Il y a 20 ans, l’observatoire H.E.S.S. révolutionnait l’astronomie gamma de haute énergie
En juin 2002, la collaboration H.E.S.S orientait son premier télescope vers le Blazar PKS 2155-304, un noyau actif de galaxie parmi les plus brillants de l’hémisphère sud. Les scientifiques ambitionnaient alors d’explorer l’Univers d'une nouvelle manière, en cherchant à détecter les rayons gamma de très haute énergie, des rayonnements que seuls des phénomènes cosmiques très énergétiques seraient en mesure de produire. 20 ans après, leurs espoirs n’ont pas été déçus. D’année en année, la voûte céleste, si calme en apparence, s’est piquetée de plusieurs centaines de nouvelles sources témoignant de phénomènes cosmiques à l’intensité jusque-là insoupçonnée. Retour sur l’épopée H.E.S.S. avec Mathieu de Naurois, chercheur au LLR et directeur international adjoint de la collaboration.
Vous voyez cette image, c’est celle de notre Galaxie, la Voie lactée. Tous les points lumineux qui s’en détachent sont des sources de rayon gamma de très haute énergie : des pulsars, des systèmes d’étoiles binaires, des rémanents de supernova, des nébuleuses à vent de pulsars, etc. Toute une population d’objets découverts, pour la plupart, au fil des 20 dernières années et qui sont autant de manifestations d’une face hyper violente de l’Univers dont personne ne soupçonnait l’importance. En 2000, seules huit sources de cette nature étaient connues et l’Univers ultra violent n’intéressait que peu de scientifiques. Aujourd’hui, le nombre de sources détectées approche les 300 et l’astronomie gamma de haute énergie a définitivement acquis ses lettres de noblesse. Une petite révolution dans notre vision de l’Univers que l’on doit pour une très grande part à l’entrée en service du télescope H.E.S.S. en Namibie à partir de 2002. Il y a tout juste 20 ans.
Aboutissement de 30 ans de recherches
Si le réseau de télescopes H.E.S.S. a révolutionné l’astronomie gamma en ce début de millénaire, au point de recevoir les prestigieux prix Descartes décerné par la commission européenne et Rossi de la société américaine d’astronomie, ce n’est pas tout à fait par hasard. C’est avant tout parce que l’instrument était l’aboutissement de plus de 35 ans de recherches pour essayer de capter, depuis le sol, ces rayonnements hautement énergétiques, que les instruments spatiaux sont incapables de percevoir. L’aventure a démarre en 1967 en Arizona avec l’expérience Whipple qui met en service le premier télescope destiné à recueillir l’infime flash lumineux que déclenchent indirectement les rayons gamma de très haute énergie à leur entrée dans l’atmosphère. Le télescope est un énorme miroir composite géant de 10m de diamètre, composé de 248 petits miroirs, qui concentrent la lumière des flashes vers une caméra placée au point focal. A l’époque, les scientifiques observent bien l’existence de ces traces lumineuses, mais impossible pour eux d’en extraire la moindre information sur l’origine cosmique. « La technique était la bonne, explique Mathieu de Naurois, mais la technologie des caméras de l’époque rendait impossible la moindre détection car les flashs sont beaucoup trop courts, de l’ordre de quelques nanosecondes. » Il faudra patienter jusqu’en 1989, avec notamment l’augmentation du nombre de pixels de la caméra, pour qu’enfin, la technologie permette de localiser avec certitude une première source de rayons gamma de haute énergie dans le ciel. Il s’agit de la nébuleuse du Crabe, une nébuleuse à vent de pulsar localisée dans notre galaxie.
H.E.S.S. fait en 5 minutes ce qui prenait des heures
Les bases sont enfin posées, mais la technique peine encore à y voir clair. Seule l’une des plus puissantes sources du ciel est perçue. Dans la foulée, Whipple est rejoint au début des années 90 par deux autres expériences, HEGRA et CAT, qui vont toutes les deux apporter deux briques technologiques décisives. « HEGRA a déployé plusieurs télescopes pour observer les traces sous plusieurs angles et obtenir une vision stéréoscopique précise Mathieu de Naurois, tandis que CAT, la première expérience française d’astronomie gamma déployée sur le site de la centrale solaire Thémis dans les Pyrénées par le pionnier du LLR (1) Patrick Fleury, a expérimenté une caméra finement pixellisée et à électronique rapide, qui pouvait à la fois capter et traiter le signal avant de le transmettre aux ordinateurs. » Les deux approches montrent leur potentiel, mais il en faut plus pour faire décoller l’astronomie gamma de haute énergie. En parallèle, une communauté internationale se structure et converge petit à petit vers la conception de H.E.S.S., un instrument de nouvelle génération pourvu du meilleur de chaque observatoire déjà en service : le système de télescope à grand miroir inventé par la collaboration Whipple, la stéréoscopie expérimentée par HEGRA et l’électronique rapide intégrée à la caméra de CAT. Il fallait à Whipple 25 heures d'exposition pour détecter une source du niveau de la Nébuleuse du Crabe. H.E.S.S. allait pouvoir faire la même chose en 5 minutes.
