Cocktail neutrons-mercure gagnant pour l’expérience n2EDM
Avec la mise en œuvre réussie de son système de magnétométrie mercure, la collaboration n2EM franchit une étape majeure vers l’exploitation de son expérience : le contrôle de l’uniformité du champ magnétique, dans lequel baigne le nuage de neutrons ultra-froid du dispositif, est un prérequis pour la prise de données expérimentales. Au terme de sa mise en service, n2EDM aura toutes les clefs en main pour mettre en évidence un éventuel "moment dipolaire" du neutron, une découverte dont les implications pourraient bouleverser notre compréhension de la matière.
La mise en service de l’expérience n2EDM, qui vise à mesurer le moment dipolaire électrique du neutron, bat son plein depuis décembre dernier. En novembre, pour la première fois, neutrons ultra-froids et gaz de mercure polarisé se sont côtoyés à l’intérieur de la cellule de précession au cœur du dispositif (voir illustration ci-dessous). Le système de magnétométrie mercure, permettant de contrôler la stabilité du champ magnétique nécessaire à la prise de donnée, a fait ses preuves, ouvrant la voie à de nouvelles installations en vue d’une mesure précise du moment dipolaire électrique du neutron.
Il s’agit d’une étape majeure pour le démarrage de cette expérience basée à l’Institut Paul Scherrer (PSI), en Suisse, dans laquelle des équipes des laboratoires LPSC et LPCC sont fortement impliquées. Elle vise à appliquer un champ électrique à un nuage de neutrons ultra-froids emprisonné dans une cellule de stockage avant de mesurer l’impact de ce champ électrique sur la précession du spin des neutrons*. Mesurer ne serait-ce qu’une très faible modification de la fréquence de rotation du spin du neutron sous l’effet du champ électrique mettrait en évidence un moment électrique dipolaire, une propriété intrinsèque du neutron qui serait l'analogue de son moment magnétique, mais qui n'a jamais été mesurée malgré l'acharnement des physiciens depuis 70 ans.
Un résultat positif à cette mesure serait un signe de physique au-delà du modèle standard et impliquerait entre autre l’existence de particules trop lourdes pour être détectées dans les accélérateurs de particules. Il contribuerait par ailleurs à mieux comprendre le mystère de l’asymétrie entre matière et antimatière dans l’Univers. Mais voilà : en 2020, l’expérience nEDM, à laquelle succède n2EDM, a mesuré un moment dipolaire électrique nul, avec une incertitude très faible. Très faible, mais pas suffisante pour exclure complètement l’existence du moment électrique du neutron. C’est pourquoi n2EDM revient à la charge, avec un dispositif entièrement revu pour repousser les limites de la précision expérimentale et débusquer le moment électrique dans la marge d’incertitude de nEDM.
La mise en service débutée en décembre permet à la collaboration n2EDM, dont font partie les groupes du LPC Caen et du LPSC, de tester les instruments flambant neufs développés au cours des dernières années. Parmi les contributions des instituts IN2P3, on compte notamment un système de bobines complexe, capable de générer un champ magnétique d’une uniformité sans précédent. « Pour identifier d’éventuelles modifications de la fréquence de rotation du spin du neutron sous l’effet du champ électrique, nous devons connaître avec précision la fréquence de rotation de base induite par le champ magnétique. C’est pourquoi ce dernier doit être aussi stable et uniforme que possible », souligne Thomas Lefort, enseignant-chercheur au LPC Caen et responsable n2EDM pour l’IN2P3.
En parallèle, le LPSC a développé un magnétomètre de seconde génération, un système permettant aux opérateurs de n2EDM de contrôler et mesurer le champ magnétique de la cellule de précession en « interrogeant » un gaz de mercure polarisé par laser. « Ce laser est ensuite orienté par un système optique développé au LPSC pour traverser le gaz de mercure dans la chambre de précession. Son empreinte sur la face opposée de la cellule nous permet de retrouver la fréquence de précession du spin des atomes de mercure, valeur à partir de laquelle nous déduisons l’intensité du champ magnétique », explique Guillaume Pignol, enseignant-chercheur au LPSC et co-porte-parole de la collaboration n2EDM. Après une première manipulation de neutrons dans un champ magnétique uniforme en décembre 2023, c’est le déploiement de ce système de magnétométrie qui a été exécuté avec succès ce mois-ci à PSI – un signal encourageant alors que la mise en service du dispositif entame sa dernière ligne droite.
Plusieurs mois de tests, de paramétrage et d’installations séparent encore la collaboration n2EDM du démarrage de l’expérience. Au programme : installation d’une électrode à haute tension permettant d’appliquer le champ électrique aux neutrons, et remplacement de certains composants de la cellule de précession, victimes de problèmes de revêtement. Rendez-vous en fin d’année pour la première prise de donnée expérimentale !
* Le spin est une propriété des particules assimilable au moment cinétique dans l’espace quantique.