La collaboration ACT dévoile une nouvelle carte de la distribution de la matière noire dans l’Univers
La collaboration « Atacama Cosmology Telescope » (ACT), à laquelle participe une équipe d’IJCLab, révèle la carte la plus détaillée jamais réalisée de la distribution de matière noire dans l’Univers. Cette image révolutionnaire, réalisée avec les observations du télescope ACT, au Chili, conforte la théorie de la relativité générale d'Einstein, qui est la base du modèle standard de la cosmologie depuis plus d'un siècle. Elle ouvre aussi de nouvelles perspectives pour notre compréhension de l’évolution des structures dans l’Univers. Un domaine en pleine effervescence dans lequel l’IN2P3 est fortement impliqué avec des projets tels Vera-C. Rubin, Euclid ou encore CMB-S4.
85 % de la matière présente dans l’Univers est constituée d’une mystérieuse « matière noire » extrêmement complexe à détecter. Elle n’émet aucun rayonnement électromagnétique et n’interagit pas (ou peu) avec la matière ordinaire. Cependant, la présence de matière noire est mesurable par son effet gravitationnel.
Pour la traquer, une équipe de 160 scientifiques a construit le télescope ACT, dans les Andes chiliennes. L’instrument, l’un des plus haut du monde à 5200 m d’altitude, observe, avec son miroir de 6 m de diamètre et ses 6000 capteurs ultra précis, des bolomètres refroidis à 0,1K, la lumière émanant de l'aube de la formation de l'Univers, quand il n'avait que 380 000 ans : un rayonnement appelé « fond diffus cosmologique ».
Pendant son voyage de 14 milliards d'années jusqu'à la Terre, la lumière du fond diffus cosmologique est déviée par les forces gravitationnelles exercées par l’ensemble des structures de l’Univers. Cet effet, appelé le lentillage gravitationnel, peut être mesuré et permet de reconstruire la distribution de masse dans l’Univers. Après plusieurs années de prise de données et après un travail minutieux d’analyse, la collaboration a pu obtenir une carte très détaillée de la répartition de la matière noire pour environ 25 % de la surface du ciel. L’image montre un Univers émaillé de zones plus ou moins riches en masse dont la taille typique est de l’ordre de quelques centaines de millions d'années-lumière.
Conforme à la prédiction du modèle standard
" De façon remarquable, la taille des structures dans l'Univers et leur croissance durant 14 milliards d'années d'évolution correspondent exactement à ce que prédit notre modèle standard de la cosmologie basé sur la théorie de la gravité d'Einstein" déclare Mathew Madhavacheril, professeur adjoint au département de physique et d'astronomie de l'Université de Pennsylvanie.
Ces nouvelles mesures ont une importance fondamentale pour un débat qui agite aujourd’hui la communauté des cosmologistes. "Des mesures récentes du lentillage gravitationnel des galaxies (une autre façon de mesurer la distribution de masse dans l’Univers) ont produit des résultats suggérant que l’amplitude des structures n’est pas tout à fait en accord avec la prédiction du modèle standard de la cosmologie et ont suscité des préoccupations quant à la validité de ce modèle, précise Blake Sherwin, professeur de Cosmologie à l’Université de Cambridge. Cependant, les derniers résultats obtenus à partir des données d'ACT ont permis d'évaluer avec précision que les vastes grumeaux de matière observés dans cette image ont exactement la bonne taille."
Pour se prémunir d’un possible biais de confirmation, l’analyse des données ACT a été menée “à l’aveugle”, les résultats n’ont été confrontés aux prédictions théoriques qu’une fois l’analyse terminée. “Après des années d’analyses complexes, l’accord si parfait entre nos mesures et la théorie sous-jacente m’a déstabilisé”, s’enthousiasme Frank Qu, doctorant à l’université de Cambridge, premier auteur du papier présentant la mesure et qui a le premier comparé les données à la prédiction du modèle standard de la cosmologie.
Comprendre l’évolution des structures dans l’Univers
“Les mesures du fond diffus cosmologique combinées avec celles des prochains relevés de galaxies vont permettre de clarifier notre compréhension de l’évolution des structures dans l’Univers” ajoute Suzanne Staggs, professeur de physique à l’Université de Princeton, qui dirige la collaboration ACT. Ces relevés de galaxies seront notamment menés par l’observatoire Vera-C Rubin, qui débutera ses observations en 2024, et par la mission spatiale européenne Euclid, dont le lancement est planifié en juillet. Ces instruments mesureront la position et la forme de milliards de galaxies, ces mêmes galaxies qui sont la source du lentillage gravitationnel du fond diffus cosmologique.
La prise de données du télescope ACT s’est arrêtée en septembre 2022, après 15 ans d’observations. La relève est assurée par les projets Simons Observatory et CMB-S4 qui conduiront des observations à partir d’un ensemble de nouveaux télescopes. Ces instruments permettront de mesurer le fond diffus cosmologique avec une précision d’un ordre de grandeur supérieur à celle du télescope ACT.
La contribution à ACT de l’équipe CMB du laboratoire de physique des deux infinis Irène Joliot Curie est portée par Adrien La Posta (doctorant), Thibaut Louis (chargé de recherche CNRS) et Xavier Garrido (maître de conférence à l’université Paris Saclay). Ils ont eu un rôle majeur dans la production de cette carte de la distribution de matière dans l’Univers. En plus de leur implication dans l’interprétation scientifique des données ACT, ils sont responsables de la caractérisation de possibles effets systématiques instrumentaux dans les mesures du télescope, ainsi que de la calibration absolue des données. “Cette contribution, au cœur de l’analyse de données, s’appuie sur une expertise reconnue et appréciée au niveau international, qui permettra de jouer un rôle majeur dans l’interprétation des données de Simons Observatory et de CMB-S4.” explique Sophie Henrot-Versillé, directrice du pôle A2C1 d’IJCLab.
Les laboratoires de l’IN2P3 sont impliqués dans la construction et l’exploitation scientifique des télescopes qui mèneront les futurs grands relevés de galaxies, l’observatoire Vera-C Rubin et le satellite Euclid. Ils contribuent également à la préparation de la prochaine génération d’observatoires du fond diffus cosmologique, Simons Observatory et CMB-S4.
Texte traduit et adapté du communiqué anglais rédigé par Nathi Magubane.
- 1Pôle Astroparticules, astrophysique et cosmologie
Pour en savoir plus :
Les articles en pré-publications sont disponibles sur https://act.princeton.edu/ (rubrique New results) et seront publiés sur l'archive ouverte arXiv.org. Ils ont été soumis à l’Astrophysical Journal.
ACT a été financé par l’ U.S. National Science Foundation, l’Université de Princeton, l’Université de Pennsylvanie, et la Canada Foundation for Innovation Award.