Cinq télescopes en réseau
H.E.S.S. est un observatoire constitué de cinq télescopes en réseau faits de miroirs composites surmontés d’une caméra à électronique rapide. Quatre « petits » télescopes de 12 m et de forme arrondie, construits de 2002 à 2003, sont disposés en un carré de 120 m de côté pour la vision stéréoscopique. Un grand télescope central de 28 m de forme parabolique rejoint le site en 2012. Le tout est installé en Namibie sur le plateau semi désertique du Gamsberg. « C’est un site magnifique et sauvage où j’aime beaucoup me rendre reconnait Mathieu de Naurois. Il est à 1h30 de piste de la capitale Windhoek et on y rencontre plein d’antilopes de différents types, des autruches, des zèbres ou encore des babouins. Mais ça n’est pas l’exotisme qui nous a poussés à choisir l’endroit. Il répond surtout aux nombreux prérequis nécessaires pour observer les flashs lumineux dans les meilleures conditions possibles. » Le premier prérequis est de positionner l’observatoire dans l’hémisphère sud, au niveau du tropique du Capricorne, pour avoir un regard privilégié sur les régions centrales de la Galaxie. Ensuite il faut une région sèche, avec un ciel limpide et sans pollution lumineuse. Et pour finir, il est nécessaire de respecter une altitude d’environ 2000 m. « C’est stratégique ! précise le chercheur du LLR. Les gerbes produites par les rayons gamma se forment en effet à environ 10 km d’altitude et émettent un cône de lumière très fin qui couvre une surface d’environ 250 m de diamètre au sol au niveau de l’observatoire. À plus haute altitude les cônes seraient trop étroits et moins nombreux à toucher les télescopes. À plus basse altitude, le signal serait en revanche trop atténué par l’atmosphère. L’optimum est entre 1500 et 2000 m et sur le plateau du Gamsberg nous sommes à 1850m d’altitude. Mis à part un autre site situé sur les contreforts de la cordillère des Andes au Chili, seul le site Namibien remplit toutes les conditions. »
Deux minutes pour changer de position
En plus d’être bien placé, H.E.S.S. est presque aussi agile que les bandes de babouins qui régulièrement lui rendent visite. Malgré leur imposante stature, l’ensemble des télescopes peut basculer vers un point du ciel en moins de deux minutes. « De façon un peu paradoxale, c’est finalement le télescope central qui bouge plus vite que les quatre petits, » s’amuse le scientifique. Du coup l’observatoire a fait entrer l’astronomie gamma de très haute énergie dans l’ère de l’astronomie muti longueurs d’ondes et multi messagers. Lorsqu’un événement exceptionnel est capté par un autre observatoire, dans le visible, les ondes gravitationnelles, les ondes radio, etc. une alerte est donnée avec les coordonnées de la source. Tous les instruments qui le peuvent vont alors se tourner dans cette même direction. « Pour H.E.S.S., la décision d’interrompre le programme d’observation pour se tourner vers la nouvelle cible est prise en deux secondes indique Mathieu de Naurois. Ces alertes nous ont ainsi permis d’observer des phénomènes extrêmes comme des sursauts gamma, ou des explosions thermonucléaires à la surface d’étoiles arrachant de la matière à une étoile compagnon » Le reste du temps, les télescopes quadrillent le ciel ou observent des cibles en fonction d’un programme établi à l’avance à partir des demandes qui sont faites à l’observatoire. En permanence, trois personnes se relaient dans la salle des commandes du site pour assurer des shifts d’observation d’une durée de trois semaines correspondant aux cycles lunaires.
