L’expérience nEDM repousse les limites de la précision pour percer le mystère de l’antimatière
La collaboration nEDM publie aujourd'hui une mesure d’une précision record du moment dipolaire électrique du neutron. Si ce moment n’a pas encore été détecté, les récentes analyses de l’expérience menée au Paul Scherrer Institut près de Zurich, ouvrent la voie à une expérience de nouvelle génération dont le démarrage est prévu en 2022. Ces mesures de haute précision, pour lesquelles les chercheurs de l’IN2P3 apportent des contributions majeures, sont complémentaires de celles effectuées au CERN ou au Japon et permettront peut-être de résoudre la grande énigme de l’asymétrie entre matière et antimatière dans l’Univers.
Le neutron est-il une « boussole électrique » ? La question n’est pas encore tranchée mais le résultat fera date. « Nous publions aujourd’hui la meilleure mesure mondiale du moment dipolaire du neutron,» explique Guillaume Pignol, co-responsable de l’expérience nEDM – pour neutron electric dipole moment - et enseignant-chercheur au LPSC. Les neutrons sont censés être des particules de charge nulle, mais l’existence d’un moment dipolaire électrique est suspectée depuis plus de 60 ans car étant composé de quarks électriquement chargées, le neutron n’est pas nécessairement uniformément neutre. Cette propriété, si elle était démontrée, serait une empreinte d’un mécanisme à l’origine de l’asymétrie matière-antimatière, qui s’observe par l’absence d’antimatière dans notre Univers. nEDM s’inscrit dans la quête de ce qu’on appelle la « nouvelle physique au-delà du modèle standard», qui motive la communauté de physique des particules sur de nombreuses expériences dont celles du LHC au CERN ou BELLE-2 au Japon.
Le neutron est une « boussole magnétique ». C’est à dire que son spin tourne (ou précesse) dans un champ magnétique. Si cet effet bien connu est utilisé quotidiennement en imagerie médicale, le même effet électrique – quoique autorisé théoriquement – n’a jamais été encore observé. L’effet magnétique étant dominant, le défi de l’expérience nEDM est de mesurer une très faible modification de la fréquence de rotation du spin du neutron en appliquant un champ électrique dans une direction puis dans la direction opposée. Cette mesure de haute précision suppose de disposer d’un champ magnétique stable, uniforme et parfaitement connu. Pour étudier les neutrons pendant le temps le plus long possible (en moyenne 3 minutes), les scientifiques utilisent un gaz de neutrons ultrafroids (leur vitesse est inférieure à 5 m/s) produit au Paul Scherrer Institut (PSI) à partir d’un faisceau de protons. À chaque cycle de mesure, le faisceau produit des neutrons qui sont dirigés vers l’expérience, exposés au champ électrique, puis comptés. En tout, les chercheurs ont enregistré 50 000 cycles et compté plus de 500 millions de neutrons
Les données prises entre 2015-2016 ont été analysées pour la première fois en mode « aveugle » jusqu’à l’automne 2019. Cette méthode, appelée « blinding » consiste à introduire une fausse déviation à zéro afin de ne pas biaiser l’interprétation des résultats lors de l’élaboration des méthodes d’analyse. Les scientifiques de nEDM ont ensuite repris leurs calculs avec les « vraies » données. Leur mesure donne finalement un moment dipolaire électrique nul, avec une incertitude statistique de 1,1.10-26 e cm (électron centimètre) et une incertitude systématique de 0,2.10-26 e cm. Cette dernière incertitude, cinq fois meilleure que celle obtenue lors des expériences précédentes démontre la très bonne connaissance du dispositif expérimental, sans cesse amélioré depuis les années 80. Ce résultat, qui établit un nouveau standard international, permet d’envisager une nette amélioration dans la version suivante de l’expérience, appelée n2EDM.
Toute déviation à zéro, aussi faible soit elle, serait une découverte majeure en physique des particules, car elle impliquerait l’existence de particules lourdes, non détectables aujourd’hui dans les expériences sur accélérateur. « La recherche au CERN ratisse large et cherche de manière générale à identifier de nouvelles particules et leurs propriétés », explique Philipp Schmidt-Wellenburg, co-responsable de l’expérience et chercheur à PSI. « De notre côté, nous allons en profondeur en scrutant une seule propriété d’une seule particule, le neutron. Mais nous atteignons sur ce détail un degré de précision que le LHC mettrait peut-être 100 ans à obtenir.»
nEDM est une collaboration scientifique d’une cinquantaine de membres qui a bénéficié de contributions majeures de la part des scientifiques IN2P3. Le LPC de Caen a notamment conçu le détecteur de neutrons de l’expérience, un élément clé du dispositif de mesure. Le LPSC a été responsable, entre autres, du magnétomètre atomique qui permet un grand contrôle du champ magnétique appliqué. Les scientifiques du LPCC, LPSC et du CSNSM (aujourd’hui IJCLab) ont pris part à l’analyse des données. L’IN2P3 est engagé fortement dans l’expérience de nouvelle génération n2EDM qui devrait démarrer en 2022 pour s’achever en 2027.
en savoir plus
- Communiqué de presse de PSI
- Measurement of the permanent electric dipole moment of the neutron
C. Abel et al.
Physical Review Letters 28 February 2020
Abstract preprint