MADMAX : un concept novateur de détection des axions fait ses preuves
Percer le mystère de la matière noire tout en résolvant un problème tenace de la physique des particules : c’est le défi ambitieux que la collaboration internationale MADMAX relève en se lançant dans la quête de l’axion, une particule hypothétique prédite pour pallier des lacunes du Modèle Standard. Après plusieurs années de développement et de tests d’un haloscope diélectrique réglable totalement inédit, la collaboration, à laquelle contribuent le CPPM et IJCLab, enregistre une première victoire de taille : installé au CERN, leur prototype a démontré pour la première fois sa capacité à amplifier les ondes électromagnétiques émises par les axions dans un champ magnétique et a permis de placer les meilleures limites mondiales pour des axions autour de 80 μeV. Une prouesse qui ouvre un nouveau chapitre dans la chasse à l’axion.
Des flingues, Mel Gibson et beaucoup d’hémoglobine : voici une liste non exhaustive de choses que vous ne trouverez pas dans le feuilleton MADMAX se déroulant dans la zone nord du CERN. Mais que les férus du genre ne s’y trompent pas : l’axion est bien au rendez-vous de cette aventure scientifique, éponyme du film culte des années 80. L’équipe de scientifiques internationaux du projet MADMAX (pour MAgnetized Disc and Mirror Axion Experiment) a en effet relevé le défi de développer un dispositif expérimental totalement inédit pour débusquer une nouvelle particule élémentaire appelée « axion ». Dans sa quête entamée depuis 2017, l’équipe vient de poser un jalon crucial en démontrant que son principe, récemment testé sur un premier prototype au CERN, fonctionne comme attendu.
Pour bien saisir l’importance de ce jalon, il faut revenir sur les caractéristiques de la particule qu’ils cherchent à découvrir. Nommé d’après une marque de lessive, l’axion a été imaginé par les physiciens théoriciens pour « laver » un problème persistant de la physique des particules : pour justifier l'asymétrie entre matière et antimatière observée dans l'Univers, les deux substances auraient dû avoir un comportement un peu différent vis-à-vis de l’interaction forte, l’interaction à l’origine de la cohésion des constituants du noyau. Or rien n’y fait, aucune différence n’émerge des multiples expériences. L’idée est donc qu’une particule inconnue serait à l’œuvre. Une particule d’une masse extraordinairement faible– de l’ordre du micro électronvolt (μeV)- n’interagissant quasiment pas avec la matière et qui par conséquent serait restée hors de portée de nos détecteurs. Le fameux axion. Depuis qu’il a été imaginé en 1978 par des théoriciens, l’axion a résisté à toutes les tentatives de détection, mais l’engouement des physiciens pour lui ne faiblit pas. Bien au contraire. Ses caractéristiques en font aussi un candidat idéal pour tenir le rôle de la matière noire, cette substance mystérieuse qui représente 85% de la masse de l’Univers et qui échappe à toutes les tentatives de détection des physiciens. En somme, l’axion pourrait être à lui seul la clé de deux énigmes de la physique. Et c’est ce que cherche à démontrer la collaboration MADMAX.
« Parmi les expériences de détection d’axions, toutes ne cherchent pas des particules de matière noire provenant du halo de notre galaxie précise Fabrice Hubaut, responsable de l’équipe Matière Noire du CPPM et du projet MADMAX à CNRS Nucléaire & Particules. A MADMAX, nous avons choisi de nous concentrer sur la quête de l’axion de matière noire, et plus particulièrement sur la région avoisinant les 100 μeV, là où certains modèles cosmologiques prédisent qu’il pourrait se situer ». Mais pour arriver à ses fins, MADMAX, doit détecter un signal électromagnétique de l’ordre de 10-27 watts, issu en théorie de l’interaction entre l’axion et un champ magnétique de 10 T. Une entreprise qui équivaut à tenter de capter la 4G sur Mars.
