques du germanium.

 

  1. Travail réalisé dans le cadre de la tâche BeamLab de la JRA EURISOL du projet européen ENSAR2.
Spectre purification de l'étain 133 (133Sn)
Démonstration de l’effet « purifiant » de la sulfuration dans le cas d’un faisceau d’Étain 133(133Sn) : en bleu, le Spectre d’émission gamma pour la masse 133 obtenu avec la technique d’extraction classique. En rouge, le spectre d’émission gamma pour la masse 167 (133 + Soufre 34) obtenu avec la sulfuration. Le contaminant isobarique antimoine 133 (133Sb) a bien été supprimé par la sulfuration. Une augmentation nette de la production d’Étain 133 est observée par la voie de sulfuration. Le même effet agit pour l’Étain 134 mais cette comparaison n’est pas possible puisqu’il n’est pas possible de le produire par la technique classique.

 

Contact

Fanny Farget
Directrice adjointe du GANIL
Emmanuel Jullien
Responsable du service communication de l'IN2P3
Maher CHEIKH MHAMED
Ingénieur de recherche et responsable du groupe R&D Cibles et sources d'ions à l’IPNO