Emilie Maurice, physicienne, lauréate de la médaille de bronze du CNRS
Chercheuse en physique des particules au Laboratoire Leprince-Ringuet (LLR), Emilie Maurice est spécialisée dans l’étude du plasma de quarks et de gluons et la physique des quarks, notamment à travers le programme cible fixe de l’expérience LHCb au CERN.
À n’en pas douter, le LHC, le plus puissant collisionneur au monde situé au CERN, est bien le fil (supra)conducteur du parcours d’Emilie Maurice, chercheuse en physique des particules au sein du laboratoire Leprince-Ringuet (CNRS/IN2P3 - École polytechnique). Dès ses débuts de doctorante au Centre de Physique des Particules de Marseille en 2009, le destin de la scientifique s’ancre autour de cette machine unique, qui produit, la même année, ses premières collisions. Elle fait alors partie de la collaboration LHCb, l’une des quatre grandes expériences du LHC, et contribue aux premières analyses de données, en quête de phénomènes susceptibles d’expliquer l’asymétrie observée entre matière et antimatière dans l’Univers. Chou blanc (provisoire) : la collaboration établit que les désintégrations des « mésons B » qu’elle étudie sont compatibles avec le Modèle Standard, ce qui n’entame pas la motivation d’Emilie : « J’étais là où des générations d’étudiants et de doctorants avaient rêvé de faire leurs premiers pas en physique, aux premières loges de cet accélérateur qui nous promettait tant. Une sorte d’euphorie régnait dans la collaboration au moment d’analyser ces premières données ».
Cependant, confrontée aux difficultés de s’enraciner durablement dans la recherche académique, Emilie Maurice quitte le CERN et rejoint le secteur privé. Cette « infidélité » ne durera que deux ans : « Le frisson de la recherche me manquait, son aspect humain aussi, avoue-t-elle. J’ai donc décidé de tout donner pour y revenir et une opportunité s’est finalement présentée à l’Université de Liverpool où j’ai pu démarrer un post-doc. Certes, j’ai plaqué un CDI et sûrement perdu 300 jours d’ensoleillement en déménageant du sud de la France pour l’Angleterre, mais je ne regrette absolument pas ce choix ! ». Ce post-doc à l’Université de Liverpool signe le retour d’Emilie dans l’écosystème du CERN, pas tout à fait au LHC, mais à deux pas. Elle s’investit dans l’étalonnage de la nouvelle expérience NA62, qui étudie les désintégrations rares de kaons générés par l’interaction entre un faisceau de protons à hautes énergies et une cible fixe. Un épisode qui s’avèrera déterminant pour son retour au LHC.
« Après une conférence, un collègue me lance : ‘On a un programme rigolo de cible fixe chez LHCb, tu devrais nous rejoindre’ ! Ce programme un peu fou, c’est SMOG. Un dispositif qui consiste à briser le vide absolu de l’anneau du CERN en y injectant localement de l’hélium ou de l’argon afin de caractériser le faisceau qui y circule ». La physicienne rejoint alors le LLR et, avec une équipe de chercheurs très restreinte, convainc la collaboration LHCb et le CERN de la faisabilité du projet. Les débuts de SMOG marquent donc les retrouvailles d’Emilie avec le LHC. L’environnement de recherche a bien évolué depuis le lancement de l’accélérateur en 2009 et la découverte du boson de Higgs en 2012, et les initiatives originales telles que SMOG sont les bienvenues pour exploiter tout le potentiel de recherche du LHC.
Une stratégie payante, car SMOG s’avère très vite beaucoup plus qu’un simple outil d’imagerie du faisceau. En effet, les collisions entre le gaz injecté et le faisceau génèrent des quarks de type « charme », et offrent ainsi une opportunité nouvelle de les étudier. SMOG est particulièrement adapté pour étudier leur recombinaison en hadrons, un processus qui n’est pas encore bien modélisé. Mieux encore : SMOG permet également de réaliser des études complémentaires à celles de l’expérience ALICE du LHC autour du plasma de quarks et de gluons, un état très primitif de la matière qui aurait prévalu aux premiers instants de l’Univers.
Depuis 2016, Emilie s’emploie donc à mettre en œuvre ce programme de physique alléchant, non sans quelques rebondissements : « Avec SMOG, nous avons prouvé que notre dispositif fonctionnait. Cependant, il ne produisait pas assez de données et le gaz injecté était encore trop diffus. Avec la mise à jour de l’expérience (SMOG2), nous avons pu augmenter la densité de gaz et le placer plus en amont du point de collision. Résultat : lors de tests préliminaires, nous avons été en mesure de relever autant de collisions en 18 minutes d’exploitation qu’en 18 heures avec SMOG ». Cet optimisme doit cependant se confronter à un contretemps de taille : toute l’année 2023, une défaillance dans un sous-détecteur de LHCb a limité l’exploitation de ce détecteur dont dépend SMOG.
Mais aujourd’hui, tous les voyants sont à nouveau au vert et Emilie attend, confiante, que le faisceau de protons retourne dans l’anneau du LHC. Une confiance que vient renforcer cette médaille de bronze décernée par le CNRS et qu’elle dédie à ses collaborateurs et collaboratrices : « Je considère cette médaille comme une marque de reconnaissance envers le programme SMOG, un signe envoyé à cette belle équipe qui a fait sortir ce projet de nulle part, qui s’est battue pour le financer, le mener à bien, pour élaborer ce magnifique programme de physique. Cela me conforte dans l’idée qu’avec SMOG, nous sommes aujourd’hui sur la bonne voie ».