Palmarès des 80PRIME 2020 : 4 projets pilotés par l'IN2P3 décrochent un financement
Bourse et prix
La MITI (Mission pour les initiatives transverses et interdisciplinaires du CNRS) a sélectionné dans le cadre de l'appel à projet « 80 Prime », destiné à soutenir et renforcer l'interdisciplinarité entre les instituts du CNRS, les projets conduits par quatre scientifiques des laboratoires de l'IN2P3. Quatre projets dans lesquels la physique se marie avec le « deep-learning », l'ordinateur quantique, la chimie quantique, ou encore la chimie de coordination. Portraits.
Projet n°1 : Améliorer l’imagerie médicale avec la chimie
Projet porté par Aline Nonat chercheuse à l'IPHC ( Institut pluridisciplinaire Hubert Curien) UMR 7178
Intitulé du projet : COMBI « COMplexes de Bispidine pour l’Imagerie »
Instituts associés : IN2P3, INC
Améliorer l’imagerie médicale avec la chimie
Aline Nonat, chercheuse en chimie à l'IPHC (1), est une habituée des projets interdisciplinaires. Il n'y a pas si longtemps elle était sollicitée pour améliorer les panneaux solaires, et aujourd'hui, la voilà au centre d'un projet d'innovation en imagerie médicale, le projet COMBI pour « Complexes de bispidine pour l'imagerie ». C'est que la chimiste a une spécialité dont le potentiel applicatif ne se dément pas. Elle piège les ions métalliques dans des carcans moléculaires afin de mieux les contrôler et les exploiter. Cela s'appelle la chimie de coordination et en imagerie médicale cette maîtrise s'avère cruciale. « Lorsque l'on injecte dans un organisme des marqueurs ou des radionucléides métalliques pour faire de l'imagerie des tumeurs, on souhaite que ces marqueurs aillent se fixer précisément sur les zones d’Intérêt et ne soient pas perdus en chemin. Il faut donc trouver à la fois un moyen de les tenir solidement et de les conduire à bon port, explique la chercheuse. C’est justement ce que nous réalisons avec la bispidine ».
Une molécule à deux faces
La bispidine est une molécule à deux faces. D’un côté elle possède une pince parfaitement rigide que la chimiste peut ajuster à loisir pour ceinturer et immobiliser les ions métalliques de son choix. De l'autre, elle dispose de points d'accroche pour lier des molécules biologiques comme des anticorps, qui vont servir de tête chercheuse et amener le marqueur au bon endroit dans l’organisme. Avec ses collaborateurs, la chercheuse a déjà ajusté avec succès le squelette de la bispidine pour fixer des ions de manganèse (Mn) à des fins d’imagerie, et les résultats en termes de stabilité, de biocompatibilité et de fixation sur les tumeurs sont excellents.
Combiner TEP et IRM
Grace à la bourse 80PRIME, le même travail sera conduit pour le Zirconium-89, un autre radionucléide intéressant pour l'imagerie et produit localement auprès de la plateforme Cyrcé de l'IPHC. Ce financement sera aussi l’occasion de pousser l’expérience du Mn plus loin, en réalisant notamment les premières images d’imagerie nucléaire française avec ce radionucléide. « Avec la bispidine nous pouvons adapter la coordination du manganèse pour qu’il se comporte égalementcomme un agent de contraste pour l’imagerie IRM, confie Aline Nonat. Du coup, avec une même injection complexe de manganèse-52 et naturel, nous devrions pouvoir observer les tumeurs à la fois en imagerie TEP et en IRM, une première en France. »
- Institut pluridisciplinaire Hubert Curien, CNRS/Université de Strasbourg
La molécule de bispidine forme une pince, que les chimistes configurent pour attraper spécifiquement certains atomes, comme ici le Manganèse. Liée à un anticorps, la bispidine devient alors un véhicule qui va pouvoir transporter ces métaux nécessaires à limagerie médicale, aux endroits de l’organismes à visualiser. Image : IPHC / IN2P3 / Aline Nonat
Projet n°2 : Faire de la physique nucléaire avec les ordinateurs quantiques
Projet porté par Denis Lacroix chercheur à IJCLab (Laboratoire de physique des 2 infinis Irène Joliot-Curie) UMR 9012
Intitulé du projet : SNAC-QC « Simuler les Noyaux Atomiques et leurs Constituants avec des ordinateurs quantiques »
Instituts associés : IN2P3, INS2I, INSIS
Faire de la physique nucléaire avec les ordinateurs quantiques
C’est un grand saut dans l’inconnu, un pari sur l’avenir, un travail exploratoire comme on dit dans la recherche, mais c’est justement ce qui motive Denis Lacroix. Le physicien, spécialiste de la simulation des noyaux depuis plus de 20 ans et actuellement à l’IJCLab (1), en est convaincu, les ordinateurs quantiques sont en passe de révolutionner sa discipline et il ne veut pas rater le train. « Les machines quantiques ont un avantage incroyable comparées aux ordinateurs classiques, elles travaillent avec des ondes. Or c’est justement sous la forme d’ondes que les neutrons et protons des noyaux interagissent entre eux », souligne Denis Lacroix.
