Télescope à petite ouverture du Simons Obs
Les télescopes du Simons Observatory vont générer une carte détaillée du fond diffus cosmologique. Ici un des télescopes à petite ouverture (0,4m).Image : Brian Keating/UC San Diego

À la recherche de l’écho du Big Bang avec le Simons Observatory

Communiqué Astroparticules et cosmologie

Paris, le 20 juin 2024. Les premiers télescopes du Simons Observatory, au Chili, ont entamé leur prise de données et marquent ainsi le démarrage scientifique de ce projet qui doit s’étaler sur 10 ans et qui vise à effectuer la mesure la plus précise jamais effectuée du rayonnement de fond diffus cosmologique. Objectif, tenter de détecter dans ces premières lueurs du cosmos, les infimes traces d’ondes gravitationnelles qui auraient été générées par une phase d'inflation de l’Univers primordial. Un projet auquel participent deux laboratoires de l’IN2P3, APC et IJCLab.

Le Simons Observatory, vient de terminer sa phase principale de construction sur les hauteurs du désert d'Atacama au Chili et va pouvoir entamer sa prise de données qui doit conduire aux mesures les plus précises jamais réalisées de la plus ancienne lumière de l’Univers. Cette dernière, connue sous le nom de fond diffus cosmologique (Cosmic Microwave Background en anglais), a été émise environ 380 000 ans après le Big Bang et recèle les secrets de la naissance du cosmos.

En effet, les scientifiques prédisent qu'une période d'expansion rapide de l'Univers dans ses tous premiers instants, appelée inflation, pourrait avoir généré des ondes gravitationnelles dans la trame de l'espace-temps. Ces ondes affectent les propriétés de polarisation de la lumière du fond diffus cosmologique en y imprimant un motif particulier, que les cosmologistes appellent “modes B de polarisation”. « Leur découverte fournirait une fenêtre sans précédent sur la façon dont l'Univers est né et offrirait une confirmation de la théorie de l'inflation », explique Mark Devlin, codirecteur de l'observatoire de l'Université de Pennsylvanie. « L’amplitude des modes B primordiaux nous informera sur l'état de l'Univers dans les premiers instants après sa naissance. »

« La question de l’origine de l’Univers a toujours fasciné les humains », déclare Brian Keating, investigateur principal de l'observatoire de l'Université de Californie à San Diego. « Avec le Simons Observatory, nous sommes sur le point de découvrir des réponses enracinées non pas dans de simples spéculations, mais dans les données les plus précises jamais recueillies par les télescopes les plus avancés du monde. »

« Nous portons la recherche sur l’Univers primordial à un nouveau niveau », déclare Suzanne Staggs, co-directrice du Simons Observatory à l'Université de Princeton. « La sensibilité de nos instruments ouvre de nouvelles perspectives pour le domaine. »

La quête

L'un des principaux objectifs scientifiques du Simons Observatory est d'aider à élucider ce qui s'est passé dans le premier décillionième de seconde après le Big Bang (c'est-à-dire un trillionième d'un trillionième d'un milliardième de seconde). En ce bref instant, les scientifiques  pensent que l'Univers a multiplié sa taille par un facteur de 100 trillions de trillions. Ce serait comparable à une bactérie qui grandit jusqu'à la taille d'une galaxie. Les fluctuations quantiques dans l'Univers primordial auraient généré les premières inhomogénéités dans le cosmos qui ont par la suite évolué pour créer la distribution de matière que nous observons dans l'Univers moderne. Ces mêmes fluctuations ont également généré des ondulations dans l'espace-temps appelées ondes gravitationnelles primordiales.

Bien que cette période inflationnaire ait été un moment crucial dans l'histoire de l'Univers, nous ne pouvons pas l’observer directement. L'Univers primitif était alors trop chaud et dense pour que la lumière puisse se propager librement. Ce n'est qu'après 380 000 ans d’évolution, et le refroidissement du plasma qui constitue l’Univers primordial, que la lumière a pu commencer à se déplacer sans entrave. C’est le fond diffus cosmologique que nous observons aujourd’hui.

Comme la lumière passant à travers une paire de lunettes de soleil polarisées, la lumière du fond diffus cosmologique peut avoir une orientation préférée, ou "polarisation". Les ondes gravitationnelles de l'inflation auraient laissé des motifs subtils appelés modes-B dans la polarisation du fond diffus cosmologique. Détecter ces modes-B fournirait des informations sans précédent sur les premiers instants de l'Univers.

« Nous sommes sur la piste d'un signal généré pendant le premier milliardième d'un trillionième d'un trillionième de seconde après le Big Bang », déclare Arthur Kosowsky, porte-parole de la collaboration du Simons Observatory de l'Université de Pittsburgh. « Personne ne sait si ce signal est encore assez grand pour être vu aujourd'hui. Le voir serait comme gagner à la loterie de la physique — l’impact scientifique serait immense. »

Site du Simons Observatory
Pour profiter de conditions d'observation idéales, le Simons Observatory est établi sur le mont Toco à près de 5200m d'altitude dans le désert d'Atacama au Chili. Figurent sur l'image les trois télescopes de 40 centimètres d'ouverture (SAT)), entourés par un écran les protégeant des émissions terrestres, et au premier plan la structure du télescope de 6 mètres d'ouverture (LAT) en cours d'installation. Image : Gabriele Coppi, Rolando Dunner, Ederico Nati, Matias Rojas

Cartographier le fond diffus cosmologique

Le Simons Observatory comprend trois télescopes à petite ouverture de 0,4 mètre (SAT) et un télescope à grande ouverture de 6 mètres (LAT), qui atteindront ensemble une sensibilité sans précédent pour la mesure de la polarisation du fond diffus cosmologique. Depuis avril 2024, deux des SAT ont été calibrés et sont désormais en phase d’observation, le troisième SAT devrait être opérationnel dans les prochains mois et le LAT au début de l'année prochaine.

