Hervé Carduner : « mécano » mention détecteurs de particules
D’abord recruté comme dessinateur projeteur au Laboratoire de l’accélérateur linéaire (LAL), Hervé Carduner a rejoint le laboratoire Subatech en 1998. Cet ingénieur de recherche en mécanique y a participé à la conception et à la construction de nombreux détecteurs. Il y est aujourd’hui responsable d’un des sites d’intégration de l’expérience KM3NeT dédiée à l’étude des neutrinos.
Un article sur lui pour le site de l’IN2P3 ? Hervé Carduner, ingénieur de recherche en mécanique au laboratoire Subatech, à Nantes, ne s’y attendait pas. Assis à son bureau, sur lequel s’empilent schémas et petits objets de bureautique et d’ingénierie, il ne sait pas trop par où commencer. Mais l’hésitation ne dure guère. Dès lors qu’il commence à évoquer les nombreux projets auxquels il a participé, ce spécialiste de la conception et de l’assemblage de détecteurs de particules devient vite intarissable. Et au fil du récit de ses 30 années de carrière se dessine le portrait d’un ingénieur pour qui son activité, les questions scientifiques qui la motive et l’aventure humaine que constitue la science, forment un tout irréductible.
Au départ, rien ne destinait pourtant le natif de Perros-Guirec à travailler dans un laboratoire de physique. « Ado, comme beaucoup de jeunes, je me suis pris de passion pour la mécanique en bricolant ma mobylette », évoque-t-il. S’en suit un BAC technologique, puis un DUT en mécanique obtenu en 1985 qui le conduit d’abord dans le privé où cet amoureux de la mer travaille sur des projets… aéronautiques et spatiaux.
Dessiner les plans de NEMO 3, un monstre de plus de 2 tonnes
Hervé Carduner découvre l’existence du CNRS en 1989, à la faveur d’une offre d’emploi. En quête d’une plus grande stabilité professionnelle, le voilà dessinateur projeteur au Laboratoire de l’accélérateur linéaire, à Orsay. C’est là qu’il s’initie à l’univers des détecteurs grâce auxquels les physiciens décryptent les lois de l’infiniment petit comme de l’infiniment grand.
Dans les années 90, son premier projet d’envergure consiste à dessiner les plans du détecteur NEMO 3, dédié à l’étude de la nature intime du neutrino – plusieurs milliards de ces particules élusives nous traversent chaque seconde sans laisser la moindre trace – et à imaginer l’outillage nécessaire à l’assemblage de ce mastodonte de plus de deux tonnes. « C’est le projet qui m’a véritablement mis le pied à l’étrier », se souvient celui qui a été recruté comme assistant, avant de gravir en interne tous les échelons du corps des ingénieurs.
Devant se rendre régulièrement à Bordeaux et à Strasbourg, où se trouvent deux laboratoires partenaires du projet, Hervé Carduner découvre aussi, en travaillant sur NEMO 3, son goût pour le contact et l’échange au sein de vastes collaborations scientifiques et techniques. « Ce n’est pas spécialement valorisé pour un ingénieur, mais le bénéfice humain est indéniable », juge-t-il.
Entre Bretagne et pampa argentine
En attendant, cet exilé en région parisienne cherche à se rapprocher de sa Bretagne natale. Chose faite en 1998 quand il rejoint le laboratoire Subatech à la faveur d’une mutation interne. Les projets s’enchainent. Au sein du laboratoire nantais, le mécanicien dessine les antennes de CODALEMA, une expérience de radio-détection des rayons cosmiques, ces particules d’ultra haute énergie en provenance des tréfonds de la galaxie, démarrée en 2003. Sur le même sujet, il participe plus récemment à la collaboration AERA qui le conduit au cœur de la pampa argentine où sont déployés les détecteurs de l’observatoire Auger. A la fin des années 2000, l’ingénieur, passé ingénieur d’étude en 2004, puis nommé chef du service de mécanique de son laboratoire en 2007, poste qu’il occupe pendant quatre ans, s’investit également dans la start-up AI4R. Fondée par un ex-thésard de Subatech, la jeune pousse commercialise des imageurs bêta pour la recherche médicale.
