Une approche interdisciplinaire pour identifier l'origine d’un marquage environnemental autour d’une ancienne mine d'uranium du Puy de Dôme

Energie et environnement

Le dispositif ZATU (Zone atelier territoires uranifères) rassemble un consortium interdisciplinaire de scientifiques (physiciens, radiochimistes, biologistes…) qui étudient l’effet de la radioactivité naturelle sur les socioécosystèmes. Ce consortium, qui implique les laboratoires SUBATECH, LPC, IPHC et CENBG a mis en place un programme de recherche destiné à comprendre les mécanismes de contamination d’une zone humide située en aval de l’ancienne mine d’uranium de Rophin dans le Puy-de-Dôme. Leurs résultats sont publiés dans la revue Science of The Total Environment.

Le bassin versant du site minier de Rophin : un cas d’étude

Le site de Rophin est situé dans le Puy-de-Dôme et a vu l’exploitation de l’uranium sur une partie de son bassin-versant de 1948 à 1957. Le site abrite aujourd’hui un stockage ICPE (Installation classée pour la protection de l’environnement) avec plus de 30 000 tonnes de résidus hérités du traitement du minerai. Ce petit bassin versant étant drainé par un cours d’eau, le consortium a particulièrement focalisé son attention sur une zone humide marquée, située à l’aval du site ICPE, et qui constitue un biotope très particulier.

Le but du projet, soutenu par le programme NEEDS du CNRS et par le projet européen RADONORM, est d’identifier l’origine, le processus évolutif et les mécanismes de transfert des radioéléments tels que l’uranium (U) et le thorium (Th) qui, en subissant des désintégrations radioactives, donnent naissance à de nouveaux produits eux-mêmes radioactifs dits « de filiation » comme le radium 226 (226Ra) et le polonium 210 (210Po).

En couplant l’expertise de radiochimistes, de dendrologues, de géochimistes et l’analyse des archives sédimentaires et des archives historiques du site, il a été possible de déterminer l’origine du marquage observé dans la zone humide (figure 1, ci-dessous).

Frise temporelle des opérations de la mine
Figure 1 : Chronologie des opérations de la mine de Rophin avec des photographies aériennes horodatées et la stratégie d'échantillonnage pour l'analyse des cernes des arbres. Illustration issue de Science of the Total Environment 747 (2020) 141295.

Des corrélations entre exploitation minière et marquage

Les mesures données par les relevés d’irradiation gamma de la zone humide, en aval du site de Rophin, ont établi un niveau de 1050 nSv.h-1. Les carottes de sol extraites dans la zone humide ont montré des concentrations en uranium allant jusqu'à 1 855 mg.kg-1 contre un fond géochimique local de 10 mg.kg-1. Cette radioactivité est associée à la présence d’une couche de sol composée de sable, de limon et d’argile conservant bien l’humidité et située juste sous le sol forestier.

L’exploitation des photographies aériennes, anciennes et récentes, couplées aux chrono-marqueurs que sont les activités en césium 137 (137Cs) et en carbone 14 (14C), suggèrent qu'il y a eu un rejet de particules contenant de l’uranium pendant les phases d’exploitation minière du site (voir figure 2, ci-dessous).

Carte du bassin versant
Figure 2 : Vue d'ensemble du bassin versant du Gourgeat avec les lieux d'échantillonnage. A gauche : Photographie aérienne (1954) avec l'usine de traitement de la mine de Rophin. A droite : Photographie aérienne (2015) du site de l'ICPE avec les débits de dose gamma interpolés. Au centre : Photographies et descriptions des profils de sol des carottes U1 et D1 sur 74 et 100 cm. Une deuxième carotte (D2) avec une résolution verticale plus élevée a été prélevée en avril 2018. Figure issue de Science of the Total Environment 747 (2020) 141295.

En outre, les isotopes stables du plomb (204Pb, 206Pb, 207Pb et 208Pb) indiquent que la contamination dans la couche marquée en uranium est plutôt corrélée à la présence des particules d’origine minière (signature isotopique proche de celle d’un minerai d’uranium). Enfin, une étude basée sur l’analyse de l’uranium présent dans des cernes de croissance des arbres, couplant dendrochronologie et dendrochimie, a été réalisée sur les cernes des chênes du site. Elle établit une corrélation entre les marquages en uranium des cernes et les périodes d’exploitation minière.

Cette approche systémique a donc mis en évidence une diffusion des radionucléides dans l’environnement directement liée à la période d’exploitation de l’ancienne mine d’uranium. Elle est issue d’un processus de sédimentation de particules riches en radionucléides transportées dans le bassin versant sous forme de particules minérales en suspension dans les eaux. Ce phénomène est incontestablement associé aux anciennes activités minières et aux épisodes de débordement des bassins de décantation. Depuis la fermeture de la mine, il y a plus de 60 ans, la végétation a reconquis progressivement le site.

Ce travail collaboratif et pluridisciplinaire se poursuit dans la zone humide de Rophin. Cette zone-atelier permettra de mieux comprendre les effets « cocktails » des radionucléides sur nos écosystèmes qui soulèvent de nombreuses préoccupations environnementales et sociétales.

Le dispositif ZATU

Le dispositif ZATU, labellisé par l’Institut écologie et environnement du CNRS, vise à faire converger des approches pluridisciplinaires et fédère des recherches menées en laboratoire et sur les sites naturels pour établir la portée des impacts écologiques liés aux activités d’extraction de minerais radioactifs comme l’uranium. Pour le monde académique (SUBATECH, LPC, IPHC et CENBG), le rôle de la ZATU est aussi de créer un lien scientifique étroit entre les acteurs du nucléaire (IRSN, ASN, CEA) et hors nucléaire (BRGM, INRAE) en vue d’améliorer les protocoles d’évaluation des risques de contaminations associés à la manipulation et au transport des éléments radioactifs. La ZATU permet également de déterminer des processus de « réparation » des sites contaminés et la gestion, à plus long terme, des matériaux radioactifs.

Bibliographie :

A. Martin, Y. Hassan-Loni, A. Fichtner, O. Péron*, K. David, P. Chardon, S. Larrue, A. Gourgiotis, S. Sachs, T. Arnold, B. Grambow, T. Stumpf, G. Montavon, « An integrated approach combining soil profile, records and tree ring analysis to identify the origin of environmental contamination in a former uranium mine (Rophin, France) », Science of The Total Environment, 747, 141295, 2020. https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2020.141295.

En savoir plus :

Contact

Olivier Péron
Enseignant-chercheur à l'Université de Nantes / SUBATECH
Sébastien Incerti
DAS Interdisciplinarité
Jennifer Grapin
Chargée de communication