L'observatoire Rubin prépare le futur de l'astronomie multi-messagers
L'Observatoire Vera C. Rubin en construction au Chili, équipé d’un télescope optique à grand champ de vue, permettra de réunir des observations coordonnées de phénomènes cosmiques en s’appuyant sur les quatre messagers de l'Univers.
Les photons, les neutrinos, les rayons cosmiques et les ondes gravitationnelles sont tous porteurs d'informations sur l'Univers. L'astronomie multi-messagers réunit ces quatre signaux pour étudier les événements astronomiques sous de multiples angles. Grâce à sa caméra sensible et à son ensemble de filtres, l'observatoire Vera C. Rubin va multiplier le nombre de sources multi-messagers connues en s’appuyant sur l’analyse de leur couleur et en localisant précisément des évènements dont le suivi pourra être assurer par d’autres telescopes.
L'astronomie s'est toujours appuyée sur la lumière pour étudier l'Univers. Mais la capture de photons n'est plus la seule technique dont dispose les scientifiques pour étudier les phénomènes astronomiques. Les neutrinos, les rayons cosmiques, mais aussi les ondes gravitationnelles - des ondulations dans le tissu de l'espace-temps - sont également des messagers. L'astronomie multi-messagers vise à combiner les informations provenant de plusieurs de ces signaux afin de permettre aux chercheurs de mieux comprendre certains des événements les plus extrêmes de l'Univers. L'observatoire Vera C. Rubin contribuera bientôt à ce domaine émergent en utilisant sa puissante caméra et son large champ de vue pour déceler de faibles sources multi-messagers dont le suivi sera assuré par d’autres télescopes qui pourront pointer avec précision dans la bonne direction. L'astronomie multi-messagers est un moyen amélioré d'étudier les événements cosmiques tels que les explosions stellaires, les trous noirs actifs et les coalescence d’objets compacts, pour n'en citer que quelques-uns. Chaque messager communique des informations uniques sur les processus physiques et les énergies en jeu. Lorsqu'une source unique est observée à l'aide de plusieurs signaux, les données peuvent être combinées pour atteindre un niveau de compréhension plus approfondi. « Le résultat est plus que la somme de ses parties », explique Raffaella Margutti, professeure associée à l'université de Californie à Berkeley.
Outre le relevé systématique du ciel austral, appelée Legacy Survey of Space and Time (LSST), Rubin effectuera également des observations sur des « cibles d'opportunité » en réponse rapide à des alertes concernant des sources potentielles de messagers multiples. En tant que grand télescope le plus rapide au monde, Rubin peut pointer des cibles en seulement trois minutes. Ses observations fourniront des informations cruciales sur les propriétés optiques des événements, en fournissant en outre une localisation précise, ce qui rendra possible leur suivi par d’autres télescopes. Cependant, pour coordonner plusieurs télescopes capables de détecter les différents types de messagers, les scientifiques doivent savoir où chercher. Les signaux tels que les ondes gravitationnelles et les neutrinos peuvent indiquer aux scientifiques la direction générale d'une source, mais pour la localiser avec précision, il faut de la lumière. C'est là que Rubin, équipé de la caméra la plus grande et la plus sensible jamais construite pour l'astronomie et l'astrophysique, va briller.
Margutti, dont les études portent spécifiquement sur la recherche des contreparties électromagnétiques des ondes gravitationnelles, explique : « Les observatoires d'ondes gravitationnelles ne peuvent que vous dire : 'Regardez à peu près dans cette direction et cherchez y quelque chose de très faible’. Mais on ne sait pas exactement où chercher. » En outre, la distance à laquelle les observatoires actuels sont capables de détecter les ondes gravitationnelles peut être bien supérieure à la limite de ce qu'ils peuvent détecter avec les photons, ce qui rend difficile l'observation d'un événement avec les deux messagers.
Grâce à ses capacités d’observation étendues et profondes, Rubin contribuera à atténuer ces deux difficultés. « Rubin est doublement gagnant », déclare Margutti. « Son fort pouvoir de collecte de la lumière et sa capacité à balayer de grandes parties du ciel le rendent très sensible aux signaux optiques faibles, comme ceux que nous rechercherions auprès d'une source d'ondes gravitationnelles ».
Image : Rubin Observatory/NOIRLab/NSF/AURA/P. Marenfeld
Jusqu'à présent, un seul événement impliquant plusieurs messagers a été observé : la fusion de deux étoiles à neutrons, qui a provoqué des ondulations de l'espace-temps et envoyé des photons à travers le cosmos. D'autres événements susceptibles d'émettre plus d'un messager sont les fusions trou noir-étoile à neutrons et trou noir-trou noir. « Je serais très enthousiaste si nous trouvions des photons provenant de ce type de fusions », déclare Margutti. « Rubin est particulièrement bien placé pour confirmer et donner plus d’informations sur les types de fusions qui produisent de la lumière ».
