Projet COMCUBE : un voyage à travers la stratosphère à la rencontre des sursauts gamma

Astroparticules et cosmologie

Au cours d’un vol de trois jours et demi en ballon stratosphérique, la collaboration COMCUBE a testé avec succès son polarimètre spatial gamma, un instrument d’une précision inédite permettant de scruter dans le détail les sursauts gamma. Ce vol est une étape importante avant la phase finale du projet qui prévoit d’envoyer en orbite vingt-sept nano-satellites équipés de cette nouvelle technologie d’ici 2030. Ce projet, bénéficiant de contributions majeures d’IJCLab, sera complémentaire des missions existantes sondant, depuis l’espace ou la surface de la Terre, ces mystérieux phénomènes cosmiques de très haute énergie.

Le 22 juin 2024, alors que la communauté des sursauts gamma avait les yeux rivés sur le décollage de l’observatoire spatial SVOM, un autre instrument, plus discret, prenait son envol depuis la base d’Esrange dans le nord de la Suède : un ballon d’hélium d'un volume de 800 000 m3, opéré par le CNES, se lançait dans un voyage à travers la stratosphère. Parmi les huit instruments scientifiques embarqués, seul le polarimètre COMCUBE regardait vers le haut, portant un regard inédit sur les sources gamma cosmiques. COMCUBE est en effet un télescope d’un nouveau genre, utilisant le phénomène de la diffusion Compton pour détecter la polarisation linéaire des rayons gamma, autrement dit, l’orientation privilégiée de leur champ électrique. Cette mesure, très attendue, donnera accès à des caractéristiques précises des sources gamma, telles que le mécanisme d'accélération de particules et de rayonnement à haute énergie des sursauts gamma. Autant de caractéristiques inaccessibles aux moyens d’observation actuellement en opération dans l’espace, comme SVOM, ou sur Terre, comme HESS en Namibie.

L’objectif final de la collaboration internationale COMCUBE, bénéficiant, pour la France, de contributions de CNRS Nucléaire et Particules, CNRS Terre et Univers et CEA/Irfu, est d’embarquer ces polarimètres sur une constellation de 27 nano-satellites : la constellation COMCUBE-S, où le S signifie swarm, soit « essaim » en anglais. Mais avant de faire le grand saut, l’équipe COMCUBE a fait le choix de tester les composants dans le contexte d’un vol en ballon stratosphérique. Un vol, coordonné par IJCLab, qui offre de nombreux atouts. « L’environnement de la haute stratosphère est comparable à celui de l’orbite terrestre basse à bien des égards, explique Vincent Tatischeff, chercheur à IJCLab et responsable scientifique du projet COMCUBE. A plus de 35 km de haut, nous nous situons au-dessus de la couche de l’atmosphère qui absorbe les rayons gamma les moins énergétiques. Nous pouvons donc capter l’essentiel du rayonnement gamma des sources astrophysiques tout en étant soumis aux mêmes conditions de température et d’irradiation des composants qu’en orbite terrestre basse. Un environnement propice pour tester nos composants, et ce à moindre coût, dans la mesure où nous faisons l’économie d’un lancement de satellite ». C’est aussi un quasi baptême pour cette nouvelle technique de détection spatiale qui repose sur toute une chaine de composants.

Voilà comment celle-ci opère. Aux confins de l’atmosphère terrestre, les photons gamma d’origines variées rencontrent tout d’abord les détecteurs en silicium à pistes double face développés à IJCLab et au CEA/Irfu, dans lesquels se produisent la diffusion Compton : lorsqu’un photon gamma entre en collision avec un électron du détecteur, ce dernier est éjecté de l’atome tandis que le photon est diffusé – sa longueur d’onde comme sa trajectoire sont modifiés. Le croisement des données concernant l’électron, absorbé par les premiers détecteurs, et celles du photon diffusé, capté par une deuxième série de détecteurs composés de scintillateurs couplés à des photomultiplicateurs silicium (une contribution de l’University College Dublin avec IJCLab), permet de déduire la trajectoire, l’énergie et la polarisation du photon gamma.

Taux de comptage du polarimètre COMCUBE au cours du vol.
Taux de comptage du polarimètre COMCUBE au cours du vol. Le premier pic reflète un phénomène atmosphérique connu, tandis que les deux pics suivants pourraient correspondre à un phénomène atmosphérique produit par la précipitation d'électrons initialement piégés dans la ceinture de Van Allen. L’émission de la nébuleuse du Crabe et son pulsar est comprise dans le bruit de fond et sera reconstruite par l’analyse approfondie actuellement menée par la collaboration.

Au final, le vol en ballon à 40 km au-dessus de l’arctique, de la Laponie suédoise jusqu’à l’île de Baffin, dans le grand nord canadien a permis à la collaboration de confirmer la validité du dispositif. Pendant 3 jours et 17h, le télescope a détecté avec succès des rayons gamma générés par des réactions atmosphériques ainsi que le rayonnement émis par la nébuleuse du Crabe et son pulsar, une source astronomique connue. Les données concernant la nébuleuse du Crabe, transférées dans un module de stockage récupéré par l’équipe Canadienne à l’atterrissage, sont en cours de traitement par la collaboration COMCUBE.

Suite à ce premier succès, l’avenir du projet COMCUBE s’écrira avec l’ESA, l’Agence Spatiale Européenne : celle-ci a sélectionné la mission COMCUBE-S, coordonnée par University College Dublin, qui pourra compter sur le soutien technique de l’agence dans le cadre du lancement et de l’opération du réseau de satellites. « Le fait que nous ayons pu tester un prototype de la charge utile en vol ballon stratosphérique a certainement aidé à la sélection ! », se réjouit Vincent Tatischeff. En attendant la mise en orbite complète de la constellation de satellites, deux premiers satellites pourraient être lancés dès 2027, avec l’appui de l’ESA, pour une démonstration en orbite du concept.

Contact

Vincent Tatischeff
chercheur à IJCLab
Thomas Hortala
Chargé de communication
Vincent Poireau
DAS Astroparticules et cosmologie