L’expérience XENONnT ouvre une nouvelle ère pour l’astronomie neutrino
La collaboration XENON à laquelle participe l’IN2P3, a annoncé lors de la conférence IDM à L’Aquila, avoir capté et identifié le passage de neutrinos solaires. Ce type de détection, extrêmement rare et normalement réservé à des détecteurs 10 à 50 fois plus grands, a été rendu possible par l’extrême sensibilité du détecteur, conçu pour débusquer la matière noire. Il est si sensible qu’il parvient à ressentir non seulement les réactions nucléaires entre neutrinos et constituants du noyau, mais aussi les infimes chocs beaucoup plus fréquents que certains neutrinos vont infliger au noyau tout entier. Une première qui promet de révolutionner l’astronomie neutrino.
À l’intérieur du détecteur de matière noire XENONnT, blotti à 1400 m sous les Apennins, en Italie, 5,9 tonnes de xénon liquide ultra pur attendent d’éventuelles interactions avec des particules de matière noire. De ces interactions, la collaboration XENON n’en a vu nulle trace à ce jour. En revanche, celle-ci a annoncé le 10 juillet dernier, à l’occasion de la conférence IDM (International Workshop on the Identification of Dark Matter), avoir détecté un autre phénomène presqu’aussi renversant. À défaut de particules de matière noire, le détecteur a perçu les infimes « bousculades » quasi imperceptibles entre des neutrinos solaires et les noyaux de xénon de l’expérience. Un phénomène, connu sous le nom de « diffusion élastique cohérente des neutrinos sur les noyaux », ou CEνNS. Les physiciens théoriciens l’avaient envisagé dès 1974, mais il est si discret qu’il a fallu attendre 2017 pour qu’il soit expérimentalement démontré par l’expérience COHERENT à partir du flux de neutrinos artificiels produit sur l’installation neutronique d’Oak Ridge (ORNL, Tennessee, Etats-Unis). Avec l’annonce de la collaboration XENON, c’est donc la toute première fois que ce phénomène est observé avec des neutrinos d’origine naturelle. Une première qui ouvre des perspectives intéressantes pour l’astronomie neutrino, une astronomie qui étudie les astres, non pas en fonction des ondes qu’ils émettent, mais d’après les neutrinos qui en sortent.
L’expérience est sensible aux neutrinos solaires
Les réactions de fusion au cœur du Soleil produisent des quantités phénoménales de neutrinos qui peuvent nous en dire long sur les phénomènes à l’œuvre au sein de notre étoile. Malheureusement, ces particules n’interagissent que très faiblement avec la matière et les détecteurs de neutrinos, pourtant gigantesques, ne parviennent à en voir que très rarement. Ils utilisent peu ou prou tous la même méthode qui est d’observer de grands volumes de liquide où ils attendent que les neutrinos réagissent avec un proton, un neutron ou un électron et produisent une réaction détectable. Réaction dont la probabilité de se produire est extrêmement faible. Et c’est là que la technique de détection utilisée par l’expérience XENON change tout. La diffusion élastique sur les noyaux se produit beaucoup plus couramment et la détection des neutrinos devient dès lors à la portée de plus petits détecteurs constitués de gros noyaux cibles comme les noyaux du xénon.
Les résultats de l’expérience XENONnT sont en effet éloquents. Les scientifiques ont recherché dans leur détecteur des neutrinos issus de la désintégration du bore 8 en bérylium 8, une réaction à la fois assez fréquente dans le Soleil et qui produit les neutrinos solaires les plus énergétiques, autour de 10 MeV. Ce sont en quelque sorte les neutrinos les plus faciles à voir. Le flux de ces neutrinos sortant du Soleil et nous traversant a été estimé par l’expérience SNO (Canada) en 2001 à 2,5 millions de particules par centimètre carré et par seconde. SNO utilisait alors un détecteur de 1000 tonnes d’eau lourde. Ce même flux est aujourd’hui mesuré par XENONnT avec seulement 5,9 tonnes de masse active de xénon.
