Alice Pisani : « Le projet COSMOBEST démarre au moment où la recherche sur les vides cosmiques atteint un véritable âge d’or »

Bourse et prix Entretien Astroparticules et cosmologie

Chercheuse en cosmologie et grandes structures, Alice Pisani s’intéresse aux vides cosmiques, ces immenses espaces quasiment déserts dans la grande toile de l’Univers. Fraîchement débarquée des États-Unis1, elle vient d'être recrutée directrice de recherche et a rejoint le CPPM ou elle va diriger le projet COSMOBEST, pour lequel elle a obtenu une bourse ERC. Objectif ? Poser des contraintes strictes au modèle cosmologique standard en étudiant les vides cosmiques, à l’aide des données issues des nouveaux grands télescopes terrestres et spatiaux. Alice Pisani nous donne les clés de ce projet qui démarrera le 1er février.

 

En quoi consiste le projet COSMOBEST ?

COSMOBEST est un projet financé par le European Research Council (ERC), visant à étudier les vides cosmiques. Ce sont des zones de l'Univers où la densité de matière est très faible – l'espace y est donc quasiment vide. Ces régions sont immenses et peuvent s’étendre sur des dizaines à des centaines de mégaparsecs. Elles demeuraient jusqu’à récemment dans l’angle mort des travaux de cosmologie du fait de la rareté des observations. L’étude de tels géants requiert en effet de très grands sondages, et ce n’est que très récemment que des missions capables de les cartographier avec précision ont vu le jour. C’est donc dans un contexte d’expansion massive de la recherche sur les vides cosmiques et en s’appuyant sur des programmes tels que Euclid, DESI (Dark Energy Spectroscopic Instrument), ou encore LSST (Legacy Survey of Space and Time de l’observatoire Rubin), que COSMOBEST propose de coordonner les efforts des groupes de recherche travaillant sur cette thématique. Cette avalanche de nouvelles données nous permettra notamment de caractériser avec une précision inédite les propriétés des vides cosmiques dans l’optique de poser des contraintes toujours plus strictes à nos modèles cosmologiques et élucider des mystères cosmologiques majeurs tels que la nature de l’énergie noire ou contraindre la somme des masses des neutrinos.

Comment la caractérisation des propriétés des vides cosmiques peut-elle nous éclairer sur l’énergie noire ?

Le modèle cosmologique standard a recours au concept d’énergie noire pour justifier l’expansion accélérée de l’univers. Or, bien que l’Univers soit composé à 68 % de cette énergie noire, cette composante reste largement incomprise. Il est donc crucial, pour les cosmologistes, de poser des contraintes de plus en plus strictes sur les propriétés de cette énergie noire, afin d’en comprendre un jour la nature. Les vides cosmiques constituent un terrain de jeu idéal pour s’attaquer à ce problème car c’est dans ces espaces que les effets de l’énergie noire sont les plus évidents. Deux propriétés des vides cosmiques en particulier nous permettent de déduire des informations importantes sur l’énergie noire : la forme de ces vides et leur nombre. On peut en effet imaginer que, si l’énergie noire joue un rôle plus tôt qu’attendu dans l’histoire de l’Univers, ou si elle a des propriétés différentes de celles prévues par le modèle standard de la cosmologie, les vides changeront leur taille par rapport à nos prévisions. Décortiquer des données précises sur les vides cosmiques, identifier les galaxies moins massives se cachant dans ces immensités, nous permettra donc d’affiner de manière spectaculaire notre compréhension de l’énergie noire.

Une carte des vides cosmiques dans l'Univers.
Des vides cosmiques (en surbrillance) dans la toile de l'Univers. C: Kreisch C. D., Pisani A., Villaescusa-Navarro F., Spergel D. N., Wandelt B. D., Hamaus N., Bayer A., The Astrophysical Journal, Volume 935, Issue 2, id.100, 19 pp. August 2022.

Dans quelle mesure vous éloignez-vous des « techniques standard » de la cosmologie, comme annoncé dans le nom du projet ?

COSMOBEST signifie en effet COSMOlogy BEyond Standard Techniques, soit « cosmologie au-delà des techniques standard ». Les techniques standard en question font référence, par exemple, à ce qu’on appelle l’utilisation de la « fonction de corrélation à deux points ». Cette fonction est l’outil couramment employé par les cosmologistes pour étudier la distribution des galaxies, et donc contraindre le modèle cosmologique standard qui décrit notre Univers. Le raisonnement consiste à prendre une galaxie dans l’Univers et à se demander quelle est la probabilité de trouver une deuxième galaxie dans son voisinage. Si cette fonction nous permet de modéliser jusqu’à un certain point la structure de l’Univers, sa simplicité ne lui permet pas de refléter la richesse de l’information à notre disposition sur l’Univers. Étudier les vides cosmiques nous permet de nous affranchir de ces limites en atteignant l’information d’ordre supérieur par rapport à la fonction de corrélation à deux points, rajoutant de l’information qui ne serait autrement pas capturée. Cela nous permettrait d’atteindre une meilleure compréhension de la nature des composantes présentes dans notre Univers et de l’évolution même de ce dernier.