En même temps qu’il avance dans son récit, Hervé Carduner se lève parfois de son bureau pour farfouiller dans un tiroir ou sur le dessus d’une armoire d’où il exhume une maquette, un petit prototype ou le descriptif d’une pièce qui lui tient à cœur. Un proto de chambre à fils maison à la main (un type de détecteur de particules inventé par le prix Nobel de physique Georges Charpak en 1968), il en vient au projet qui l’a occupé pendant presque 20 ans : le trajectographe à muons du détecteur ALICE. Actuellement en fonctionnement auprès du LHC, l’accélérateur géant de particules du Cern, près de Genève, il permet d’étudier le plasma de quarks-gluons, un état de la matière proche de ce à quoi ressemblait l’univers une fraction de seconde après le big bang. « Le langage des physiciens n’est pas facile, note-t-il. Mais la vulgarisation m’intéresse, et c’est fascinant de se dire qu’on a participé à une aventure comme celle-là. »
Une belle pièce est une pièce fonctionnelle
Pour sa part, le mécanicien a contribué à une partie de la R&D du trajectographe, à l’assemblage d’un quart de ses 160 chambres à fils, à sa mise en service, et même à la résolution d’un problème de claquage électrique survenu en fonctionnement. « J’apprécie tous les aspects du métier et je serais incapable de rester assis devant mon ordinateur, confie-t-il, avant d’ajouter : ce que j’aime, c’est qu’une pièce soit fonctionnelle, c’est là où se loge pour moi sa beauté. »
Depuis 2017, Hervé Carduner est responsable du site d’intégration des DOMs (Digital Optiqual Module) de l’expérience KM3NeT, basé à Subatech – il y en a huit autres dans le monde. Chacune de ces capsules de verre de 49,6 centimètres de diamètre (le projet en compte plus de 6 000 !) renferme 31 photomultiplicateurs, le tout étant actuellement en cours d’immersion à 2 450 m de profondeur à 40 km au large de Toulon. Objectif : étudier les propriétés des neutrinos qui traversent notre planète en provenance de « l’autre » côté de la Terre !
« L’intégration de ces détecteurs est une tâche méthodique et répétitive pour laquelle les aspects de gestion humaine des équipes sont très importants », explique le spécialiste qui a par ailleurs apprécié de participer à plusieurs campagnes de mise à l’eau courant 2020 : « pour un Breton du bord de mer, travailler dans le milieu marin était une expérience formidable ! » Comme une façon de marier en un projet ses différentes passions !
Fédérer une communauté autour de la fabrication additive
Et de boucler la boucle professionnelle ? A sept ans de la retraite, et alors que son travail d’intégration va l’occuper encore trois bonnes années, Hervé Carduner envisage KM3NeT comme le point d’orgue de plus de trois décennies d’expertise au service de l’IN2P3. Façon de les cimenter, à la suite d’un master Projet de l’IN2P3, avec trois autres collègues, il a mis sur pieds en 2019 le Réseau Fabrication Additive du CNRS. Regroupant désormais 300 inscrits de huit instituts, cette structure transversale a pour vocation de fédérer l’ensemble des agents de l’établissement intéressés par la chaîne de valeur de la fabrication additive. L’intérêt ? Pour l’illustrer, l’ingénieur en mécanique attrape une sorte de petit coude ouvragé en composite posé devant lui : « J’ai redessiné cette pièce pour une fabrication sur une imprimante 3D. Résultat : un gain de 60 % de matière par rapport à la même pièce réalisée par fabrication soustractive ! » Aucun doute, Hervé Carduner, ce sont ses réalisations qui en parlent le mieux !
Mathieu Grousson (Les chemineurs).
Dix portraits de femmes et d’hommes de l'IN2P3
À l’occasion de ses 50 ans, l’institut met en avant 10 portraits de femmes et d’hommes, illustrant la variété des métiers et des expertises rassemblés en son sein. Nous vous invitons à venir découvrir leur histoire et leur aventure à l’IN2P3, et à partager la passion qui les anime.
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