CNRS Nucléaire & Particule déploie deux projets de muographie à Tahiti et au Kenya
Des falaises de Tahiti aux collines du Kenya, les détecteurs de muon des laboratoires CNRS Nucléaire & Particules s’installent dans le cadre de projets interdisciplinaires. Objectif commun de ces deux projets : sonder la densité des masses rocheuses de ces environnements sensibles pour prévenir les risques naturels et aider à la gestion des ressources.
Deux projets financés par la Mission pour les initiatives transverses et interdisciplinaires (MITI), CESAR et WATCH, ont donné lieu au déploiement en décembre 2024 et janvier 2025 par Jacques Marteau et Jean-Christophe Ianigro de l’IP2I (CNRS Nucléaires et Particules / Université Claude Bernard Lyon-1) et leurs collaborateurs, de deux détecteurs de muons afin d’étudier la morphologie profonde de massifs rocheux sensibles dont dépendent les populations locales. Les détecteurs de muons sont en effet capables de « radiographier » les structures géologiques en mesurant le flux de muons qui les traverse. Les muons sont des particules élémentaires cousines des électrons par leurs propriétés fondamentales, produites naturellement dans l’atmosphère, et capables de sonder la matière. La variation du flux de muons enregistrée par les scientifiques donnera une idée de la densité de la structure, de la présence de failles ou de vides, à l’instar d’une imagerie par rayons X.
Petit tour d’horizon de deux projets qui font voyager :
Projet Watch : sonder les collines du Kenya
Le projet Watch (pour Assessment of WAter resources from muon Tomography in the Chyulu Hills), vise à améliorer la connaissance du fonctionnement hydrogéologique d’un massif volcanique au Kenya, au moyen d’une approche interdisciplinaire croisant les objets d’étude et les méthodologies. Un effort multidisciplinaire pour identifier la fonction de château d’eau des collines Chyulu dans un contexte de croissance démographique et de pression économique sur la terre qui joue un rôle majeur pour les systèmes socio-écologiques dépendant de ces ressources en eau.
Dans le cadre de ce projet, deux missions essentielles ont été menées en 2024 pour caractériser un ensemble de sources et de cours d'eau au pied du massif montagneux des Chyulu Hills, pour réaliser des mesures de géophysique par tomographie électrique et gravimétrie, réaliser des enquêtes auprès des populations locales et, cerise sur le gâteau : pour installer un détecteur à muons. Ce dernier permet de réaliser une imagerie et un suivi temporel des masses internes de l’un des massifs des Chyulu Hills. L'installation a été un succès opérationnel et le détecteur prend des données de manière stable depuis mi-décembre 2024. Il est prévu qu’il prenne des données sur une année complète, couvrant saisons sèche et humide, pour pouvoir suivre l’évolution du contenu du dôme, notamment en eau, en fonction des diverses recharges du système. Corrélée avec les mesures complémentaires réalisées au sein du consortium WATCH, cette information devrait permettre de modéliser la dynamique des ressources en eau dans cette région du Kenya, où les enjeux sont forts, tant pour les populations et la faune locales que pour les grands projets d’équipement, puisque c’est ici que viennent puiser de grands pipelines alimentant les villes de la côte Est, notamment Mombasa.
Projet CESAR : au cœur de la falaise à Tahiti
C’est sur la commune de Hitia’a, sur l’île de Tahiti, que l’équipe de l’IP2I a également installé un muographe du même type dans le cadre du projet CESAR (Caractérisation par muographiE et reconnaiSsAnce géophysique de la vulnéRabilité au glissement de terrain : cas d'étude à Tahiti (PF)), labellisé PRIME par la MITI. Là aussi, le détecteur signé CNRS Nucléaire & Particules est chargé de mesurer la densité d’une masse rocheuse : celle d’une falaise située au PK 43 en surplomb de la route côtière. Les données issues de cette radiographie en règle de la roche permettront de caractériser les propriétés de ce bassin versant et d’aider dans leurs décisions les autorités locales sur les possibles mesures à prendre pour sécuriser cette falaise soumise à une érosion intense et représentant une menace pour les infrastructure proches.
Mais l’intérêt de cette manipulation n’est pas seulement d’ordre pratique : il est aussi méthodologique. Jacques Marteau explique : « A Tahiti, nous combinons les données issues du muographe avec celles collectées par nos collègues géophysiciens, qui mesurent également la densité de la roche, mais avec d’autres méthodes. Cela nous permettra de développer une stratégie applicable de manière générale à tous les endroits susceptibles d’être déstabilisés, par exemple par une érosion intense ou d’une pression d’eau interne ».
Des projets interdisciplinaires
Le projet CESAR implique le laboratoire METIS (CNRS Terre & Univers, Sorbonne Université) et le GEPASUD (Université de Polynésie Française). Il bénéficie d’un financement PRIME inter-instituts 2024-2026.
Le projet WATCH implique des laboratoires de CNRS Nucléaire & Particules (IP2I/Université Claude Bernard Lyon et LPNHE/Sorbonne Université), Terre & Univers (Géosciences Montpellier/Université de Montpellier), Ecologie & Environnement (Laboratoire Chrono-Environnement/Université Marie et Louis Pasteur) et Sciences Humaines et Sociales (Environnement Ville Société/Université Lyon 3 Jean Moulin), l'Institut Français de Recherche en Afrique à Nairobi (IFRA), une agence gouvernementale kényane (RCGW) et une université kényane (TUK). Il bénéficie d'un financement de la MITI (AAP Ressources & Sobriété 2024-2025).