DESI a réalisé la plus grande carte en 3D de notre Univers jamais produite à ce jour.
DESI a réalisé la plus grande carte 3D de notre Univers jamais produite. Crédit : Claire Lamman/DESI collaboration; custom colormap package by cmastro

Les premiers résultats de DESI constituent la mesure la plus précise de l’expansion de notre Univers

Résultats scientifiques Astroparticules et cosmologie

Les scientifiques travaillant sur le Dark Energy Spectroscopic Instrument (DESI, instrument spectroscopique pour l'énergie sombre) ont réalisé la plus grande carte en 3D de notre Univers et en ont tiré une mesure de pointe de l’énergie sombre, cause mystérieuse de son expansion accélérée.

Principaux points à retenir

  • DESI a cartographié les galaxies et les quasars avec un niveau de détail sans précédent afin de produire la plus grande carte tridimensionnelle de l'Univers jamais réalisée et mesurer la vitesse à laquelle l'Univers s'est étendu sur les 11 derniers milliards d'années.
  • C'est la première fois que les scientifiques retracent l'histoire de l'expansion de l’Univers jusqu’à cette période lointaine avec une précision inférieure à 1 %, offrant ainsi un puissant moyen d'étudier la nature de l'énergie sombre. 
  • Avec seulement un an de données, DESI a dépassé toutes les cartes 3D précédentes combinées, issues de 20 ans d’observations, et a confirmé les bases de notre meilleur modèle de l'Univers - avec toutefois des pistes prometteuses à explorer avec plus de données.

Avec 5 000 petits yeux robotisés qui tapissent le plan focal du télescope Mayall installé au sommet de l’observatoire Kitt Peak en Arizona, les chercheurs peuvent regarder dans le passé et dérouler l’histoire de l’Univers sur les 11 derniers milliards d'années, quand on estime l’âge de l’Univers à 13,8 milliards d’années. En effet, en captant la lumière provenant de 5000 galaxies lointaines simultanément, le Dark Energy Spectroscopic Instrument (DESI) nous permet de cartographier, avec une cadence inégalée, le cosmos tel qu'il était dans le passé et de retracer son expansion jusqu'à aujourd'hui. Comprendre comment notre Univers a évolué est lié à l'un des plus grands mystères de la physique : l'énergie sombre, l'ingrédient inconnu qui provoque l'accélération récente de l’expansion de notre Univers.

Pour étudier les effets de l'énergie sombre au cours des 11 derniers milliards d'années, DESI a créé la plus grande carte tridimensionnelle de notre cosmos jamais construite, avec les mesures les plus précises à ce jour. Les chercheurs ont rendu publique l'analyse de leur première année de prise de données dans plusieurs articles publiés aujourd'hui sur arXiv et lors de présentations à la réunion de la Société Américaine de Physique aux États-Unis et aux Rencontres de Moriond en Italie.

Voyage à travers l'Univers

Dans cette vidéo immersive, les millions de galaxies représentées ont été cartographiées à l'aide des données de DESI.

Audiodescription

"Nous sommes incroyablement fiers des données qui ont produit des résultats de cosmologie de premier plan mondial. Ce sont les premiers résultats issus de la quatrième génération des expériences de mesure de l’énergie sombre", a déclaré Michael Levi, directeur de DESI et scientifique au Laboratoire national Lawrence Berkeley (LBNL) du DoE (Department of Energy), qui gère le projet. "Jusqu'à présent, nous constatons un accord de base avec notre meilleur modèle de l'Univers, mais nous observons également quelques différences potentiellement intéressantes. Celles-ci peuvent ou non disparaître avec plus de données, et nous sommes donc impatients de commencer à analyser bientôt l’ensemble des données de DESI collectées sur trois ans."

Notre modèle principal de l'Univers est connu sous le nom de Lambda-CDM. Il inclut à la fois de la matière interagissant faiblement avec la matière ordinaire, appelée matière noire froide (Cold Dark Matter CDM en anglais) et de l'énergie sombre sous la forme d’une constante fondamentale (Lambda). Aussi bien la matière que l’énergie sombre influencent la façon dont l'Univers s'étend - mais de manière opposée. La matière ordinaire et la matière noire ralentissent l'expansion, tandis que l'énergie sombre l'accélère. Leurs proportions respectives influencent ainsi l’histoire de l’expansion de l’Univers. Ce modèle décrit bien les résultats des expériences précédentes et le comportement de l'Univers au cours du temps.

“Avec les observations très précises de DESI, le modèle Lambda-CDM tient toujours ! Cependant, nous observons des déviations qui pourraient indiquer que l’énergie sombre évolue au cours de l’histoire de l’Univers.” remarque Arnaud de Mattia, physicien au Commissariat à l’Energie Atomique et aux Énergies Alternatives (CEA), qui codirige le groupe d'interprétation cosmologique des données de DESI. Avec plus de données, nous améliorerons également nos premiers résultats sur la constante de Hubble (qui mesure la vitesse à laquelle l'Univers s'étend aujourd'hui) et sur la masse de certaines particules appelées neutrinos. “Nous entrons dans un nouvel âge d’or de la cosmologie où nous allons pouvoir préciser la nature de l’énergie sombre et construire une meilleure compréhension de la dynamique de notre Univers.”

