Marie-Hélène schune IJCLab
Marie-Hélène Schune : "Chiaroscuro, C’est une recherche indirecte, un peu comme lorsque l’on secoue un paquet cadeau pour tenter de deviner ce qu’il contient."© C. Schune

Marie-Hélène Schune lauréate d'une bourse ERC Advanced

Bourse et prix Entretien

Marie-Hélène Schune, physicienne des particules à IJCLab, a remporté la prestigieuse bourse européenne ERC Advanced pour mener à bien son projet de recherche de nouvelle physique au-delà du modèle standard. Baptisé Chiaroscuro1 , il vise à vérifier par des mesures de précision menées dans le cadre de la collaboration LHCb, que les muons et les électrons ont bien les mêmes propriétés de couplage comme l’impose la théorie.

  • 1Challenging the Standard Model with the scrutiny of b to qll transitions

En quoi consiste le projet Chiaroscuro pour lequel vous avez obtenu une bourse ERC Advanced ?

Ce projet cherche à découvrir des phénomènes physiques nouveaux qui ne sont pas prévus par le modèle standard de la physique des particules. Pour cela nous allons faire des mesures de précision afin de trouver des écarts entre les prédictions du modèle standard et ce qui est observé expérimentalement. De tels écarts, s’ils étaient constatés, seraient la manifestation de particules ou de phénomènes inconnus. C’est une recherche indirecte, un peu comme lorsque l’on secoue un paquet cadeau pour tenter de deviner ce qu’il contient.

De quelles mesures de précision s’agit-il ?

On regarde les transitions d’un quark b en quark s ou d’un quark b en quark d, dans lesquelles sont émis des paires de leptons, c’est-à-dire des paires de muons ou d’électrons. Nous allons notamment tenter de déterminer s’il existe des écarts entre l’émission des muons et celle des électrons. Normalement, la règle de l’universalité du couplage leptonique du modèle standard voudrait qu’il n’y en ait aucune, mais il semblerait que cela puisse ne pas être le cas. Avec Chiaroscuro, nous allons essayer de trancher définitivement cette question.

Pourquoi avoir choisi spécifiquement d’étudier ces transitions ?

Nous savons que ces transitions sont très sensibles à la présence de particules virtuelles, c’est-à-dire des particules qui, par un effet de fluctuations quantiques, peuvent prendre la forme de n’importe quelle particule existante, y compris la forme de particules encore inconnues. Nous allons donc tenter de détecter des influences qui ne seraient pas explicables par l’action des particules connues.

Comment ces mesures sont-elles réalisées ?

Nous utilisons l’un des 4 détecteurs du LHC au CERN : LHCb. Il est optimisé pour capter, lors des collisions de protons dans le collisionneur, les hadrons contenant des quarks b. Les transitions des quarks b en quark s ou d, bien que très rares (1 sur 10 millions pour la première et 25 fois plus rare pour la seconde) peuvent donc y être étudiées de façon optimale. Des études sur les transitions donnant des paires de muons y ont déjà été conduites car ils sont assez simples à reconstituer. En effet, les chambres qui détectent les muons sont en queue de détecteur, là où les autres particules n’arrivent pas. En revanche les événements donnant des paires d’électrons de basse intensité sont extrêmement difficiles à étudier. Et c’est sur ces événements particuliers que l’ERC va permettre de travailler.

Pourquoi les transitions avec émission d’une paire d’électrons sont-elles plus complexes à étudier ?

Parce que les électrons sont détectés dans la première couche du détecteur, plus près du point de collision du LHC, là où il y a une véritable jungle de traces laissées notamment par des photons qui se convertissent en paires électrons/positrons au contact de la matière. Et puis les électrons souffrent aussi du rayonnement de freinage qui dévie leur trajectoire pendant leur parcours dans le détecteur. Cet effet dégrade la précision de la reconstitution des événements.

Vous avez donc une technique qui vous permet de travailler sur ces électrons ?

Nous avons déjà développé à IJCLab des programmes informatiques destinés à repérer et reconstruire les trajectoires des électrons, mais dans un contexte plus simple. Ce sont des codes extrêmement subtils dont l’optimisation relève littéralement de l’artisanat. A ce jour, nous sommes d’ailleurs les seuls à avoir fait une analyse angulaire avec des électrons, et si nous en sommes arrivés là, c’est à la fois parce que nous avons une excellente connaissance du détecteur LHCb que nous avons contribué pour une grande part à construire, mais aussi parce que nous avons commencé à réfléchir à cette problématique il y a plus de 10 ans sous l’impulsion de Jacques Lefrançois.

Il semble que cette ERC tombe à point pour continuer sur votre lancée ?

Effectivement, c’est une très bonne nouvelle car sans l’ERC Advanced le laboratoire n’aurait sans doute pas pu disposer d’autant d’étudiants en thèse et de postdoctorants pour mener à bien cette recherche. A partir de maintenant, nous allons pouvoir mettre 5 personnes d’un coup sur le sujet et, à l’heure où ce type de recherche passionne de nombreux autres laboratoires, continuer à être un acteur majeur.

Vous attendiez-vous à décrocher cette ERC Advanced ?

Ça a été une véritable surprise de l'avoir. D’autant que c’est une première demande. Le sujet est joli, mais je pensais que ces bourses étaient pour des scientifiques bien plus forts. J’ai déjà essuyé 3 refus pour des ANR et je ne me faisais pas d’illusions. Mais la médaille d’argent du CNRS en 2019 et tout ce qui s’est dit dans la collaboration LHCb sur le syndrome de l’imposteur et l’autocensure des femmes a été le petit coup dans le dos qui m’a convaincue de faire cette demande, même si je n’y croyais pas vraiment.

Pourquoi avoir choisi ce nom de Chiaroscuro, que signifie-t-il ?

Je ne suis pas douée pour trouver des noms, il suffit de voir le nom de mes variables dans mes codes pour le comprendre. Du coup on m’a conseillé d’utiliser un site web qui suggère des noms en fonction des termes que l’on saisit. Ça n’était pas très probant jusqu’à ce que j’entre l’intitulé complet du projet. Le logiciel m’a alors proposé Chiaroscuro, qui signifie clair-obscur en italien. En tant que dessinatrice, ça m’a tout de suite parlé. Je trouve que ça colle très bien avec l’idée de recherche indirecte de nouvelle physique où il faut deviner, essayer de préciser ce qu’il y a de tapi dans l’ombre.

Contact

Laurent Vacavant
DAS Particules et hadronique
Emmanuel Jullien
Responsable du service communication de l'IN2P3