Andrey Kalinichev « La chaire industrielle est un vrai terrain de recherche »

Série valorisation : épisode 3

La chaire industrielle est un dispositif proposé par l’ANR pour rapprocher les laboratoires de recherche et les industriels autour de problématiques scientifiques communes. Le laboratoire bénéficie ainsi de moyens complémentaires pour soutenir ses travaux et l’entreprise de retombées stratégiques pour son développement à long terme. Andrey Kalinichev, enseignant-chercheur à Subatech et porteur IMT Atlantique de la chaire Stockage et entreposage des déchets radioactifs, nous en dit plus sur ce dispositif.

Comment êtes-vous devenu le  porteur de la chaire « Stockage » de Subatech ?

Mon domaine de recherche se concentre sur les problèmes géologiques et géochimiques liés au stockage des matériaux radioactifs. J'ai notamment beaucoup travaillé sur la simulation et la modélisation du comportement de matériaux peu poreux, comme le ciment, en relation avec le stockage des déchets radioactifs. C'est cette expérience qui m'a incité à rejoindre la chaire industrielle « Stockage et entreposage des déchets radioactifs » en 2009 à l'invitation de Bernd Grambow qui l'organisait à cette époque. Lorsqu'il a pris sa retraite il y a deux ans, j'ai repris ses fonctions. Cette chaire a pour objectif de réaliser un programme de recherche permettant à moyen terme de mieux comprendre les processus moléculaires garantissant un système de conditionnement des déchets radioactifs pérenne.

En quoi consiste une chaire industrielle ?

Une chaire industrielle est un partenariat entre le monde de la recherche et le monde de l’industrie répondant à un besoin de long terme. Elle implique trois missions principales : concevoir et mener des projets de recherche prioritaires, offrir à des chercheurs de renommée internationale la possibilité de contribuer à ces programmes et former les futures générations de scientifiques qui se consacreront aux domaines de la chaire industrielle. Dans notre cas, nous menons donc des recherches de long terme et nous formons des chercheurs, qui demain se consacreront aux problématiques de recherche liées à l’aval du cycle electro-nucléaire.

Il donc nécessaire de bénéficier de conditions assez particulières pour créer une chaire industrielle ?

Oui, et c’est bien le cas pour ce qui concerne le domaine du stockage des déchets radioactifs. La production d’électricité étant en majorité d’origine nucléaire en France, les industriels ont un besoin crucial de stocker ces déchets en toute sécurité sur le long terme. Le terrain est par conséquent très favorable à l’implantation d’une chaire industrielle centrée sur cette problématique. C’est d’ailleurs pour cela que la chaire réunit les principaux acteurs de cette filière, à savoir l’ANDRA, EDF et Orano.

Est-ce que ce financement apporté par des industriels est contraignant pour un chercheur ?

Cela peut en effet poser une question délicate. Quand le secteur industriel s’implique, on s’attend en effet à ce qu’il réclame un retour sur investissement immédiat ou du moins rapide. Heureusement, en France dans ce secteur, nous avons la chance de bénéficier du soutien financier de l'industrie sans qu'elle exige immédiatement d’applications pratiques. Au contraire, elle attend de nous que nous poursuivions des recherches

La chaire industrielle « Stockage » à laquelle vous participez s’insère-t-elle correctement dans l’activité de l’équipe Radiochimie de Subatech ?

Elle s’insère très naturellement dans nos recherches générales, notamment parce que l’étude du transfert des radionucléides dans le contexte du stockage des déchets radioactifs est une thématique majeure de l’équipe. Cependant, nous avons aussi orienté nos travaux vers des questions clés de cette chaire telles que la corrosion des matériaux, notamment le ciment, dans un environnement radioactif. Globalement, les activités de recherche de la chaire contribuent de manière productive aux autres projets de recherche de l’équipe Radiochimie (au total une cinquantaine de scientifiques, ingénieurs, doctorants et postdoctorants), qui mènent à la fois des recherches fondamentales et des projets de recherche en collaboration avec des acteurs industriels ou d'autres agences de sûreté nucléaire.

Pourriez-vous nous donner un exemple concret de cette articulation entre la chaire industrielle et la recherche fondamentale en radiochimie à Subatech ?

Notre travail ne se traduit pas directement en applications industrielles immédiates. Cependant, ce que nous faisons en matière de prévisions et de modélisation du comportement des matériaux dans un environnement radioactif peut avoir des implications industrielles significatives. Par exemple, nos modèles à l’échelle moléculaire, qui nous permettent de résoudre les équations du mouvement de milliers d’atomes et de molécules en interaction, contribuent à la création de modèles à plus grande échelle plus précis et plus performants. Ces modèles, à leur tour, peuvent être utilisés pour concevoir des installations de stockage des déchets nucléaires plus sécurisées. Ce qui est intéressant, c'est que nos travaux, bien que non destinés à des applications immédiates, peuvent également être adaptés à d'autres secteurs industriels. Les mêmes méthodes que nous explorons ici à Subatech peuvent être mises à profit dans des domaines tels que la séquestration géologique du carbone ou le stockage souterrain de gaz naturel ou d’hydrogène gazeux comme carburant prometteur du futur. Pour donner un exemple concret, l'extraction de gaz de schiste implique la fracturation de la roche pour faciliter le passage des hydrocarbures. Pour effectuer ces opérations en toute sécurité, une compréhension fondamentale du comportement des molécules dans la roche est essentielle. Bien que cela ne soit pas directement lié au nucléaire, nos recherches sur la migration des radionucléides et leur comportement dans le sol peuvent indirectement bénéficier à d'autres secteurs industriels que celui de l'énergie nucléaire.

Avez-vous des projets en particulier pour la suite, après le renouvellement de la chaire industrielle en 2024 ?

La chaire industrielle peut être considérée comme un véritable terrain de recherche. Nous avons déjà mené plusieurs projets de thèse, comme les effets des additifs organiques sur la rétention et la mobilité des radionucléides dans les matériaux cimentaires et argileux utilisés pour le stockage des déchets radioactifs. Actuellement, nous en avons un autre qui se penche sur l'absorption et le comportement de l'hydrogène gazeux souterrain dans les formations argileuses. L'hydrogène peut être généré par les processus de corrosion des métaux et de radiolyse, et son accumulation peut provoquer une augmentation de la pression, endommager les conteneurs de stockage des déchets métalliques et fracturer les roches hôtes. Comprendre comment l'hydrogène se comporte dans les formations argileuses et en tirer des enseignements concrets, notamment pour le stockage des déchets, est un enjeu majeur pour nous. D'autre part, il existe un domaine de recherche émergent et très dynamique lié à l'utilisation de l'hydrogène comme carburant. Dans notre cas, notre intérêt se porte davantage sur la manière de stocker ce carburant en toute sécurité, notamment dans des réservoirs souterrains. Cela ouvre de nouvelles perspectives passionnantes dans le domaine de la recherche, avec un champ d'exploration qui ne cesse de s'agrandir.

 

Contact

Andrey Kalinichev
Enseignant chercheur (Subatech)
Stephan Beurthey
Chargé de mission "Partenariats industriels et valorisation"
Fabien Houy
Chargé de communication à l'IN2P3