Diagramme de Hubble
Le diagramme de Hubble de DESI montre l'histoire de l'expansion de l'Univers à partir des oscillations acoustiques des baryons utilisées comme un étalon de distance à différents âges de l'Univers. La quantité d'énergie sombre détermine la vitesse de croissance de l'Univers, et donc la taille de l'étalon de distance. La ligne continue indique la taille prédite par le modèle standard d'évolution de l'Univers « Lambda CDM» où l'énergie sombre est une constante, tandis que la ligne en pointillé montre la prédiction d'un modèle différent où l'énergie sombre évolue avec le temps. DESI recueillera davantage de données afin de déterminer quel modèle décrit le mieux l'Univers. Crédit : Arnaud de Mattia/DESI collaboration

"Aucun relevé spectroscopique n'avait obtenu autant de données auparavant, et nous continuons à recueillir des données avec plus d'un million de nouveaux spectres de galaxies chaque mois", a déclaré Nathalie Palanque-Delabrouille, directrice du département de physique du LBNL et co-porte-parole de l'expérience. "Il est remarquable qu'avec seulement notre première année de données, nous puissions déjà mesurer l'histoire de l'expansion de notre Univers sur sept ères différentes, chacune avec une précision de 1 à 3 %. L'équipe a fourni un travail immense pour prendre en compte les subtilités de la modélisation instrumentale et théorique, ce qui nous donne confiance dans la robustesse de nos premiers résultats."

Au total, la précision de DESI sur l'expansion au cours des 11 milliards d'années est de 0,5 %, et l'époque la plus lointaine, couvrant 8 à 11 milliards d'années dans le passé, a une précision de pointe de 0,82 %. Cette mesure de l’Univers à une époque lointaine est incroyablement difficile à réaliser. Pourtant, en un an seulement, DESI est devenu deux fois plus performant pour mesurer l'histoire de l'expansion à ces époques anciennes que son prédécesseur (les programmes BOSS/eBOSS du Sloan Digital Sky Survey), qui a duré plus d'une décennie.

Retracer l’histoire de l’expansion de l’Univers

DESI est une collaboration internationale regroupant plus de 70 institutions à travers le monde. L'instrument a été construit et est exploité grâce au financement du DoE des États-Unis. Il est installé sur le télescope de 4 mètres Nicholas U. Mayall de la de la National Science Foundation (NSF) des États-Unis, situé à l'observatoire national de Kitt Peak, un programme du NOIRLab de la NSF.

“Les résultats de la première année d’observations constituent un jalon très important pour la collaboration internationale DESI forte de près de mille personnes. Ils démontrent que les équipes sont parvenues à mettre en œuvre tout ce qui était nécessaire pour atteindre ce niveau, aussi bien pour les observations que pour le traitement et l’analyse des données”, a déclaré Etienne Burtin, physicien au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et co-responsable du groupe d’analyse des données de DESI.

En effet, en regardant la carte produite par DESI, il est facile de voir la structure sous-jacente de l'Univers : des filaments regroupant des galaxies, séparées par des régions contenant moins d'objets. L’Univers primordial , bien au-delà de la portée de DESI, était très différent : une soupe chaude et dense de particules subatomiques se déplaçant trop rapidement pour former de la matière stable comme les atomes que nous connaissons aujourd'hui. Parmi ces particules se trouvaient les composants élémentaires de l’hydrogène et de l’hélium, collectivement appelés les baryons.

De minuscules fluctuations dans ce plasma ionisé constitué de baryons, photons et électrons ont causé des ondes de pression qui s’y sont propagées. Alors que l'Univers s'étendait et refroidissait, des atomes neutres se sont formés et les ondes de pression se sont figées,  augmentant ainsi la densité de matière dans des zones où se formeront les futures galaxies. Des milliards d'années plus tard, nous pouvons toujours voir la trace de ce motif dans la distribution spatiale des galaxies sous la forme d’une distance caractéristique appelée l’échelle de distance des oscillations acoustiques des baryons (BAO).

Les chercheurs mesurent l’échelle de distance des BAOs et l’utilisent comme une règle cosmique. Mesurer cette échelle de distance dans des échantillons de galaxies proches et lointaines, ainsi que des quasars, permet aux chercheurs de mesurer ainsi la vitesse à laquelle l'Univers s'étend à chaque époque de son passé et de modéliser comment l'énergie sombre affecte cette expansion.