La taille du Simons Observatory et l’utilisation innovante de nouvelles technologies lui permettent de créer des cartes détaillées du fond diffus cosmologique à un rythme plusieurs fois supérieur à celui de la précédente génération de télescopes. Ensemble, les quatre télescopes de l'observatoire disposeront de 60 000 détecteurs recueillant des données, soit plus que tous les autres projets combinés. Les détecteurs supraconducteurs de l'observatoire fonctionnent à des températures de 0.1 degré au-dessus du zéro absolu, en utilisant une technologie de refroidissement analogue à celle utilisée pour les ordinateurs quantiques. « Je suis impressionné que nos instruments fonctionnent si bien », déclare Jeff McMahon, membre fondateur du Simons Observatory de l'Université de Chicago. « Je suis encore plus enthousiaste par les données scientifiques que ces télescopes commencent à produire. »

Les trois SAT étudieront ensemble une zone couvrant 20 % du ciel de l'hémisphère sud, tandis que le LAT cartographiera 40 % du ciel avec une résolution plus fine. En combinant la sensibilité des télescopes avec des techniques d’analyse de données innovantes, l'équipe du Simons Observatory maximise ses chances de repérer les modes-B recherchés.

Image de la planète Jupiter avec les détecteurs du Simons Observatory.
Image de la planète Jupiter avec les détecteurs du Simons Observatory. La taille apparente de la planète reflète la résolution des optiques du télescope. Les scans de Jupiter sont parmi les premières observations et ont été utilisés pour calibrer les instruments de l'observatoire. Image : The Simons Observatory collaboration

Le futur de l’observatoire

Après environ quatre ans de fonctionnement, l'observatoire bénéficiera de l’ajout de 30 000 détecteurs supplémentaires grâce à une subvention accordée par la National Science Foundation (États-Unis). La période totale d’observation des télescopes sera d’environ 10 ans. « Dix ans peuvent sembler longs, mais si vous utilisez les capacités des télescopes actuels, il faudrait 60 ans pour atteindre notre sensibilité », explique Mark Devlin. Des télescopes supplémentaires financés par le Japon et le Royaume-Uni devraient également entrer en service en 2026, doublant le nombre de SAT.

Une participation française à l’observatoire

Les équipes de l’IN2P3 prennent part au projet Simons, avec la participation des laboratoires APC et IJCLab. « Détecter les modes B de polarisation revient à trouver une aiguille dans une botte de foin » précise Josquin Errard, lauréat d’une bourse européenne sur le sujet (ERC) et co-responsable de la mesure des modes B primordiaux au sein de la collaboration. « Les observations du fond diffus cosmologique sont en effet affectées par toutes sortes d’émissions d’origines astrophysique et environnementale qui contaminent le signal, en particulier les émissions provenant de notre propre galaxie : la Voie lactée. Nous travaillons au développement de nouvelles méthodes d’analyse de données qui permettront de séparer les différentes contributions. »

En parallèle, une possible contribution instrumentale française à l’observatoire est en discussion, pilotée par le LPSC, en partenariat avec CNRS Physique et CNRS Terre & Univers. L’objectif est l’ajout d’un nouveau SAT se focalisant sur la caractérisation et la soustraction des émissions de poussières galactiques qui contaminent le signal cosmologique, ce nouveau télescope permettrait d’exploiter pleinement la sensibilité de l’observatoire aux ondes gravitationnelles primordiales.

« Avec le succès de la mission satellite Planck, la France s’est positionnée comme un leader de la science de l’Univers primordial. Une participation renforcée de notre communauté à l’observatoire permettrait de valoriser l’ensemble de nos expertises, qu'elles soient  instrumentales ou en analyse de données » ajoute Thibaut Louis, chercheur à l’IJCLab et responsable du master projet “Simons Observatory” à l’IN2P3.

À propos du Simons Observatory

L'équipe scientifique du Simons Observatory provient du regroupement de deux collaborations : l’Atacama Cosmology Telescope et le Simons Array. En 2014, le mathématicien et cofondateur de la Simons Foundation, Jim Simons, a proposé de financer cette nouvelle collaboration.

Des extensions au projet initial ont été financées par la National Science Foundation (États-Unis), et par des fonds de recherche et d’innovation au Royaume-Uni et au Japon. Le projet a aussi obtenu un soutien financier des universités fondatrices : les universités de Princeton, Berkeley, San Diego, Chicago et de Pennsylvanie. Au total, la collaboration rassemble plus de 350 chercheurs de plus de 35 institutions.

Contact

Thibaut Louis
Chercheur à IJCLab
Vincent Poireau
DAS Astroparticules et cosmologie
Emmanuel Jullien
Responsable du service communication de l'IN2P3