Stephan Beurthey : « Les scientifiques réalisent que la valorisation peut faire partie de leur quotidien »
Comment en êtes-vous arrivé à piloter la valorisation à l’IN2P3 ?
Je suis un peu touche à tout. J’ai travaillé 10 ans chez Renault, en tant que motoriste sur du pilotage de moteurs et l’électronique liée aux moteurs. J’ai aussi beaucoup travaillé sur la dépollution et à la réduction de la consommation des moteurs. En parallèle, j’ai fait une thèse dans les matériaux à l’école polytechnique. A la fin de ce projet, j’ai eu envie de voir autre chose et je suis parti au CPPM pour m’occuper du service mécanique. J’y ai découvert le projet KM3Net. Ce télescope est au fond de la mer et il faut le connecter au moyen de connecteurs très chers issus de l’industrie « oil & gaz ». C’est en développant un système moins cher que mon aventure avec les startups a commencé. Le système de connexion que j’avais inventé intéressait les entreprises qui travaillaient dans les énergies renouvelables, marines notamment. C’était une époque où il y avait un fort intérêt pour la fabrication d’énergie via les hydroliennes. Et donc je suis parti dans une aventure avec EDF, Comex ou encore Nexan, afin de développer ce connecteur. C’est moi qui allais chercher les entreprises, à l’époque ça ne se faisait pas trop. Le projet a plutôt bien marché jusqu’à ce qu’en 2019, les gouvernements décident d’investir massivement dans l’éolien flottant et beaucoup moins dans les hydroliennes. Le marché ayant disparu, l’entreprise que nous avions créée a fermé. C’est à ce moment que l’on m’a proposé cette mission au CNRS sur la valorisation.
Comment est-ce que vous définiriez ce que l’on appelle la valorisation ?
La valorisation est une sorte de terme fourre-tout. On y met tout ce qui est en relation avec le monde socio-économique. On peut résumer cela par le transfert de compétences, de savoir-faire, de recherche vers d’autres acteurs que le CNRS. C’est une définition un peu floue, et j’ai essayé de donner d’autres termes qui soient plus explicites. Je mets en avant quatre types de valorisation : le partenariat, typiquement les collaborations public/privé ; l’innovation technologique, lorsque l’on crée des produits ou des services pour les transférer vers le monde socio-économique ; les prestations, lorsque l’on vend à un industriel ou au monde socio-économique un service ; et enfin, les transferts, qui consistent à vendre du savoir-faire, des technologies, des licences ou des brevets. Pour les partenariats et l’innovation, on va créer des connaissances, tandis qu’avec les prestations et les transferts, on va vendre nos compétences, notre savoir-faire ou notre propriété intellectuelle. Bien-sûr, il est possible de mélanger les différents types de valorisation, on peut collaborer avec une entreprise puis faire une prestation.
Est-ce que la valorisation est bien développée à l’IN2P3 ?
La politique de valorisation à l’IN2P3 est ancienne et date au moins des années 90. Nous sommes par ailleurs le premier institut à avoir mis en place les correspondants valorisation, c’est-à-dire des personnes intégrées aux laboratoires capables de conseiller les chercheurs ou chercheuses souhaitant faire de la valorisation. Par ailleurs depuis très longtemps à l’IN2P3 nous faisons des prestations, car nous avons des équipements et des compétences qui intéressent les industriels. Mais ces pratiques ne sont pas très répandues, car le cœur de métier de l’IN2P3 n’est pas la valorisation, mais la recherche. Cependant, la situation est en train de changer au niveau du CNRS et en particulier à l’IN2P3. Les scientifiques commencent à comprendre que la valorisation peut faire partie de leur quotidien et que ce n’est pas quelque chose de négatif. Souvent le véritable obstacle, c’est la méconnaissance de ce qu’est véritablement la valorisation, d’où mon rôle.
Au niveau de l’IN2P3, qu’est-ce que la valorisation apporte ?
De manière générale, la valorisation augmente la visibilité de l’institut en apportant des réponses à des besoins sociétaux actuels. L’intérêt existe aussi pour notre recherche. Dans le cadre des collaborations de recherche, la valorisation peut créer des connaissances ou des équipements qui vont intéresser les industriels mais aussi l’institut. On peut ainsi développer notre recherche en synergie avec les industriels dans un esprit gagnant-gagnant. Les prestations ou les transferts peuvent apporter un retour financier à l’institut, mais aussi permettre de développer des plateformes. Dans le cas de l’innovation, on développe de la propriété intellectuelle qui sera ensuite transférée. Enfin, pour les personnes qui se lancent dans l’aventure, la valorisation leur fait découvrir la culture d’entreprise. C’est généralement très motivant.
Est-ce que vous auriez un exemple phare de mise en œuvre de la valorisation à l’IN2P3 ?
Je mets souvent en avant un exemple de collaboration avec un équipementier et assemblier industriel français. Dans ce cas, IJCLab a transféré le savoir-faire de l’assemblage de cavités accélératrices, des éléments impliqués dans la fabrication d’accélérateurs de particules, vers l’entreprise. Ce transfert a permis au laboratoire de se libérer du temps de recherche pour faire des développements technologiques.
Comment s’organise concrètement la valorisation au sein de l’IN2P3 ?
Dans presque chaque laboratoire, il y a des correspondants valorisation dont le travail consiste à aider les personnes tentées d’en faire. Ils sont au contact du terrain et connaissent les laboratoires, les personnes, les techniques. Ils sont donc les mieux placés pour détecter et aiguiller les projets de valorisation, aider à trouver les financements et accompagner les personnels au bout de leurs projets. Dans tout ça, mon travail est d’animer ce réseau afin qu’il y ait un échange d’informations, et que nous montions tous ensemble en compétences.
Quel est concrètement le travail d’un correspondant valorisation ?
Le travail peut aller dans les deux sens. Soit un scientifique porteur d’un projet sollicite un correspondant valorisation pour être aiguillé. Soit c’est l’inverse. Dans ce cas c’est le correspondant valorisation qui s’adresse aux scientifiques, justement parce qu’il connait leurs travaux. Le correspondant valorisation consiste donc principalement à repérer, aider et aguiller. Mais il a aussi un autre rôle : celui de faire connaître dans son laboratoire les outils de valorisation existants. Il a aussi un rôle de médiateur.
Quelles actions sont prévues pour stimuler la valorisation au sein de l’IN2P3 dans les prochaines années ?
Ce qui a déjà été mis en place, depuis mon arrivée en 2022, c’est une base de données, régulièrement mise à jour, de la valorisation au sein de l’IN2P3. De la même façon, on a mis en place un répertoire des agents qui aimeraient faire de la valorisation. Mais le grand chantier sera d’améliorer la perception qu’ont les agents de la valorisation. Souvent, elle n’est pas très bonne et représente un frein. La première étape pour ce chantier, c’est évidemment de définir au mieux ce qu’est réellement la valorisation, ce sur quoi je suis en train de travailler. La communication autour de la valorisation et la mise en valeur de nos réalisations est aussi un axe de travail et ses interviews en sont une première brique. Tous les ans également, nous allons publier un almanach de tous les projets de valorisation recensés à l’IN2P3. Enfin, pour impliquer tous les acteurs dans un processus de co-construction j’ai mis en place un échange annuel avec les directions des laboratoires et la direction de l’IN2P3 autour de la valorisation.
Propos recueillis par Fabien Houy