« Les technologies actuelles ne nous permettent pas de capter un signal aussi ténu. Nous n’avons donc pas d’autre choix que de l’amplifier au maximum afin d’espérer détecter quelque chose se détachant du bruit de fond. Mais très vite, nous rencontrons un problème : aucun système d’amplification n’existe pour la gamme de longueurs d’ondes centimétriques que nous ciblons, correspondant à des axions dans la région des 100 μeV. Ces longueurs d’ondes sont en effet trop courtes pour avoir recours aux cavités résonnantes, une technologie mobilisée par d’autres expériences pour amplifier des longueurs d’ondes plus longues émises par des axions plus légers. En l’absence de technologie adaptée, la collaboration a donc dû innover. Nous nous sommes lancés dans l’inconnu en nous appuyant sur le concept novateur d’‘haloscope diélectrique’ réglable capable d’amplifier les ondes les plus ténues et de balayer toute une gamme de fréquences autour de 20 GHz », commente Pascal Pralavorio, chercheur au CPPM membre de la collaboration.
L’idée de l’haloscope diélectrique est d’insérer un résonateur d’ondes dans un puissant aimant pour amplifier puis capter les ondes électromagnétiques que les axions émettraient en interagissant avec le champ magnétique de l’aimant. Dans le prototype testé par la collaboration, le résonateur est composé de trois disques diélectriques de saphir espacés d’environ 1 centimètre entre lesquels les ondes vont faire des allers-retours. Ils font 1 millimètre d’épaisseur et 20 cm de diamètre. L’ensemble trône dans l’ouverture de l’un des aimants qu’utilise la collaboration ATLAS pour ses tests en faisceau au CERN. Dans un autre test dont les analyses sont en cours, le résonateur est immergé dans un cryostat qui maintient le dispositif dans un froid extrême afin de limiter les interférences. Enfin, dans un troisième test, un système motorisé permet de jouer sur l’espacement des disques et de régler l’appareil pour tester différentes longueurs d’ondes.
Concept de détection innovant oblige, l’incertitude régnait en maître durant les près de sept ans de recherche et de développement qui ont précédé ces premiers tests : un dispositif aux variables si nombreuses serait-il capable d’amplifier un signal comme espéré ? Le résultat rendu public en septembre 2024, sans équivoque, met fin à ces interrogations : les tests à chaud confirment que l’haloscope diélectrique, dans une configuration encore préliminaire, est capable d’amplifier les ondes électromagnétiques par un facteur 2000, un chiffre qui a vocation à augmenter à mesure que les paramètres seront ajustés au cours des prochaines années. C’est d’ores et déjà suffisant pour atteindre les meilleures limites mondiales pour des axions autour de 80 μeV. Une victoire que la petite équipe CNRS Nucléaire & Particules savoure particulièrement : « L’institut a amené son savoir-faire en mécanique de précision à la collaboration, en perfectionnant la mécanique de l’amplificateur, la planéité des disques, ou encore l’interface entre l’amplificateur et son environnement direct. En tant que responsables des tests du prototype au CERN, nous étions aussi les mieux placés pour mesurer l’importance de ces tests : le succès de l’expérience en dépendait, et ce résultat nous rend confiant dans l’avenir », se félicite Pascal Pralavorio.
Car de ce succès dépendait la suite de l’aventure MADMAX, dont la saison 2 a d’ores et déjà commencé. Au programme : l’analyse des tests conduits à froid, l’introduction de disques de saphir plus grands et donc plus efficaces pour amplifier le signal, la mise en œuvre du système de mobilité des disques, l’introduction d’absorbeurs radio-fréquence pour réduire le bruit de fond, … En espérant, si les résultats positifs devaient continuer à s’accumuler, que cette aventure au CERN serve de mise en bouche à une palpitante saison 3 : « Notre but est de démontrer l’efficacité de notre prototype finalisé avant 2028 pour lancer la construction de l’expérience principale à DESY, qui pourra s’appuyer sur un aimant beaucoup plus puissant et un grand nombre de disques plus larges. Avec la configuration finale, nous espérons pouvoir amplifier le signal d’un facteur 100 000, ce qui nous permettra de commencer à chasser efficacement les axions dans la région que nous ciblons. Maintenant que la viabilité du dispositif est démontrée, j’ai confiance en la capacité de nos ingénieurs à relever les nombreux défis technologiques qui nous attendent jusqu’au démarrage de notre expérience à DESY », se félicite Fabrice Hubaut.