Laurent Vacavant : « Les enjeux de cette mise à jour de la stratégie européenne de la physique des particules sont majeurs pour notre science, pour le CERN, pour l’institut »
Les 20 et 21 janvier 2025, la communauté française de la physique des particules se réunira en symposium à Paris pour décider des grandes lignes de la contribution française à la feuille de route européenne du domaine. Cette réflexion intense débutée dès septembre, qui doit aboutir à la rédaction d’un document cadre européen en décembre 2025, revêt une importance stratégique particulière. Laurent Vacavant, Directeur adjoint scientifique en charge de la physique des particules pour CNRS Nucléaire & Particules, nous en explique les enjeux.
Qu’est-ce que la stratégie européenne pour la physique des particules ?
La stratégie européenne pour la physique des particules est une feuille de route pour préparer le futur à long terme du domaine. Il s’agit de définir les orientations stratégiques, en particulier les sujets de physique à explorer et les projets à mettre en œuvre à cet effet, qui seront autant de jalons sur le chemin que trace cette vision de notre science. Une telle planification s’impose compte-tenu des décennies que requièrent la définition, la construction puis l’exploitation des infrastructures comme les grands collisionneurs de particules. Dans sa forme actuelle, la première stratégie a vu le jour en 2006 et a fait l’objet de mises à jour en 2013 puis 2020. Aujourd’hui nous préparons la mise à jour qui devrait être finalisée en 2025 et adoptée en janvier 2026. C’est un exercice européen, mandaté par le Conseil du CERN, mais qui est mené en concertation avec des exercices similaires aux Etats-Unis et en Asie, et qui, du fait de la proéminence actuelle du CERN dans le domaine, a une portée mondiale.
Quels sont les enjeux de cet exercice ?
En contribuant à repousser les limites de la connaissance, souvent par le truchement de développements et d’innovations technologiques, les enjeux sont naturellement globaux, au bénéfice certes de notre domaine scientifique mais plus largement de la société. Le maintien du leadership européen en physique des particules est aussi un enjeu prégnant, comme l’est en miroir la question de l’avenir du CERN. À cet égard, la stratégie n’est pas décisionnaire sur les futurs projets mais se doit d’éclairer la décision en exprimant clairement une vision argumentée. La stratégie s’intéresse naturellement aussi aux femmes et aux hommes qui constituent la communauté de la physique des particules, que ce soit en termes de diversité, de perspectives de carrière pour les plus jeunes, de formation et de transmission du savoir, et elle doit aussi prendre en compte les défis sociétaux de l’époque.
Que préconise actuellement la stratégie ?
Le périmètre de l’exercice est relativement vaste, par conséquent il est difficile de résumer la stratégie en quelques lignes. En ce qui concerne les futurs grands projets, la stratégie a souligné comme prochaines étapes la nécessité d’une part d’un collisionneur électron-positon notamment pour mieux étudier le boson de Higgs, et d’autre part d’un effort de R&D et du lancement d’une étude de faisabilité en vue d’une machine hadronique ultérieure avec une énergie dans le centre de masse d’environ 100 TeV. Les initiatives prioritaires précédentes sont bien sûr confortées, comme, pour ce qui relève du plus court terme, l’exploitation complète de la phase haute-luminosité du LHC, y compris pour la physique des saveurs et du plasma de quarks et gluons. Mais aussi les projets en construction d’expériences à longue ligne de base pour la physique des neutrinos, notamment aux États-Unis. Le maintien d’une diversité scientifique, autour de projets complémentaires plus petits, est aussi nécessaire. Un programme ambitieux en théorie et phénoménologie, une R&D vigoureuse sur les accélérateurs, les détecteurs, et sur le calcul scientifique, et des liens plus intenses avec d’autres champs disciplinaires proches sont aussi préconisés.
Par quel processus la stratégie européenne est-elle mise à jour ? Quel est le rôle des communautés nationales dans ce processus ?
C’est un processus collectif qui s’appuie sur des contributions et des discussions de toute la communauté de physique des particules, auxquelles chacun et chacune peut contribuer. Un groupe de quatre personnes dit « secrétariat » est en charge de l’organisation globale (voir https://europeanstrategy.cern). Les discussions thématiques sont encadrées par le groupe de préparation de la physique (PPG), l’ensemble du processus est chapeauté par le groupe de stratégie européenne (ESG) dans lequel siègent notamment un représentant par pays (Christelle Roy pour la France), la direction générale du CERN, le secrétariat, les représentants des grands laboratoires européens actifs sur les accélérateurs (directions d'IJCLab (CNRS/Université Paris Saclay) et de l'Irfu (CEA) en France).
