Disparition de Hans Gutbrod
Hans GUTBROD, ancien professeur de l’École des Mines de Nantes et directeur du laboratoire Subatech entre 1995 et 2001, nous a quittés le 3 mars à Heidelberg en Allemagne suite à une longue et grave maladie qu'il a supportée avec beaucoup de courage.
Le Professeur Hans Herbert Gutbrod, né en 1942 à Stuttgart, était un physicien dans le domaine de la physique des ions lourds relativistes, de renommée mondiale. Il a étudié à l’Institut de Technologie de Karlsruhe et à l’Université de Heidelberg, où il a obtenu son doctorat en 1970 sous la direction de Wolfgang Gentner et Rudolf Bock.
Après sa thèse, il a travaillé dans le domaine de la physique des ions lourds à basse énergie à Heidelberg puis aux Etats-Unis, à Rochester (New York), au Brookhaven National Laboratory (BNL) et au Lawrence Berkeley National Laboratory (LBNL). Dans les années 1970, il est l'un des pionniers de la physique des ions lourds relativistes, notamment au Gesellchaft für Schwerionenforschung (GSI) à Darmstadt puis à Berkeley auprès de l’accélérateur Bevalac avant de revenir en Europe, au CERN, pour les expériences auprès du Super Proton Synchroton (SPS). Il a contribué de manière déterminante à l'étude de l'équation d'état de la matière nucléaire à hautes densité et température, ses expériences démontrant qu’elle se comporte comme un fluide presque idéal.
En collaboration avec Arthur Poskanzer et Hans Georg Ritter, il a développé le détecteur "Plastic Ball" au Bevalac de Berkeley, permettant la découverte de l'écoulement collectif de la matière nucléaire, une observable clé en physique des ions lourds qui a révolutionné la manière de comprendre les collisions d’ions lourds. L’expertise acquise aux États-Unis lui a valu la reconnaissance internationale de ses pairs et lui a permis d’être le porte-parole des expériences WA80, WA93 et WA98 au SPS du CERN, continuant ainsi à sonder les collisions d'ions lourds à haute énergie.

Au début des années 1990, Hans Gutbrod a joué un rôle clé dans la création de l'expérience ALICE au LHC du CERN et, à cette occasion, pour beaucoup d’entre nous, chercheurs, enseignants-chercheurs, étudiants des laboratoires en France, il a changé notre avenir dans nos parcours de physiciens des hautes énergies. Hans est en effet venu dans les laboratoires où des chercheurs travaillaient déjà dans les expériences d’ions lourds aux plus basses énergies, au GSI à Darmstadt ou dans les expériences auprès du SPS au CERN. Son objectif était de convaincre les scientifiques français qu’il fallait soutenir et rallier ce projet ALICE mais aussi de convaincre également nos tutelles, l’IN2P3, le CEA, puis notre ministère. Il s’agissait bien d’un enjeu sachant qu’ALICE devait se faire une place au même titre que les autres expériences du CERN dédiées à la physique des particules.
Hans avait cette passion communicative qui nous a atteints et impressionnés. Plusieurs laboratoires ont répondu à l’appel et la collaboration française d’ALICE s’est créée. Grâce à lui, mais aussi à l’appui de nos collègues théoriciens français et de l’École de Francfort comme les Professeurs Walter Greiner et Horst Stöcker, ALICE allait voir le jour et le rôle majeur que Hans a joué en France a probablement inspiré les tutelles (l'IN2P3, l’Université de Nantes, l’École des mines de Nantes) à le proposer pour la direction du laboratoire Subatech. Il en fut le directeur de 1995 à 2001 avant de retourner au GSI pour travailler sur le projet FAIR (Facility for Antiproton and Ion Research), une installation de recherche avancée sur les antiprotons et les ions lourds.
Au laboratoire SUBATECH, il a facilité la collaboration avec des groupes expérimentaux internationaux comme STAR, PHENIX ou ALICE. Il a été le fondateur d'un groupe de recherche autour des applications nucléaires ainsi qu’un des initiateurs de la conception du cyclotron ARRONAX, outil puissant pour la recherche et la production des radio-isotopes.
Hans Gutbrod était professeur honoraire à l'Université Goethe de Francfort et docteur honoris causa de l'Université de Lund. Il a été élu Fellow de l'American Physical Society en 1992.
Il a contribué à environ 240 publications qui ont été cités plus que 26.000 fois.
La communauté française et internationale des ions lourds relativistes et du plasma de quarks et de gluons, et le laboratoire Subatech en particulier, doivent beaucoup à Hans qui, grâce à sa pugnacité, sa vision et son leadership, a mené Subatech au rang de laboratoire international en physique subatomique. Doté d’une personnalité charismatique extraordinaire, Hans a toujour été un grand défenseur de la science ouverte mettant toute son énergie pour établir des collaborations scientifiques et technologiques entre tous les pays du monde.
Infatigable bâtisseur, il est décédé le 3 mars 2025, laissant derrière lui un héritage scientifique remarquable et une influence durable dans le domaine de la physique des ions lourds.