Karim Trabelsi, sur la vague des mésons B

Portrait

Karim Trabelsi, directeur de recherche au Laboratoire de l'accélérateur linéaire, a été nommé en juillet dernier porte-parole adjoint de la collaboration Belle II. Retour sur une vie consacrée aux mésons B.

Une irrésistible lame de fond a emporté Karim Trabelsi alors qu’il était encore étudiant : la course à l’étude de la désintégration des mésons B, des particules très fugaces dont l’un des deux quarks est un quark b. C’était en 1994. Il préparait alors un DEA au Centre de physique théorique (CPT) à Marseille. Dans le bâtiment d’en face, une bande de joyeux chercheurs du tout jeune centre de physique des particules de Marseille (CPPM) viennent régulièrement leur donner des cours. "On les voyait heureux et enthousiastes, et ça donnait réellement envie de les rejoindre" se remémore Karim Trabelsi. Ces scientifiques travaillent sur l'expérience ALEPH au Centre européen de recherche nucléaire (CERN) et ils cherchent à débusquer les fameuses désintégrations sans charme du méson B censées, selon le modèle standard, être porteuses de violation de symétrie CP. Bien sûr, la traque n'en est qu'à ses prémices et le collisionneur LEP qu’ils utilisent, optimisé pour débusquer les bosons Z et W, n’est pas optimisé pour la conduire. Résultat, à la fin de sa thèse préparée au CPPM, le jeune chercheur n’a observé que des limites et pas le moindre pic révélateur d’une désintégration de mésons B. Mais le principal est acquis. Il est pris dans la vague.

Usine à B

Pas étonnant que quelques mois plus tard on le retrouve à Tsusuka au Japon sur le campus de KEK, à s'activer autour de ce que les scientifiques baptisent une « usine à B ». Ce nouvel instrument en cours de mise en place associe le détecteur de particules Belle avec un collisionneur électrons/positons « KEKB » précisément conçu pour engendrer des mésons B à haute dose et dans une configuration propice à l’étude de leur désintégration. Quand il débarque, l’expérience est encore à deux ans du début des prises de données et Karim Trabelsi retrouve cette même effervescence qui animait les chercheurs du CPPM, ce même enthousiasme qui entoure une nouvelle quête scientifique. Il se prend au jeu. Parti là-bas pour une mission, il s’y installe pour un postdoctorat et ne quittera plus jamais l’expérience. La vague du méson B monte et l’emporte avec toute la collaboration Belle jusqu'à la première mesure de violation CP (matière/antimatière) en 2001, puis la première mesure directe de violation à l'été 2004.

Après un second postdoctorat le chercheur est accueilli par l'équipe américaine de Belle. La vague du B le conduit ainsi au paradis des surfeurs sur l’île d’Hawaï, à l’université en tant que chercheur. En 2006, il revient à Tsukuba et y décroche un poste de professeur assistant puis professeur associé à KEK qu’il occupera jusqu’en 2018. Ce n’est que 20 ans après son départ de Marseille, qu’il pose enfin ses valises en France. Il s’établit au LAL à Orsay avec la dynamique équipe Belle II (expérience qui succède à Belle) fraîchement constituée et un statut de directeur de recherche idéal pour se consacrer à plein temps aux mésons B. La consécration arrive un an plus tard lorsqu’il est nommé porte-parole adjoint de la collaboration Belle 2. "Karimou", comme prononcent les japonais, a atteint le sommet de la vague. Il n’en est pas peu fier, mais au passage il récolte une grosse pression sur les épaules.

Deux ans pour mettre Belle II sur orbite

"Le porte-parole m'a choisi en me confiant la mission de mettre Belle II en orbite le plus vite possible" explique-t-il. "Dans deux ans au plus tard l'instrument doit être sur les rails du succès." Un vrai défi. L'objectif de Belle II est en effet de multiplier les collisions d'un facteur 100 par rapport à Belle et rien ne prouve que les paris faits depuis plus de 10 ans pour améliorer cette symbiose unique accélérateur/détecteur vont véritablement marcher. La mise en route de l’expérience en 2018 a permis de valider le bon fonctionnement des instruments, mais maintenant tout reste à faire. « Un nouveau détecteur, il faut le comprendre, le calibrer. Il faut analyser le bruit de fond généré par l'accélérateur, le réduire, et s’en affranchir" détaille l’expert. Surtout il faut domestiquer l’accélérateur qui est encore loin de son objectif de produire 100 fois plus de collisions. « Un an après sa mise en route son efficacité a rattrapé celle de l’accélérateur précédent. Mais il va falloir lui consacrer encore beaucoup de temps pour progressivement le focaliser et augmenter les courants. » note le scientifique qui connait sa machine sur le bout des doigts.

Il a fait du chemin l’adolescent nantais fasciné par les histoires d'Hubert Reeves. Pourtant lorsqu’il jette un regard en arrière il estime avoir eu beaucoup de chance. « J'ai vraiment fini ma thèse au bon moment. Quand toute cette physique du méson B commençait. Le domaine est si porteur que je n'ai jamais eu à m'inquiéter du futur de mes recherches. D’autre part, je suis un homme de terrain et je me sens particulièrement bien dans cette physique très expérimentale, où le travail ne s'arrête jamais, où il y a toujours des choses à améliorer, d'autres à prévoir pour des versions futures, et où les données ne cessent de s’accumuler » confie le chercheur. « La recherche expérimentale vit par rapport aux données et j’aurais eu du mal à travailler sur des expériences où il faut attendre deux décennies avant de voir les premiers résultats ».

Désormais la vie de Karim Trabelsi s'inscrit entre Orsay et le Japon où il passe environ 1/4 de son temps. Il sait que les attentes sont grandes, que tous les physiciens guettent avec impatience les signes de nouvelle physique qui pourraient émerger de Belle II. Promis il ne les décevra pas. La vague pourrait bien devenir un tsunami.