Les contributions, à soumettre avant le 31 mars 2025, seront étudiées par les groupes de travail, l’ensemble sera discuté lors d’un symposium européen à Venise du 23 au 27 juin 2025. Les communautés nationales en physique des particules sont invitées à irriguer aussi le processus en fournissant une contribution pour cette échéance du 31 mars 2025. Le PPG préparera un pensum sur les questions de physique, le Briefing Book, pour fin septembre, puis l’ESG rédigera le document final en décembre 2025.
Quels grands domaines de la physique et projets seront abordés par la mise à jour de 2025 ? Faut-il s’attendre à ce que le FCC soit au cœur des débats ?
Absolument. Au cœur des débats certainement, et je l’espère, personnellement en tant que physicien des particules, au cœur des conclusions. La précédente stratégie a conduit à la mise en place d’une étude de faisabilité approfondie pour le projet FCC, intégrant les deux phases : l’« usine » à Higgs et électrofaible FCC-ee, puis un collisionneur hadronique FCC-hh. Cette étude de faisabilité sera conclue en mars 2025 et alimentera la stratégie. De fait il s’agit du scénario de référence, et à l’occasion de cette mise à jour de la stratégie il faut transformer l’essai. Des scénarios alternatifs seront aussi discutés, pour parer à toute éventualité.
Au-delà de la question de la future grande machine au CERN, l’ensemble des questions importantes du domaine sont revues et il est difficile d’être exhaustif ici, rendez-vous à Venise !
Comment le processus de mise à jour de la stratégie est-il décliné en France ?
Afin de préparer une contribution de la communauté nationale en physique des particules, nous avons choisi de conduire l’exercice conjointement, CNRS Nucléaire & Particules et CEA/DRF/Irfu. Les modalités sont assez proches de celles de l’exercice européen, avec quatre groupes thématiques et un groupe sur les scénarios de machines qui préparent les éléments qui seront discutés lors d’un symposium national, les 20 et 21 janvier 2025 à Paris (https://indico.in2p3.fr/e/esppu-symposium-fr). Suivra ensuite une phase de rédaction de la contribution nationale en février et mars. En complément à l’expression portée par l’ensemble de nos scientifiques, cette contribution devra aussi préciser le degré de compatibilité de cette synthèse avec les vues des organismes nationaux de recherche et du ministère.
Au sein de CNRS Nucléaire & Particules, qui peut contribuer et comment ?
Tous les personnels des laboratoires peuvent contribuer, qu'ils aient le statut de chercheur, d'enseignant chercheur, de postdoctorant, de doctorant, d'ingénieur ou de technicien. Beaucoup l’ont déjà fait et je les en remercie. Que ce soit à titre individuel, via des collectifs, au nom de laboratoires, nous avons reçu de nombreuses contributions, aujourd’hui visibles sur le site https://esppu.in2p3.fr . Celles-ci irriguent le travail de réflexion et de synthèse actuellement en cours dans les quatre groupes thématiques. Ces synthèses alimenteront à leur tour le travail du groupe spécifique sur les scénarios de machine, puis le symposium de janvier. L’appel à contributions est désormais clos, mais une participation via les réunions des groupes de travail puis au symposium est toujours possible et vivement encouragée !
A quoi s’attendre lors du symposium des 20 et 21 janvier ?
Le programme est en cours d’élaboration, notamment avec les coordinateurs des groupes de travail. Il s’agira dans un premier temps de restituer les travaux approfondis conduits dans les groupes d’étude des contributions et de synthèse, d’en discuter collectivement, de s’assurer qu’aucun sujet majeur n’a été oublié, en particulier en ce qui concerne les nombreux sujets transverses aux cinq groupes de travail. Dans un second temps, il conviendra de dégager un consensus qui servira de fondation à la contribution française. Je m’attends à de nombreux échanges sur une variété de sujets, et à un exercice de synthèse qui est rarement facile mais toujours enrichissant.
Quel est votre message à celles et ceux qui hésitent à s’impliquer dans la mise à jour de la stratégie ?
Il n’est pas trop tard, participez aux prochaines réunions et venez au symposium ! Nous sommes tous très occupés, pourtant c’est de l’avenir de notre discipline dont il s’agit, nous nous devons d’être partie prenante de sa définition. Les enjeux de cette mise à jour de la stratégie sont majeurs pour notre science, pour le CERN, pour l’institut. Nous avons entre les mains le futur d’un des rares grands succès collectifs à l’échelle européenne, construit sur la passion commune de la physique qui nous anime comme elle animait nos prédécesseurs. Un message clair est essentiel pour porter une ambition scientifique forte pour nous toutes et tous et pour les prochaines générations de scientifiques.