IPNO : Feu vert pour la production de série des cryomodules de l'instrument ESS
A Uppsala, le prototype de cryomodule destiné à la future source de neutrons suédoise ESS a passé les tests avec succès. L'équipe de la plateforme Supratech et du bureau d’études de la Division accélérateur de l'Institut de physique nucléaire d'Orsay va démarrer, dès janvier, la livraison des treize modèles de série. L'aboutissement de plus de huit années de R&D commentées par Guillaume Olry, ingénieur à l'IPNO et responsable du projet.
Les ingénieur·es et technicien·nes de l'Institut de physique nucléaire d'Orsay (IPNO) avaient pour consigne de livrer, pour l'accélérateur de protons d'ESS, des cavités fournissant un champ électrique accélérateur de 9 mégavolt par mètre (MV/m). A l’issue du test, la première a fourni jusqu'à 15 MV/m, la seconde est montée à 10,5. Mieux encore, les pertes cryogéniques des cavités qui fonctionnent à -271°C, sont si faibles que les testeurs n'ont pas réussi à les mesurer. Pour la première fois, à Uppsala en Suède, le cryomodule prototype de l'IPNO était testé entièrement assemblé dans sa configuration finale. Les chiffres en attestent, il a passé les épreuves haut la main. Le design est donc validé et la production de série va démarrer dès le mois de janvier. Treize cryomodules contenant chacun deux cavités accélératrices, des coupleurs de puissance radio fréquence, des systèmes d’asservissements en fréquence et tout un système de refroidissement cryogénique vont donc être livrés en 2020 à la Suède.
Chez les porteurs du projet, le soulagement est palpable. "Chaque élément avait été évalué et qualifié séparément, mais le test en configuration complète « type accélérateur » était à réaliser en Suède à Uppsala" indique Guillaume Olry, "Et tant qu'il n'était pas bouclé nous n'étions pas à l'abris d'une mauvaise surprise." Difficile de ne pas être un brin fébrile lorsque l'on a passé plus de 8 ans à concevoir l'engin. Il faut bien comprendre qu'un cryomodule d'accélérateur est comme une pièce unique. "Celui que nous avions réalisé juste avant pour SPIRAL2 n'est absolument pas transposable à ESS" explique l'ingénieur. "Le premier accélère tout type de noyaux du proton jusqu'aux ions lourds tandis que l'autre est dévolu uniquement aux protons. Et ça change tout. Il faut repartir d'une feuille blanche. Repenser les coupleurs radio fréquence pour qu'ils résistent à plus de puissance, les systèmes d’asservissement en fréquence pour garantir un contrôle des cavités en mode pulsé, adapter le système cryogénique pour descendre à 2K au lieu de 4, et surtout redessiner de A à Z la forme de la cavité radio fréquence pour l'adapter à la fréquence et à la puissance du nouvel accélérateur."
Le volume de la cavité est crucial
La cavité radio fréquence, c'est l'élément propulseur du cryomodule, une enveloppe supraconductrice (en Niobium) dont la forme est cruciale pour les performances finales de l'instrument. "A l'image d'un tambour dans lequel les ondes rebondissent selon une fréquence propre à la taille de l'instrument, dans une cavité radio fréquence les ondes électromagnétiques sont injectées et rebondissent sur les parois selon une fréquence qui dépend du volume. Le moindre écart même infime du volume de référence entraîne un changement de fréquence et rend la cavité inutilisable dans l'accélérateur" confie le chef de projet. Ce volume est si déterminant, qu’un système d’asservissement dédié est fixé sur chaque cavité. Il est composé de deux dispositifs de réglage du volume : l'un plutôt lent utilisant un moteur pas-à-pas et l'autre très rapide, utilisant un actionneur piézoélectrique. Ils sont absolument nécessaires pour remettre, en temps réel et par le biais de micro déformations, la cavité à la bonne fréquence ; c’est à dire à la valeur de 352,210 MHz, au Hz près, dans le cas de l'accélérateur d'ESS. Pour finir, la forme géométrique des cavités va influer sur l'intensité du champ électrique délivré et surtout sur son orientation, pour qu'il accélère les protons dans l’alignement de l'entrée et de la sortie. L'image finale d'une de ces cavités montre à quel point ce design n'a rien de trivial.
Une fois le design arrêté, la conception des cavités est loin d’être terminée. Il faut encore produire des cavités d'une pureté totale et évacuer la moindre poussière ou le moindre dépôt étranger susceptible de créer des points d'échauffement ou même des arcs électriques. Pour cela chaque cavité passe par un à plusieurs cycles où elle subit un traitement aux ultrasons, à l’acide, au jet haute pression ainsi qu’un chauffage sous vide. Il est aussi nécessaire d'intégrer sans déformer la cavité ni en gêner le fonctionnement, un système complet de refroidissement à l'hélium liquide, d’incorporer à l'ensemble un coupleur suffisamment « robuste » pour amener les radio fréquences jusqu'au cœur de la cavité, de protéger l’ensemble des perturbations magnétiques, et de l'isoler thermiquement par du vide, un peu à la manière d'un thermos... La liste est encore longue de ces petits défis relevés.
Départ du premier exemplaire série fin janvier 2020
Elle donne la mesure du challenge et de la joie ressentie par l'équipe à l'issue de cet ultime test qui donne le feu vert à la fabrication et l’assemblage des treize cryomodules de série. Tous iront les uns après les autres prendre place dans la longue chaîne accélératrice d'ESS où ils occuperont les premiers 60m sur les 400 que comptera l'accélérateur linéaire complet. "Le premier cryomodule sera sur le départ normalement fin janvier. Les suivants partiront au rythme d’un par mois et la livraison devrait être bouclée tout début 2021" annonce Guillaume Olry. Ne restera plus qu'à attendre les premiers tests d'accélération de protons pour être complètement rassurés. Si cela se passe comme pour les cryomodules de SPIRAL2 l'été dernier, l'ambiance devrait être à la fête.