Matteo Barsuglia, dans les vagues de l'espace-temps

Portrait Astroparticules et cosmologie

Le virus de la physique peut vous frapper jeune, très jeune. C’est encore enfant que Matteo Barsuglia rencontre Einstein dans un documentaire télé, et il en reste fasciné. C’est décidé, il sera chercheur. Ce qu’il ignore, c’est qu’il est parti pour vivre une aventure scientifique aussi extraordinaire qu’incroyable : la détection directe des ondes gravitationnelles, qu’il raconte dans son premier livre « Les vagues de l’espace-temps ».

Un pari fou sur l’avenir

Après ses premières années de physique fondamentale, l’étudiant Barsuglia quitte l’Italie pour un Erasmus à Paris. Il entame un stage au LAL à Orsay et sera si intéressé qu’il va y rester cinq mois au lieu d’un dans l’équipe d’Alain Brillet, un des pères fondateurs du détecteur d’ondes gravitationnelles Virgo. Ironie du sort, c’est donc à Orsay qu’il entend parler pour la première fois du projet de construction de Virgo, dont les travaux commenceront quelques années plus tard à 15km de Pise, sa ville natale et estudiantine.

Après un petit détour par la physique des particules, Matteo Barsuglia tourne définitivement le dos à cette discipline pourtant en plein âge d’or, et choisi le monde encore balbutiant des ondes gravitationnelles. Il soutient son doctorat aux côtés d’Alain Brillet et d’Adalberto Giazotto, autre fondateur de Virgo, et intègre le CNRS. Le chercheur se rappelle avec émerveillement ses débuts : « C’est une expérience extraordinaire, rencontrer des personnes à la fois visionnaires et pragmatiques, assez folles pour relever des défis comme détecter une chose de l’ordre d’un milliardième de milliardième de mètre ! ».

Rendre possible l’improbable

Le pari de la détection directe des ondes gravitationnelles est en effet risqué. Prédites par Einstein en 1916 dans le cadre de sa théorie de la relativité générale, leur réalité a été longuement débattue, Einstein changeant lui-même plusieurs fois d'avis à ce sujet et doutant qu’il ne soit jamais possible de les mettre en évidence de façon expérimentale. Les équipes de Virgo ne l’entendent pas de cette oreille.

Ils ont mis au point une arme choc pour faire leur démonstration : un interféromètre de Michelson géant. Ses bras mesureront 3 km de long et abriteront des faisceaux lasers sous vide. Ces faisceaux traverseront des miroirs et des instruments suspendus totalement isolés des perturbations extérieures. Virgo devrait ainsi détecter des déplacements des miroirs de l’ordre de 10-18m, un millier de fois inférieur à la taille du proton !

Le principe est là. Sa mise en pratique s’est avérée un véritable casse-tête. « Presque tout peut parasiter l’infime signal que l’on cherche à percevoir : le ressac des vagues à 30km, le survol de la zone par les avions, l’activité sismique la plus insignifiante… Il nous aura fallu des années de travail, pleines de créativité pour trouver des solutions originales à des problèmes inattendus » se souvient Matteo Barsuglia, qui coordonne alors la mise en service de l’instrument, « le commissioning ».

En 2007, Virgo est prêt à démarrer. De l’autre côté de l’Atlantique les Américains ont construit deux détecteurs similaires appelés LIGO. Convaincus de l’excellence mutuelle de leur travail, les scientifiques de LIGO et Virgo signent un accord de collaboration pour le partage total des données et la publication commune des résultats de physique obtenus. Plusieurs milliers de scientifiques et techniciens vont donc œuvrer ensemble pour atteindre leur objectif, la foi chevillée au corps sans même savoir s’ils le verront de leur vivant.

Matteo Barsuglia prend un congé sabbatique d’un an pour se remettre de ces années folles de lancement, et décide d’intégrer à son retour le tout nouveau laboratoire Astroparticules et Cosmologie (APC) à Paris-Diderot. En pleine ébullition intellectuelle de la fondation, il créé avec Eric Chassande-Mottin un groupe de recherche « ondes gravitationnelles », qu’il va diriger dix ans. Le groupe est en charge du design optique de Virgo Advanced et de la conception, la production et l’installation des télescopes d’adaptation du faisceau laser : ces dispositifs permettent d’augmenter ou réduire le rayon du faisceau laser en entrée et sortie de l’interféromètre tout en conservant de très bonnes performances optiques, une technologie de pointe indispensable pour augmenter la sensibilité du détecteur.

