L'origine des rayons cosmiques est à chercher dans des superbulles galactiques
L'énigme était tenace. Près de 110 ans après leur découverte, l'origine des rayons cosmiques restait encore très spéculative. En s'appuyant sur une description précise de ces particules et en étudiant en détail par simulation différents lieux et mécanismes pour leur accélération dans notre Galaxie, une équipe de physiciens emmenés par Vincent Tatischeff chercheur à IJCLab (1) a établi un scénario global et cohérent de la genèse du rayonnement cosmique. Leurs résultats publiés ce-jour dans la revue MNRAS (Monthly Notices of the Royal Astronomical Society), montrent que le berceau de ces bolides est à chercher dans des superbulles de plasma extrêmement chaud.
Le rayonnement cosmique est un bombardement continu de particules chargées, principalement des noyaux d'atomes allant du proton aux noyaux les plus lourds. Ces noyaux proviennent pour l’essentiel de la Voie lactée et frappent la Terre avec des énergies parfois des millions de fois supérieures à celles atteintes dans les accélérateurs de particules terrestres. Il est admis que cette énergie leur est probablement transmise par l'onde de choc d'une explosion d'étoile en supernova. Par contre, le scénario précis de cette genèse restait à écrire. A l'issue d'un vaste travail de modélisation numérique mené par une équipe internationale dirigée par Vincent Tatischeff chercheur à IJCLab (1), le décor initial prend désormais forme. Dans l'article qu'ils publient ce jour dans la revue Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, ils montrent que le rayonnement cosmique prend vraisemblablement sa source dans des superbulles cosmiques, des zones galactiques baignées dans un nuage de gaz ionisé à plus d'un million de degrés issu des vents d’étoiles massives et de supernovæ.
Le rayonnement cosmique fidèlement reproduit
« Lorsque l'on simule l'accélération du contenu de ces superbulles par l'onde de choc d'une supernova, on retrouve bien la composition très particulière du rayonnement cosmique mesurée depuis l'espace ou dans la haute atmosphère », explique Vincent Tatischeff. Cette composition est en effet différente de celle du système solaire et du milieu interstellaire local. On y trouve par exemple un déficit d'hydrogène et d'hélium, un rapport isotopique néon 22 sur néon 20 cinq fois plus élevé ou encore une surreprésentation des éléments réfractaires (2) par rapport aux éléments volatils. « Notre scénario explique pour la première fois l'abondance de tous les rayons cosmiques dits primaires ou principalement primaires de l'hydrogène jusqu'au zirconium (numéro atomique Z=40) », se félicite le chercheur d'IJCLab.
Un grand nombre de données inédites
Pour arriver à ce résultat l'équipe a simulé la composition et l'état d'ionisation du milieu interstellaire de ces superbulles mais aussi d'autres environnements galactiques plus froids. Ils ont par ailleurs étudié les mécanismes d'accélération des particules dans les ondes de choc, et en combinant l'ensemble de ces données inédites, ils ont déterminé les conditions nécessaires à la production du rayonnement cosmique et ainsi pointé du doigt les ondes de chocs de supernovæ dans les superbulles. « Nous avons également eu la surprise de constater qu'une petite frange du rayonnement cosmique, environ 6%, provenait des vents d'étoiles géantes », précise Vincent Tatischeff. « C'est cette contribution inattendue qui serait à l'origine de l'étonnant rapport isotopique du néon ».
Vers une explication des rayons les plus énergétiques ?
Mais ce n'est pas tout, ce scénario « superbulles » pourrait bien réserver d'autres surprises. « Si des particules de haute énergie peuvent être confinées suffisamment longtemps dans le plasma magnétisé des superbulles, elles pourraient en théorie subir plusieurs accélérations par des ondes de choc successives et gagner en énergie », indique Vincent Tatischeff. « C'est un sujet intéressant parce qu'à l'heure actuelle on ne sait pas expliquer comment des rayons cosmiques sont accélérés dans notre galaxie jusqu'à des énergies de 1016 à 1018 eV ».
(1) Les autres laboratoires français impliqués sont l’Institut de minéralogie, de physique des matériaux et de cosmochimie (CNRS / Museum national d’histoire naturelle / Sorbonne Université) et le laboratoire AstroParticule et Cosmologie (CNRS / CEA / Université de Paris / Observatoire de Paris). Les auteurs étrangers dépendent du Harvard-Smithsonian Center for Astrophysics (Etats-Unis) et du département de Physique de l’Université de Turin (Italie).
(2) Les éléments chimiques sont communément classés en fonction de leur température de condensation. Les éléments les plus réfractaires, comme l’aluminium, le calcium ou le zirconium ont des températures de condensation supérieures à 1400 K et dans le milieu interstellaire on les trouve essentiellement incorporés dans des grains de poussière.