L’absence de rayonnements ne change rien à l’évolution des bactéries
La vie a-t-elle besoin des rayonnements ionisants naturels pour forcer l’ADN à muter aléatoirement et évoluer ? C’est l’hypothèse que Vincent Breton du Laboratoire de physique de Clermont (LPC) et son équipe ont testée en cultivant des colonies de bactéries E. coli à l’abri des radiations et des rayons cosmiques. Après 500 générations, aucune différence n’est apparue comparé à des bactéries élevées en surface. Un résultat publié en octobre dans Scientific reports.
Comment la vie gère-t-elle les rayonnements ionisants dans laquelle elle baigne. S’est-elle adaptée au point d’y être insensible ou est-elle continuellement remodelée par son impact ? Pour tenter d’esquisser une réponse, Vincent Breton, chercheur au Laboratoire de physique de Clermont (LPC) aidé de scientifiques de l’IN2P3 et de l’INEE, a lancé la première étude d’évolution expérimentale où le paramètre du rayonnement est contrôlé. Plus précisément, à partir d’une même population de la bactérie E. coli, il a conduit deux cultures, l’une au Laboratoire de Physique Clermont (LPC) dans des conditions de surface normales, et l’autre à l’abri dans les profondeurs du Laboratoire souterrain de Modane. Entre les deux sites, la différence de rayonnement approche le facteur 10.
Deux populations de bactéries cultivées en parallèle
Hormis les rayonnements ionisants, les bactéries ont été rigoureusement cultivées dans les mêmes conditions. En l’occurrence, l’apport nutritif était volontairement limité pour favoriser au fil des générations l’émergence de souches plus adaptées à ces conditions frugales. Et effectivement, au bout de 200 à 300 générations, des bactéries plus à même d’exploiter ce milieu pauvre ont commencé à émerger et à prendre le dessus sur les autres. « Ce changement est apparu au LPC et au LSM quasiment au même stade » précise Vincent Breton, « ce qui montre que les radiations ne sont pas à l’origine du virage évolutif observé à l‘échelle de 500 générations. »
Une observation assez logique étant donné la très faible dose de rayonnement ionisant reçue par les microbes en général : 1 bactérie/1500 touchée par jour dans les colonies du LPC et une bactérie/10 000 touchée par jour dans le coffre-fort en plomb du LSM. Dans ces conditions, les mutations de l’ADN dues au rayonnement sont négligeables au regard de celles issues des erreurs de copie de la machinerie cellulaire.
Passer d’un pas évolutif à dix
Ce premier résultat publié le 17 octobre dernier sur Scientific reports, est déjà un petit exploit pour l’équipe de Vincent Breton tant le protocole expérimental est éloigné des traditionnelles expériences de physique. Au départ d’ailleurs ils visaient 1000 générations, mais une contamination est venue saper les résultats au-delà de 500. « Avec ces 500 générations nous avons observé un pas évolutif, il nous en faudrait 10 pour rendre le résultat plus significatif » explique le chercheur. Il reste donc beaucoup à faire. Sans compter que Vincent Breton voudrait également réaliser cette comparaison avec des bactéries soumises à des doses de rayonnement ionisant 10 000 fois plus importantes, comme dans les sources naturelles radioactives. L’évolution expérimentale n’a pas fini de faire parler d’elle à l’IN2P3.
Ont participé à cette étude menée par le Laboratoire de physique de Clermont (LPC), le Laboratoire souterrain de Modane (LSM), le Centre d’étude nucléaire de Bordeaux Gradignan (CENBG), le laboratoire Techniques de l’Ingénierie Médicale et de la Complexité - Informatique, Mathématiques, Applications, Grenoble (TIMC-IMAG), et le Laboratoire microorganismes, génome et environnement (LMGE).
Pour aller plus loin
Le papier dans la revue Science Reports : « Reducing the ionizing radiation background does not significantly affect the evolution of Escherichia coli populations over 500 generations »