Vue d'artiste du tétraquark Tcc+, composé de deux quarks c et de deux antiquarks (u et d). Image: D. Dominguez/CERN

Entretien avec Jean-Marc Richard : « Nous savions que la mise en évidence d'un tétraquark "particulièrement charmant" serait difficile »

Résultats scientifiques Physique des particules

La collaboration LHCb au CERN a annoncé en juillet dernier avoir observé une nouvelle particule exotique constituée de deux quarks lourds et deux antiquarks légers. Baptisée Tcc+, elle a été prédite 40 ans plus tôt par une équipe de théoriciens dans laquelle officiait Jean-Marc Richard. Aujourd'hui chercheur émérite à l’IP2I, Jean-Marc Richard répond à nos questions sur cette découverte.

La découverte

La particule Tcc+ tient sa stabilité de son contenu unique en quarks : deux quarks charmés lourds et deux antiquarks légers (u et d).  Plusieurs tétraquarks ont été découverts ces dernières années, mais il s’agit du premier tétraquark à contenir deux quarks c. Cependant, on ne sait pas encore exactement comment cet objet est assemblé. Cette découverte aidera les physiciens et physiciennes nucléaires à mieux comprendre le fonctionnement interne des grands noyaux atomiques, qui sont actuellement trop complexes pour être décrits par les lois fondamentales de la physique.

Les premiers travaux théoriques étudiant cette particule datent de 1981 et ont été initiés par Jean-Marc Richard, chercheur émérite à l’IP2I (à l’époque maître-assistant à l'université Pierre et Marie Curie et en détachement au CERN), Jean-Pierre Ader (Université de Bordeaux) et Pierre Taxil (Centre de Physique Théorique de Luminy, Université de Neuchâtel à l’époque). Après 40 ans, leurs modèles peuvent enfin se confronter aux données expérimentales.

Quelle a été votre première réaction quand vous avez appris la découverte de la particule Tcc+ en juillet dernier ?

J’ai évidemment été très content... mais surtout très surpris car je ne savais pas que la collaboration LHCb était en train de travailler sur cet état !

Vos premiers travaux théoriques sur le sujet datent de 1981. À l’époque, le projet LHC n’était même pas encore envisagé. Pensiez-vous qu’une telle particule pourrait être mise en évidence expérimentalement ?

Nous savions que la mise en évidence serait difficile et qu'il faudrait être patient. En revanche, nous n’avions pas forcément besoin du LHC pour produire une telle particule. D’ailleurs, on peut s’attendre à la détecter dans l’expérience Belle II, en cours au Japon, si les scientifiques de la collaboration s’y intéressent. Les collisions d'ions lourds vont sans doute permettre de détecter aussi cette particule. Il a plusieurs fois été question de lancer  la recherche d'exotiques lourds au Collisionneur d'ions lourds relativistes (RHIC aux États-Unis) mais il aurait fallu ajouter des éléments au détecteur et faire passer la physique des quarks lourds devant des programmes prioritaires dans le cahier des charges de l'expérience, donc cela ne s’est pas fait.  

Quelles sont selon vous les perspectives scientifiques ouvertes par cette découverte ?

Ce qui serait intéressant, ce serait de découvrir maintenant les tétraquarks Tcb et le Tbb, deux autres tétraquarks qu’on suppose également stables et qui se désintégreront faiblement. Nous avons déjà travaillé sur le sujet et nous pensons que le Tbb aura une durée de vie beaucoup plus grande que les baryons [particules formées de trois quarks] à double beauté bbu et bbd. Ce sera un nouveau chapitre pour étudier la désintégration des saveurs lourdes.

Vous connaissez bien le CERN, pour y avoir été détaché au service de physique théorique, mais avez-vous déjà visité l’expérience LHCb et quel est votre lien avec l’expérience ?

J'ai déjà visité Alice, CMS et tous les expériences de LEAR quand j'étais au CERN et je travaillais sur les antiprotons de basse énergie, mais je n'ai encore pu visiter l'expérience LHCb ! En revanche j'ai eu beaucoup de contacts avec ceux qui y travaillent, en particulier les groupes du LPNHE à Paris, de IJCLab à Orsay et du LPC à Clermont-Ferrand où j'ai donné des séminaires. Je me souviens d’un séminaire interne à LHCb il y a assez longtemps, alors que le LHC était encore en construction, où je parlais des hadrons exotiques. Plus récemment, en 2014, la collaboration LHCb a organisé un atelier sur les baryons, et nous avons été plusieurs à insister sur la priorité à donner aux baryons à double charme qui ouvrent aujourd’hui la voie aux tétraquarks à double charme. Je pense que ce colloque de 2014 a été très utile.

Et maintenant ?

J’organise un colloque dédié aux tétraquarks charmés dans mon laboratoire IP2I à Lyon, avec Anne Ealet et Antonio Uras en novembre prochain. Il pourra se suivre à distance, si vos lecteurs et lectrices sont intéressé·es d’y assister. Nous y inviterons notamment Luciano Maiani qui avait prédit le quark charmé avec Jean Illiopoulos et Sheldon Glashow, et Robert Jaffe qui a été un pionnier des multiquarks dans les années 70.

Jean-Marc Richard à l'Institut de physique des 2 infinis de Lyon.© CNRS/IN2P3/IP2I

Contact

Jean-Marc Richard
Enseignant-chercheur émérite à l’Université Claude Bernard Lyon 1 (IP2I)
Laurent Vacavant
IN2P3 deputy scientific director for particle and hadronic physics
Perrine Royole-Degieux
Chargée de communication