Bien sûr, détecter ce signal n’est pas à la portée de n’importe quel détecteur. C’est parce qu’il a été conçu pour détecter le signal bien plus rare de particules de matière noire que le détecteur XENONnT a pu réaliser cette prouesse. « Nous savions que des neutrinos cosmiques pouvaient interagir de cette manière avec les noyaux de notre détecteur et avons donc dédié un programme de recherche à cette observation, commente Luca Scotto Lavina, chercheur au LPNHE et responsable du Projets XENON à l’IN2P3. Le prédécesseur de l’expérience actuelle, XENON1T, avait déjà tenté de capter les signaux des neutrinos mais sans succès, car la sensibilité du détecteur n’était pas suffisante pour distinguer les neutrinos du bruit de fond trop élevé. Avec XENONnT, c’est désormais possible ». Mais deux ans de mesure ont tout de même été nécessaires pour enfin observer un surplus d’une dizaine d’événements attribuables à la CEνNS.
Un observatoire d’astronomie neutrino en puissance
On le comprend, pour sonner le véritable avènement de l’astronomie neutrino, il faudra donc construire des détecteurs plus grands que XENONnT. À l’image de son successeur, le détecteur XLZD devrait prendre le relai dans les années 2030 avec 40 tonnes de xénon. « Si XENONnT parvient à estimer le flux de neutrinos du bore 8 à 12 % près, XLZD pourra le faire à 1 % près, précise Luca Scotto Lavina. En effet, plus le détecteur est grand, plus il s’y produit d’événements. Avec XLZD, nous verrons mieux les neutrinos du bore 8, mais nous verrons aussi d’autres neutrinos plus rares ou moins énergétiques, issus d’autres réactions ou phénomènes, comme les réactions de la chaîne proton-proton qui sont le carburant principal du Soleil, ou les réactions à l’origine de la production de l’azote, du carbone et de l’oxygène dans l’étoile. Et, au-delà de notre étoile, nous pouvons envisager la détection de neutrinos de supernova à effondrement de cœur, voire des neutrinos du fond diffus de supernova. » Au-delà d’être un « chasseur » de matière noire, le détecteur XLZD aura le potentiel d’ouvrir un nouveau chapitre pour constituer la pierre angulaire expérimentale d’une future compréhension fine du cosmos et de l’Univers grâce à l’astronomie neutrino.
À propos de l’expérience XENONnT :
Environ 200 scientifiques de plus de 25 institutions à travers le monde forment la collaboration internationale XENON, représentant plus de 25 nationalités différentes. Depuis 2006, cette collaboration recherche la matière noire à l'aide de chambres à projection temporelle au xénon liquide dans le cadre d'une série d'expériences : XENON10, XENON100, XENON1T et XENONnT.
L'expérience XENONnT a été conçue pour rechercher des particules de matière noire avec une sensibilité supérieure d'un ordre de grandeur à celle de son prédécesseur. Le détecteur cylindrique au cœur de l'expérience est une chambre à projection temporelle (TPC). D'une hauteur et d'un diamètre d'environ 1,5 mètre, il est rempli de xénon liquide ultrapur maintenu à -95°C. Une masse de 5900 kg de xénon sur les 8600 kg nécessaires au fonctionnement du détecteur constitue la cible active pour les interactions avec les particules. Il est installé à l'intérieur d'un veto Cherenkov pour les muons et les neutrons, dans les profondeurs des Laboratoires nationaux du Gran Sasso (INFN), en Italie. XENONnT a été construit puis mis en service entre le printemps 2020 et le printemps 2021.
En France, l’IN2P3 est associé à ce projet depuis 2009 à travers deux de ses laboratoires : le LPNHE (Paris) et SUBATECH (Nantes). Consulter la fiche projet en ligne
En savoir plus
Communiqué de la collaboration : en français – in english
Présentation des résultats à IDM (International Workshop on the Identification of Dark Matter)
Site de la collaboration XENON (en anglais) : https://xenonexperiment.org/