Une science qui a de beaux jours devant elle
« J’y vais moi-même tous les un à deux ans environ » indique Mathieu de Naurois qui travaille sur ce projet depuis la première heure et qui, dès sa thèse, s’est piqué au jeu de poser les premières pierres de ce domaine d’astronomie encore quasi vierge. « H.E.S.S. a vraiment tout changé. On sait maintenant que l’Univers est actif dans tous les domaines du spectre électromagnétique et que les rayons gamma en sont une composante importante. Et grâce à ces observations, on comprend maintenant mieux ce qui se passe dans les restes de supernova, le centre de la Voie lactée où encore dans les sursauts gamma et les noyaux actifs de galaxie pour ne citer qu’eux. Dans ces phénomènes, des rayons cosmiques sont accélérés jusqu’à plusieurs centaines de TeV et ils peuvent jouer un rôle dans la redistribution de matière dans l’espace intergalactique et influer sur l’évolution de l’Univers.
De fait, toute une nouvelle science a émergé de ces observations. Une science qui a encore de beaux jours devant elle puisque CTA, un nouvel observatoire de rayons gamma de très haute énergie encore plus performant que H.E.S.S. est déjà en construction pour ouvrir toute grande la fenêtre sur l’Univers violent. CTA comptera plus de 60 télescopes de 4 à 23 de diamètre et sera situé sur deux sites. Un premier, au sud du globe à proximité de l'observatoire Paranal au Chili, sera dédié aux multiples sources des régions centrales de notre Galaxie. Un second, au nord sur l'île de La Palma aux Canaries, sera consacré principalement à l'étude des sources extragalactiques telles que les noyaux actifs de galaxies. Son démarrage progressif est attendu pour 2025, il sera temps alors pour l’observatoire H.E.S.S. de passer la main.
- Laboratoire Leprince Ringuet (CNRS – École Polytechnique)
Retour sur la cérémonie des 20 ans
Quelques vidéos de l'événement tournées par les médias locaux :
Site web du Windhoek Express et sa page Facebook
L’observatoire H.E.S.S. fête ses 20 ans | #Astroparticules
En 20 ans, l’observatoire H.E.S.S. a révolutionné l’astronomie gamma en ouvrant une fenêtre inédite sur les phénomènes les plus violents de l’Univers.
Audiodescription
H.E.S.S. a été créé en 2002 pour observer les phénomènes les plus violents de l'Univers.
Il est situé en Namibie, à 1800m d'altitude, dans une une région bien connue pour l'excellente qualité optique de son ciel ! C'est le plus grand observatoire de ce type au monde.
Ses 5 télescopes traquent les rayons gamma de haute énergie, des rayons que seuls les phénomènes les plus violents de l'Univers peuvent produire.
En 20 ans il a participé à la découverte de près de 300 sources gamma de haute énergie.
Il a ainsi dévoilé un univers beaucoup plus agité qu'on ne le pensait.
En 2006, H.E.S.S. a été classé au 10e rang des observatoires les plus influents du monde.
Alors qu'il fête son 20e anniversaire, sa quête continue.
Dans quelques années il s'effacera au profite du nouveau projet d'astronomie gamma CTA.
Joyeux anniversaire H.E.S.S. !
À propos de la collaboration H.E.S.S.
L’observatoire international H.E.S.S., composé de cinq télescopes installés en Namibie, implique des laboratoires de treize pays (principalement France et Allemagne, mais aussi Namibie, Afrique du Sud, Irlande, Arménie, Pologne, Australie, Autriche, Suède, Royaume-Uni, Pays-Bas et Japon).
En France, le CNRS et le CEA sont les organismes les plus impliqués, à travers neuf laboratoires :
- laboratoire Astroparticule et cosmologie (CNRS/Université de Paris),
- Laboratoire de physique des 2 infinis Bordeaux (CNRS/Université de Bordeaux),
- Centre de physique des particules de Marseille (CNRS/Aix-Marseille Université),
- Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'Univers (Irfu) du CEA,
- Laboratoire d'Annecy de physique des particules (CNRS/Université Savoie Mont Blanc),
- Laboratoire Leprince-Ringuet (CNRS/École polytechnique – Institut polytechnique de Paris),
- Laboratoire de physique nucléaire et de hautes énergies (CNRS/Sorbonne Université),
- Laboratoire Univers et particules de Montpellier (CNRS/Université de Montpellier),
- Laboratoire Univers et théories (Observatoire de Paris – PSL/CNRS/Université de Paris).
La France est également déjà engagée dans le projet CTA pour le développement de la nouvelle génération de télescopes, une Très grande infrastructure de recherche dans la stratégie nationale du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation.
Pour en savoir plus sur H.E.S.S. :
Page principale de la collaboration H.E.S.S. : www.mpi-hd.mpg.de/HESS
Instrument H.E.S.S. : www.mpi-hd.mpg.de/HESS/pages/about/