Projet iSAS : vers des accélérateurs de particules plus économes en énergie

Développements techniques R&D accélérateurs

Lancé en mars 2024, le projet iSAS (Innovate for Sustainable Accelerating Systems) ambitionne de démontrer de nouvelles technologies visant une réduction drastique de l’impact environnemental des accélérateurs de particules en se focalisant sur l’amélioration des cryomodules, ces unités accélératrices fonctionnant à ultra-basse température. En coordonnant les efforts à l’échelle européenne et en mutualisant les moyens, les scientifiques visent à obtenir des gains rapides en agissant sur trois leviers clés : les systèmes cryogéniques, la puissance radiofréquence et la récupération de l’énergie du faisceau. Ce projet est coordonné par le CNRS-IN2P3 à IJCLab (Achille Stocchi) avec un responsable scientifique à l’Université de Bruxelles VUB (Jorgen D’Hondt). 

Autour de 40 000 – c’est le nombre d’accélérateurs de particules actuellement exploités dans le monde, dans les domaines de la recherche et de l’industrie. Ces machines, notoirement gourmandes en énergie, pourraient atteindre, dans un futur proche, une consommation globale avoisinant 1% de la demande annuelle d’électricité d’un pays comme l’Allemagne. « Dans ce contexte et compte tenu des enjeux climatiques, lorsqu’on travaille sur les accélérateurs de particules, on se doit d’aborder le sujet de leur consommation électrique, explique Maud Baylac du LPSC, coordinatrice des relations extérieures du projet. Il devient plus que jamais nécessaire de rassembler tous les acteurs développant des systèmes plus durables et plus économes, pour coordonner ces efforts et les mettre en musique. C’est l’objet du projet iSAS»Le projet dispose pour cela d’une dotation de 5 millions d’euros attribuée par l’Europe et distribuée entre huit partenaires européens, experts de la discipline dont le CERN, l’IN2P3 avec IJCLab et le LPSC, et le CEA entre autres. « Nous ne partons pas de zéro, souligne Guillaume Olry d’IJCLab, responsable d’un groupe de travail.  Cela fait des décennies que de nombreuses initiatives éclosent dans les laboratoires pour optimiser certains sous-systèmes. Cependant, jusqu’à présent, les différents groupes s’emparaient de problématiques individuelles, spécifiques à leur propre machine, sans nécessairement coordonner leurs travaux de recherche. Le projet iSAS a l’ambition de fédérer les scientifiques en Europe en leur offrant un cadre privilégié, pour partager, par le biais de groupes de travail dédiés, leur savoir-faire unique en la matière, afin de passer à la vitesse supérieure sur cette thématique ».

Equipe iSAS
L'équipe du projet à IJCLab

Les efforts du projet iSAS se concentrent sur le cryomodule, qui est la brique élémentaire pour l’accélération des particules. Dans le cryomodule, les cavités radiofréquence (RF) supraconductrices accélèrent les particules grâce à un champ électrique alternatif à haute fréquence, extrêmement intense, établi en injectant une puissance radiofréquence. Un système cryogénique est nécessaire pour refroidir et maintenir les cavités à 2 kelvins (-271°C) afin de garantir leurs propriétés supraconductrices. Le projet iSAS vise à optimiser à la fois l’efficacité de l’injection de la puissance RF et à minimiser les pertes thermiques. 

Concrètement, iSAS a l’ambition d’impulser le développement de sous-systèmes innovants, dont l’intégration dans un « cryomodule du futur » pourrait drastiquement réduire la consommation en électricité d’accélérateurs partout dans le monde. Le projet mise tout d’abord sur une régulation très fine et rapide de la fréquence du champ électrique, basée sur un système novateur permettant de réduire significativement la consommation de puissance dans les cavités. En parallèle, il est question d’améliorer l’injection de la puissance dans les cavités en optimisant les coupleurs de puissance et de développer des coupleurs « HOM » afin de mieux extraire les modes RF parasites d’ordres supérieurs pouvant augmenter la consommation cryogénique. « Limiter les pertes cryogéniques au sein du cryomodule est une priorité absolue pour notre projet. Il faut savoir qu’un seul watt déposé par transmission énergétique sur les parties refroidies à 2 kelvins se traduit par une consommation réelle de 800 watts prélevés à la prise ! Inutile de préciser qu’avec un tel facteur, chaque watt économisé compte », souligne Guillaume Olry.

Cryomodule
Vue en coupe du cryomodule du projet PERLE. 

Concernant la cryogénie, un des enjeux majeurs consiste à construire des cavités fonctionnant à des températures plus élevées afin de réduire la consommation électrique nécessaire au refroidissement de l’hélium liquide baignant les cavités RF. « L’un des objectifs d’iSAS est de parvenir à faire fonctionner des cavités RF à 4 kelvins (-269°C), contre 2 kelvins actuellement, explique Guillaume Olry. Pour y parvenir, la clef est de réaliser des dépôts de couches minces sur les parois des cavités RF. Il reste à venir à bout des difficultés techniques dans la réalisation et l’exploitation de ces dépôts, dont l’exécution est complexifiée par la forme alambiquée des cavités ». 

Mais ce n’est pas tout : le projet iSAS ambitionne également de mettre en œuvre une technologie destinée à récupérer l’énergie du faisceau en le décélérant dans les mêmes cavités RF que celles utilisées pour son accélération : cette puissance, ainsi restituée aux cavités RF, permet d’accélérer le faisceau suivant, réduisant considérablement la consommation globale du système. Un tel dispositif pourrait s’appliquer aux machines dont les faisceaux de particules sont peu altérés après interaction, tels que les collisionneurs de particules ou les sources de lumière. Il requiert le développement d’un cryomodule adapté, ce à quoi se consacre le projet international PERLE en construction à IJCLab (Orsay), un démonstrateur d’ERL visant un régime multi-tours à forte puissance de faisceau. « Nous ne sommes pas les premiers à nous emparer de ces technologies. Notre but ici est de repousser les limites de l’état de l’art en matière de récupération de l’énergie du faisceau, afin d’éprouver cette technologie pour leurs futurs projets de haute puissance » (plusieurs MW), précise Walid Kaabi, responsable du pôle accélérateurs d’IJCLab. 

L’optimisation de l’ensemble de ces technologies au cours des quatre prochaines années dans le cadre d’iSAS devrait aboutir à la conception de prototypes moins consommateurs d’énergie dont les caractéristiques pourront infuser la mise à niveau des accélérateurs existants comme la construction de futurs accélérateurs. Pour Maud Baylac, la raison d’être du projet ne fait pas de doute : « Avec iSAS, nous travaillons pour réduire l’impact environnemental des accélérateurs. Nous rassemblons des communautés pour atteindre des objectifs concrets et contribuer à concevoir les accélérateurs du futur vers la transition écologique ». 

Contact

Guillaume Olry
Ingénieur de recherche à IJCLab
Maud Baylac
Ingénieure de recherche au LPSC
Thomas Hortala
Chargé de communication
Arnaud Lucotte
DAS Accélérateurs, détecteurs et technologies