En particulier, la lumière des quasars est utilisée pour remonter à l’époque la plus lointaine accessible à DESI. Cette lumière est absorbée lorsqu'elle traverse les nuages de gaz intergalactiques, ce qui se traduit par une succession de raies d’absorption dans le spectre des quasars, une technique de cartographie de la matière connue sous le nom de “forêt Lyman-alpha”. Les quasars et leurs forêts d’absorption sont utilisés pour retracer l’expansion de l’Univers il y a plus de 8 milliards d’années.

Animation BAO

Les oscillations acoustiques baryoniques servent littéralement de « règle cosmique » pour mesurer l'expansion de l'Univers.

Audiodescription

« Avec seulement un an de données DESI, nous avons mesuré l’échelle BAO et retracé l’histoire de l’expansion de l’Univers jusqu’à il y a 11 milliards d’années, avec une précision qui surpasse la précision obtenue avec 20 ans d’observation de la génération précédente de relevés spectroscopiques. », s’enthousiasme Pauline Zarrouk, chercheuse au Laboratoire de physique nucléaire et des hautes énergies (LPNHE, CNRS/Sorbonne Université).

Méthodes d’analyses de pointe

C’est la première fois qu’une analyse BAO avec un relevé spectroscopique est menée en masquant l’information cosmologique afin d’éviter tout biais de confirmation dans les mesures. Ainsi, les choix d’analyses sont pris sur la base de résultats obtenus en analysant les données masquées ainsi que des données simulées pour lesquelles les chercheurs connaissent les paramètres cosmologiques à retrouver. Puis la chaîne d’analyse est figée et elle est appliquée aux données réelles afin de révéler les résultats cosmologiques.

«En plus de ces mesures BAO, nous sommes sur le point d’ajouter un autre type d’analyse qui mesure aussi la croissance des structures, c’est-à-dire la vitesse à laquelle les galaxies se forment dans l’Univers. Cette analyse complémentaire nous permet de tester une autre piste que l’énergie sombre pour répondre à la question de l’accélération de l’expansion de l’Univers, à savoir la validité de notre théorie de la gravité, basée sur la relativité générale d’Einstein, sur des échelles de distances extragalactiques. » précise Pauline Zarrouk qui codirige les analyses de croissance des structures avec les données 1 an de DESI.

Un œil vers le futur

“A chaque nuit claire qui passe au Kitt Peak, nous mesurons jusqu’à 150 000 objets astrophysiques extragalactiques nouveaux. Nous venons de franchir le seuil de trois fois plus de données que celles que nous publions aujourd’hui et la moisson continue. DESI est en route vers l’énergie sombre” précise Etienne Burtin.

En juillet prochain, la collaboration internationale DESI se réunira à Marseille pour préparer la suite des analyses avec davantage de données. Le programme d’observation de DESI est prévu pour durer jusqu’en 2026. Les données de DESI seront utilisées en conjonction avec les données des autres grands relevés du ciel tels que le satellite européen Euclid lancé en juillet 2023, l'Observatoire Vera C. Rubin dont la première lumière est prévue pour la fin d’année et le télescope Spatial Nancy Grace Roman qui est en construction. Elles sont également très utiles pour préparer la phase II de DESI.

Les instituts français contribuant au programme DESI sont l’Institut de recherche sur les lois fondamentales de l’Univers (Irfu, CEA-Paris Saclay), le Laboratoire de physique nucléaire et de hautes énergies (LPNHE, CNRS / Sorbonne Université / Université Paris Cité), le Centre de physique des particules de Marseille (CPPM, CNRS / Aix-Marseille Université) et le Laboratoire d'astrophysique de Marseille (LAM, CNRS / Aix-Marseille Université / CNES).

Télécharger le communiqué de presse de la collaboration DESI (en anglais)

Accéder aux publications scientifiques de la collaboration DESI

À propos de DESI

DESI est soutenu par le DOE Office of Science et par le National Energy Research Scientific Computing Center, un centre de calcul du DOE Office of Science. DESI bénéficie également du soutien de la National Science Foundation des États-Unis, du Science and Technologies Facilities Council du Royaume-Uni, de la Gordon and Betty Moore Foundation, de la Heising-Simons Foundation, du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) de France, du Conseil national de la science et de la technologie du Mexique, du ministère de l'économie de l'Espagne, ainsi que des institutions membres de DESI.

La collaboration DESI est honorée d'être autorisée à mener des recherches scientifiques sur l'Iolkam Du'ag (Kitt Peak), une montagne qui revêt une importance particulière pour la nation Tohono O'odham.

Contact

Pauline Zarrouk
Chercheuse CNRS au LPNHE et responsable scientifique du projet DESI pour CNRS Nucléaire & Particules
Christophe Balland
Enseignant-chercheur au Laboratoire de physique nucléaire et des hautes énergies (LPNHE)
Vincent Poireau
DAS Astroparticules et cosmologie
Emmanuel Jullien
Responsable du service communication de l'IN2P3