La capacité de Rubin à détecter des sources peu lumineuses changera également la donne pour l'étude des neutrinos. Robert Stein, chercheur postdoctoral à l'Institut de technologie de Californie, explique : « Il existe de nombreux types de sources de neutrinos possibles, mais les télescopes optiques existants ne sont capables de voir que les sources les plus brillantes et les plus inhabituelles. ». En se basant sur le nombre de neutrinos arrivant aux détecteurs ici sur Terre, les scientifiques pensent qu'il existe une vaste population de sources de neutrinos à des distances variables dans l'Univers. Toutefois, compte tenu des limites des télescopes existants, Stein estime que seuls 5 à 10 % d'entre elles sont actuellement à portée des télescopes dans le visible. En mettant en lumière pour la première fois une myriade de sources faibles, Rubin pourrait faire passer ce chiffre à 50 %.
« La science des neutrinos n'en est qu'à ses débuts, et la liste des sources possibles est encore en cours d'élaboration », explique Stein. « Dans dix ou quinze ans, nous découvrirons probablement que des événements que nous connaissons déjà sont également des sources de neutrinos ».
Margutti et Stein sont tous deux convaincus qu’à travers l'astronomie multi-messagers Rubin nous réserve des surprises. Comme il couvre de vastes étendues du ciel de l'hémisphère sud, il est impossible de savoir ce que la vision inégalée de Rubin va révéler. « Rubin est une machine à découvertes », déclare Margutti. Stein abonde dans le même sens : « J'espère apprendre quels sont les nouveaux types de sources que nous devrions étudier par la suite. Si Rubin pouvait nous apporter cette clarté, et je pense qu'il le fera, ce serait formidable ».
Le défi de relier les événements optiques et gravitationnels
Pendant son fonctionnement, Rubin sera amené à observer une multitude d'événements qu'il est crucial de distinguer et d'identifier pour en tirer un maximum d'informations. Cette tâche est effectuée par des programmes informatiques appelés « brokers d'alertes ». Parmi eux, Fink, un broker français développé au laboratoire IJCLab à Orsay et au LPCA à Clermont-Ferrand, joue un rôle important. Lorsque le télescope détecte une variation dans le ciel, il envoie aux brokers une alerte contenant des données sur la luminosité mesurée. Les brokers appliquent alors des critères de filtrage qui permettent d’identifier la nature du phénomène cosmique à l’œuvre. Typiquement, Fink, va être en mesure de reconnaitre et de pointer des événements comme les kilonovae ou les contreparties optiques des sursauts gamma, qui sont des phénomènes liés à la fusion de deux étoiles à neutrons ou d’un trou noir et d’une étoile à neutrons, des phénomènes qui ont la particularité d‘émettre à la fois des ondes gravitationnelles et de la lumière.
Lorsque l'un de ces événements sera identifié, une recherche d'ondes gravitationnelles pourra donc être initiée dans les données des interféromètres de la collaboration LIGO Virgo KAGRA. « Ce que l’on recherche, ce sont des ondes gravitationnelles qui auraient été enregistrées avant les photons vus par LSST, explique Marina Masson, doctorante au laboratoire LPSC (1). La tâche est loin d’être évidente, car entre une fusion d’étoiles à neutrons et le moment où un télescope en capte l’éclat, il peut s’écouler dans certains cas parfois plusieurs jours, voire semaines. Cependant, en multipliant les observations, on espère petit à petit reconstituer une chronologie précise de ces cataclysmes et, à l’avenir, savoir relier instantanément l’observation d’un nouvel éclat dans le ciel avec sa contrepartie gravitationnelle ».
(1) Titre de sa thèse : « Identification des sursauts gamma orphelins dans les données du Rubin LSST avec le broker d'alertes Fink »
La collaboration LSST
L'Observatoire Rubin est une initiative conjointe de la National Science Foundation (NSF) et du Department of Energy (DOE) des États-Unis. Sa mission principale est de mettre en œuvre le projet LSST (Legacy Survey of Space and Time), en fournissant un ensemble de données sans précédent à la recherche scientifique.
L’IN2P3 apporte un soutien essentiel à la construction et à l'exploitation de l'Observatoire Rubin à travers ses laboratoires APC, CPPM, IJCLab, IP2I, LAPP, LPCA, LPNHE, LPSC, LUPM, et le CC-IN2P3. L’institut contribue, entre autres, au développement de l’électronique de lecture et des capteurs de la caméra du télescope, à la réalisation du système de changeurs de filtres de la caméra, tandis que le centre de calcul participe au traitement et au stockage des données.