La fusion 12C+12C dans les étoiles massives serait plus faible qu’attendu
L’équipe de l’expérience STELLA a publié le 11 mai dans Physical Review Letters de nouvelles mesures directes précises de section efficace de la réaction de fusion carbone + carbone à basse énergie (autour de 2,5 MeV). Ces mesures très attendues montrent un écart de près d’un ordre de grandeur avec les valeurs de référence utilisées par les astrophysiciens dans leurs modèles d’évolution des étoiles.
La combustion carbone joue un rôle clé dans la vie des étoiles. Elle forme un passage obligé dans la cascade de réactions de fusion qui s’y produisent et influence très fortement le devenir paisible ou explosif de l’astre. Pour calculer des scénarios d’évolution stellaire plus fiables, les astrophysiciens ont donc besoin de connaître le plus précisément possible le taux de fusion du carbone. Pour cela ils ont développé dans les années 80 des modèles prédictifs, mais ces derniers manquent de précision, notamment lorsque les énergies en jeu sont très basses, de l’ordre de quelques méga électronvolts.
La physique nucléaire au secours des astrophysiciens
Une nouvelle solution est cependant apportée par les physiciens nucléaires qui reproduisent en laboratoire, par des collisions entre un faisceau de particules et une cible, les conditions énergétiques stellaires, et y mesurent directement les taux de fusion du carbone. Dans cette quête, l’équipe de l’expérience STELLA dirigée par Sandrine Courtin professeure à l'université de Strasbourg et chercheuse à l'IPHC peut se féliciter d’avoir obtenu avant tout le monde les mesures de section efficace (probabilité d’occurrence) les plus fiables de la réaction de fusion carbone 12 + carbone 12 aux basses énergies. Mesures publiées lundi 11 mai dans Physical Review Letters (1).
« Nous avons mesuré des sections efficaces de l’ordre de la centaine de picobarns, précise Sandrine Courtin. Cela indique qu’aux plus basses énergies, il pourrait y avoir un ordre de grandeur comparé à ce que donne le modèle CF88 des astrophysiciens. Peut-être même plus d’un ordre de grandeur lorsque l’on extrapole nos mesures à des étoiles de 8 à 10 masses solaires. Par ailleurs, la section efficace pourrait montrer une résonance. » Une centaine de picobarns c’est très peu, et pour parvenir à les mesurer avec certitude, l’équipe de l’IPHC a su mettre toutes les chances de son côté en redoublant d’ingéniosité.
Un véritable concentré d’astuces
Elle a tout d’abord utilisé une méthode de détection en coïncidence (deux signaux distincts sont surveillés pour garantir que la réaction enregistrée est la bonne) pour ne rater aucun des rares événements de fusion au milieu de la forêt inextricable de signaux captés par les détecteurs. Ensuite, l’expérience a été conduite auprès de l’accélérateur de particules Andromède à IJCLab. Une machine quasiment taillée sur mesure pour fournir un faisceau de carbone extrêmement intense, et qui multiplie d’autant la probabilité de produire ces réactions de fusion. Enfin il y a la cible de carbone, véritable concentré d’astuces. Il faut dire que son cahier des charges relevait du casse-tête.
La cible doit être ultra mince, 100 nanomètres d’épaisseur, pour ne pas diffuser le faisceau et permettre son monitorage précis, ce qui est crucial pour la précision des mesures. Mais dans le même temps il lui faut résister à l’intense bombardement d’ions carbone. Une solution est alors de la faire tourner sur elle-même à grande vitesse. Sauf qu’une feuille de graphite de cette épaisseur est si fragile que le simple fait de la mouvoir dans l’air la casse… « La solution est venue de l’ingéniosité des techniciens du GANIL et de l’IPHC indique Sandrine Courtin. Avec un système digne d’un mécanisme d’horlogerie développé à l’IPHC, ils ont réussi à faire tourner l’infime feuille de graphite de 5cm de diamètre à 1000 tours minutes. »
Désormais, l’équipe espère explorer la section efficace de la fusion 12C+12C à des énergies encore plus basses, comparables à celles des étoiles de 8 fois la taille du soleil. Elle envisage également d’effectuer le même travail pour l’oxygène.
(1) Advances in the direct study of carbon burning in massive stars
A propos de l'expérience STELLA
Stella a pour but de mieux comprendre le cycle de vie des étoiles massives, essentiel pour extraire des informations sur l’évolution stellaire, la nucléosynthèse des éléments chimiques et peut-être sur l’âge de notre Univers. Pour cela, elle vise à mesurer les réactions nucléaires clés de ce cycle, en particulier celles où peuvent intervenir des résonances moléculaires.
La construction de la station de mesure Stella a bénéficié du financement des initiatives d’excellence (IdEx) de l’Université de Strasbourg, de l’USIAS et du CNRS. Les développements techniques du projet et sa construction ont été réalisés à l’IPHC Strasbourg (Mécanique, SMA, Microtechnique), en partenariat avec l’Université de York (GB), l’Université de Surrey (GB) et le GANIL.
Paru précédemment : L'expérience STELLA met en lumière le phénomène de suppreesion de la fusion
La collaboration STELLA
- IPHC, Strasbourg : S. Courtin (contact), D. Curien, C. Beck, M. Heine, M. Moukaddam, E. Monpribat, J. Nippert, M. Richer et al.
- Université de York (GB) : D. Jenkins, L. Morris, G. Vega et al.
- Université de Surrey (GB) : P. Regan, Z. Podolyak, M. Rudigier et al.
- GANIL : C. Stodel et al.
- IJCLab : S. Della Negra, F. Hammache, J. Lesrel, N. de Séréville, P. Adsley et al.