GW150914, le jour où la science a tremblé

Vers midi le 14 septembre 2015, les détecteurs LIGO enregistrent le signal GW150914. Cette fois, il ne s’agit pas d’une énième alerte factice pour tester l’instrument et la procédure de détection ? A mesure que l’on écarte l’éventualité d’un bruit parasite, une folle excitation s’empare des équipes de tous les pays participants. Et bientôt il n’y a plus aucun doute, pour la première fois dans l’histoire de la science, un événement cosmique a été détecté par les ondes gravitationnelles qu’il a émises. On mesure le soulagement et surtout le triomphe de toutes les personnes qui s’étaient investies dessus depuis des années. « Le soir en rentrant du laboratoire, j’ai traversé Paris en criant de joie sur mon vélo, tellement c’était extraordinaire ! » se rappelle Matteo Barsuglia en riant.

En février 2016, après des mois d’embargo et de vérifications minutieuses, les collaborations LIGO et Virgo organisent des conférences de presse simultanées dans le monde entier pour l’annonce officielle de cet événement : « Mesdames et messieurs, nous avons détecté des ondes gravitationnelles. On a réussi ! » s’exclame avec enthousiasme David Reitze, directeur exécutif de LIGO. 

Le 14 août 2017, Virgo détecte à son tour son premier signal, et le 17 août, c’est la première détection d’onde gravitationnelle produite par la fusion de deux étoiles à neutrons. Le catalogue d’événements détectés ne va plus cesser de s’enrichir et ainsi confirmer la réussite des deux collaborations, saluée dans l’année par la médaille d’or du CNRS, le prix Nobel de physique et de nombreuses autres récompenses.  

Le début de l’aventure

Si grands que soient ces succès, ils ne représentent que le début d’une nouvelle ère pour l’observation de l’univers et de ses phénomènes. Pour Matteo Barsuglia, pas question de se reposer sur ses lauriers : « En 20 ans, on est passé d’un champ de boue à Cascina à un détecteur qui enregistre un événement candidat chaque semaine ou presque ! Le domaine est si neuf que chaque amélioration, si petite soit-elle, peut nous apporter de nouvelles sources à étudier. »

L’optimisation de Virgo entre les phases de prises de données reste essentielle pour détecter de nouveaux types d’ondes gravitationnelles et leur origine : coalescence de trous noirs, fusion d’étoiles à neutron, de binaires… Matteo Barsuglia travaille sur la réduction du bruit thermique des miroirs par l'utilisation de faisceaux non-gaussiens, la réduction du bruit quantique par l’utilisation d’états compressés de la lumière (squeezing), et l’étude des perturbations locales de gravité (bruit Newtonien)... Il commence aussi à penser à l’Einstein telescope, projet d’interféromètre de 3ème génération qui pourrait fonctionner à l’horizon 2035 quand LIGO et Virgo auront atteint leurs limites.  

C’est pour faire connaître toute cette odyssée et les futurs possibles que Matteo Barsuglia a écrit son premier livre « Les vagues de l’espace-temps ». Il met l’accent sur le travail de toute la collaboration au travers de son propre parcours, partage les moments de doute et d’enthousiasme qu’il a pu traverser. Un éclairage personnel intéressant pour voir cette aventure de l’intérieur.

Le livre

Présentation : En septembre 2015, l'instrument américain LIGO détectait pour la première fois  une onde gravitationnelle traversant la Terre, une légère perturbation de l'espace-temps, de l'ordre du milliardième de milliardième de mètre. Cette onde signalait un événement exceptionnel et extrêmement : la fusion de deux trous noirs, à plus d'un milliard d'années-lumière. En août 2017, une nouvelle détection était conjointement réalisée par LIGO et le détecteur européen Virgo, permettant de localiser la source de la perturbation : la fusion de deux étoiles à neutrons, deux astres ultra-dense de masse comparable à celle du Soleil pour un rayon de l'ordre de 10 kilomètres.
Fruit d'une prouesse technologique, la détection de ces ondes ouvrait ainsi la voie à une nouvelle astronomie, avec la possibilité d'observer le ciel d'une façon inédite. 
Rédigé par un acteur de premier plan, ce livre nous emmène à la découverte de cette épopée scientifique, qui nous permettra de percer certains mystères de l'Univers, et peut-être même de comprendre la nature de la matière noire et de l'énergie sombre.

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