LHC : ALICE fait la lumière sur un nouveau type de collisions
Au milieu du fracas des collisions de protons et de noyaux de plomb du LHC, d'autres particules s'entrechoquent plus discrètement. Il s'agit de collisions photon-photon et photon-noyau. Entre 2015 et 2018, l’expérience ALICE a pu récolter assez de données sur ces interactions très particulières pour en dresser un premier portrait-robot. Avec à la clé une meilleure compréhension du rôle des gluons dans la composition des noyaux et de la cohérence quantique, et peut-être, dans un futur proche, une nouvelle sonde de l’état primordial de la matière tel qu’il existait quelques microsecondes après le Big-Bang.
Pour comprendre d’où viennent ces photons qui collisionnent au LHC, il faut les voir comme un rayonnement qui a comme origine l’intense champ électromagnétique des noyaux de plomb, accélérés à des énergies ultra relativistes (99,999993% de la vitesse de la lumière). Ce nuage de photons qui entoure les noyaux du plomb a une densité de l’ordre de 1024 photons par cm2 à des énergies qui atteignent la centaine de gigaélectronvolts. Pour que les interactions observées soient induites par des photons, il faut que les noyaux ne se “voient” pas, c’est à dire qu’ils se croisent avec un paramètre d'impact (la distance entre leurs centres dans le plan transverse aux faisceaux) plus grand que la somme de leurs rayons nucléaires (cf. figure 1). On parle alors de collisions ultrapériphériques. Pour des paramètres d'impacts inférieurs à la somme des rayons nucléaires, les interactions avec les photons se superposent en effet aux interactions hadroniques. Ces interactions s’avèrent pleines d’enseignement pour l’expérience ALICE.
La mesure des réactions induites par photons est un complément très intéressant de l’axe principal du programme scientifique de l’expérience ALICE, dédiée à l'étude d'un nouvel état de la matière qui prévalait pendant les premières microsecondes du Big Bang et qui pourrait exister au cœur des étoiles à neutrons, le plasma de quarks et de gluons. Une des particules clés pour comprendre sa formation est un méson appelé J/psi (constitué d’une paire de quarks charme-anticharme), ayant les mêmes nombres quantiques que le photon avec une masse 3 fois supérieure. Le cas particulier où un J/psi est produit non pas lors de collisions hadroniques, mais lors de réactions induites par photons est appelé photoproduction : un photon acquiert de la masse et se transforme en un J/psi par fluctuation quantique. L’expérience ALICE a caractérisé et isolé pour la première fois ce phénomène aux énergies du LHC.
Les interactions photon-photon et photon-noyau en présence de recouvrement nucléaire intéressent les scientifiques à bien des égards. Elles permettent d'étudier des phénomènes fondamentaux jamais observés, notamment en sondant les noyaux pour étudier le rôle des gluons dans leur composition. Elles permettent aussi de mieux comprendre l'origine de la cohérence quantique. Enfin, dans un futur proche, elles permettront peut-être de sonder d'une manière nouvelle le plasma de quarks et gluons et observer des phénomènes purement quantiques tels que l'interférence destructive de J/psi photoproduits où les photons interférèrent avec les deux noyaux comme la lumière dans une expérience de fentes de Young.
L’expérience ALICE est particulièrement optimisée pour mesurer ces J/psi photoproduits émis vers l’avant du détecteur, caractérisés par de basses impulsions (de l’ordre de 60 MeV/c pour la composante transverse). Les produits de désintégration du J/psi, les muons, sont mesurés par le spectromètre à muon, dont la conception et la construction sont majoritairement françaises.
Ces caractéristiques expérimentales optimales ont permis la conduite de deux analyses complémentaires qui portent sur les données collectées en collisions plomb-plomb par la collaboration pendant la deuxième période d'exploitation (run 2) du LHC, entre 2015 et 2018. La première, portée par des chercheurs et chercheuses de Subatech (Nantes) et à IJCLab (Orsay) étudie quelle est la fraction des interactions photon-hadron dans la production du J/psi en fonction du nombre de nucléons impliqués dans la collision (cf fig2). Le résultat, à paraître dans Physics Letters B , permet déjà de contraindre fortement les modèles théoriques et aider les théoriciens et théoriciennes à identifier les approches les plus prometteuses. Une deuxième analyse, qui sera publiée dans les prochains mois et qui est portée par des scientifiques de l’IP2I (Lyon) en collaboration avec l’IJCLab (Orsay) étudie la polarisation des particules J/psi photoproduites - c’est à dire l’alignement de leur spin avec leur direction, lors d’interactions induites par photons sans recouvrement nucléaire.
Les prochaines données de la troisième période d'exploitation du LHC (run3) seront cruciales : ALICE prévoit en effet de collecter un échantillon de données beaucoup plus important, avec un nouveau dispositif de détection mis en opération pendant le dernier arrêt technique du LHC avec une électronique d'acquisition plus rapide et un nouveau détecteur placé tout près du point de collision, le muon forward tracker ou MFT (projet porté par l’IN2P3), qui permettra de localiser avec une meilleure précision le vertex d’origine des J/psi détectés.
En savoir plus
- En savoir plus dans le Courrier du CERN (en anglais).
- Publication associée : https://doi.org/10.48550/arXiv.2204.1068
- À propos des nouveaux détecteurs du LHC : https://www.in2p3.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/detecteurs-lhc-des-particules-suivies-la-trace