Dans quelle mesure les nouveaux relevés vont-ils aider à étudier les vides cosmiques ?

Il faut savoir qu’à l’époque où je commençais ma thèse sur ce sujet, il y a dix ans, quelques centaines de vides seulement étaient répertoriés. Aujourd’hui, les instruments actuels nous fournissent une cartographie de près de 6000 vides cosmiques – il est donc indéniable que beaucoup de chemin a déjà été parcouru ces dernières années. C’est pourtant assez peu de choses face à la révolution qui nous attend : les recherches menées dans le cadre de COSMOBEST s’articuleront entièrement autour des données recueillies par trois instruments, soit le télescope DESI, le télescope du relevé LSST et le satellite EUCLID, projet pionnier de la cosmologie en Europe qui a été lancé l’été dernier. DESI, EUCLID et LSST, c’est la promesse d’une cartographie de centaines de milliers de vides cosmiques, un ordre de grandeur vertigineux auquel les cosmologistes n’osaient pas rêver il y a quelques années. Mais ce n’est pas tout : la précision de ces nouvelles cartes de l’Univers aura aussi nettement augmenté, grâce notamment à la superposition d’observations de mêmes régions de l’Univers par plusieurs instruments employant des méthodes différentes, entre sondages spectroscopiques et photométriques. Ces sondages se complèteront et permettront de réduire au maximum les marges d’erreur et d’améliorer nos modélisations théoriques. L’arrivée prochaine des données des sondages de DESI, d’EUCLID et de LSST annonce donc un véritable âge d’or pour la physique des vides cosmiques.

Vous attendiez-vous à décrocher cette bourse ERC pour le projet COSMOBEST ?

C’est toujours une surprise d’obtenir une ERC, quel que soit le projet ! Mais en rétrospective, force est de constater que tous les éléments étaient réunis. Les programmes ERC visent généralement les thématiques jugées prometteuses et d’avenir. Or, avec le lancement d’EUCLID l’année dernière et le démarrage prochain de LSST, le timing pour COSMOBEST était particulièrement opportun. Ceci étant dit, les financements de cette ampleur ne sont jamais acquis, et je suis reconnaissante envers le comité de sélection d’avoir offert cette opportunité exceptionnelle au projet COSMOBEST de valoriser la recherche sur les vides cosmiques.

En quoi cette ERC change-t-elle la donne pour la recherche sur les vides cosmiques ?

Comme je l’expliquais précédemment, les sondages de DESI, EUCLID et LSST devraient, à terme, nous fournir des données permettant d’obtenir plusieurs centaines de milliers de vides cosmiques. L’enjeu pour nos équipes est désormais de s’assurer des effectifs nécessaires à l’exploitation complète de cette immense base de données pour en extraire toutes les informations susceptibles de poser des contraintes toujours plus strictes sur l’énergie noire. La somme d’1,4 million d’euro que nous recevons de l’Europe sera donc essentiellement consacrée au recrutement de scientifiques – des doctorants et postdoctorants – impliqués à 100 % dans l’exploitation de ces données, et construisant une équipe qui permette, entre autre, une interface entre les sondages. Avec une équipe de cette ampleur, nous mettrons toutes les chances de notre côté pour percer les secrets de l’énergie noire.

Comment votre arrivée au CPPM est-elle corrélée au projet COSMOBEST ?

Après plusieurs années à l’Université de Princeton, au Center for Computational Astrophysics du Flatiron Institute et à la Cooper Union à New York, je viens en effet d’intégrer le CPPM en tant que directrice de recherche du CNRS, où je vais maintenant m’investir pleinement dans le pilotage du projet COSMOBEST. L’IN2P3, et a fortiori le CPPM, étant partie prenante des grands projets de sondages cités précédemment, le laboratoire aura un accès direct et privilégié aux données concernant les vides cosmiques, qui feront le futur de cette thématique de recherche. Pour être au cœur de l’action, retourner au CPPM, où j’avais effectué un premier postdoc, était donc un gage de succès. Depuis Marseille, nos équipes poursuivront un chantier déjà bien avancé : ancrer le laboratoire dans le leadership de la recherche sur les vides cosmiques et contribuer à l’essor et à la confirmation de cette thématique. 

1 Alice Pisani a notamment conduit des recherches à l’Université de Princeton, à Cooper Union et au Center for Computational Astrophysics du Flatiron Institute.

Contact

Alice Pisani
Directrice de recherche au CPPM
Vincent Poireau
DAS Astroparticules et cosmologie
Thomas Hortala
Chargé de communication