Simuler un noyau avec des qubits
En effet, il faut comprendre que l’ordinateur quantique se présente sous la forme d’un réseau de qubits, des systèmes physiques élémentaires que l’on amène dans un état quantique et dont il est possible de contrôler l’état et les interactions avec ses voisins. Simuler un noyau revient donc à représenter les particules élémentaires (quarks ou protons/neutrons) ainsi que les forces qui les lient par un ensemble de qubits et de tester ensuite le comportement global du réseau. Les ordinateurs classiques actuels ne permettent de traiter avec précision que des systèmes composés d’un petit nombre de particules, en général de l’ordre de 10-20. Les ordinateurs quantiques ont quant à eux le potentiel d’aller beaucoup plus loin. « Si l’on disposait d’un nombre illimité de qubits il serait en théorie possible de simuler des gros noyaux inaccessibles aux expérimentateurs », rêve Denis Lacroix.
Plus il y a de qubits, plus il y a de bruit
« Mais nous ne savons pas à l’heure qu’il est, ajoute-t-il, si le nombre de ces qubits pourra être augmenté au-delà des 50 réalisés par Google récemment. Plus il y en a et plus le système de contrôle et de mesure du réseau génère du bruit. Au point que toute mesure devient impossible. » C’est là que se situe le pari. Si aucune solution n’émerge pour endiguer ce bruit, il n’y aura pas de révolution. Mais les idées fourmillent et il y a bon espoir que la technologie évolue très vite. Il faut donc s’y préparer et le projet PRIME est une aubaine pour cela. Avec le concours des spécialistes de l’ordinateur quantique du LIP6 (2), Denis Lacroix va définir les méthodes de programmation qui permettront de simuler des noyaux sur un ordinateur quantique. Un thésard le rejoindra aussi, prochainement, avec un titre de thèse sans ambiguïté : « Description des noyaux atomiques par l'ordinateur quantique ».
- Unité mixte CNRS / Université Paris-Saclay / Université de Paris
- Laboratoire de recherche en informatique CNRS/Sorbonne Université
Le projet vise dans un premier temps à repenser la physique des noyaux et de leurs constituants de sorte à ce que leur description soit possible sur les ordinateurs quantiques actuels et futurs. Image IN2P3
Projet n°3 : Capturer des ultra traces de Polonium
Projet porté par Rémi Maurice chercheur au laboratoire SUBATECH (Laboratoire de physique subatomique et des technologies associées) UMR 6457
Intitulé du projet : MSM4Po « Modélisation multiéchelle de la chimie du Polonium en solution »
Instituts associés : IN2P3, INP, INC
Capturer des ultra traces de polonium
Un seul petit milligramme de polonium émet autant de radioactivité que 13,5 tonnes d’Uranium 238. C’est dire si cet élément, présent à l’état de traces aussi bien dans les anciennes mines d’Uranium que dans le tabac cultivé aux engrais phosphatés, est un redoutable poison. Il n’existe pourtant à ce jour aucune molécule identifiée capable de piéger efficacement cet atome, que ce soit pour en mesurer la concentration dans l’environnement, ou pour l’évacuer d’un organisme. Une absence à mettre sur le compte de la difficulté à l’étudier en laboratoire. Outre sa toxicité, le polonium est rare et sa demi-vie de 138 jours. Mais rien n’est perdu et Rémi Maurice, chercheur au laboratoire SUBATECH, espère bien remédier au problème du piégeage.
Partir de l'état quantique du Polonium
Ce spécialiste de chimie théorique, propose d’étudier virtuellement la chimie du polonium et de guider les chimistes dans la recherche d’un ligand spécifique capable de le capturer. « En général on fait des simulations pour reproduire des expériences, là nous allons tenter de faire l’inverse, explique le chercheur. Pour cela, nous allons partir de l’état quantique du polonium, c’est-à-dire son état vu au travers du comportement ondulatoire de chacun de ses quatre-vingt quatre électrons et de ceux des espèces avec lesquelles il est lié. Ce sera à partir de cet état que nous allons pouvoir étudier dynamiquement sa réactivité, toujours de façon virtuelle, pour à la fin proposer des ligands aux chimistes ».
Mesurer des ultra traces
La méthodologie est bien balisée et le chercheur pourra compter sur l’expertise des laboratoires de physique PhLAM (1) à Lille et de chimie CEISAM (2) à Nantes. Le premier pour sa maîtrise de la relativité et du lien entre physique quantique et physique classique, et le second dans la conception et la modélisation de ligands. En attendant tous les regards se tournent vers Rémi Maurice. C’est lui qui doit au préalable conduire des analyses de spectres, bien réelles celles-ci, sur le polonium afin d’en déterminer l’énergie de transition, et de remonter ainsi à sa configuration quantique. Sans cette description initiale précise, les ligands créés risqueraient de ne pas être assez spécifiques, et ça n’est pas envisageable. « Ce sont des ultra traces que l’on mesurera dans l’environnement, indique le chimiste. Si l’on capture d’autres radioéléments plus courants dans notre filet, ils masqueront la présence du polonium ».
- Laboratoire « Physique des lasers, atomes et molécules » CNRS/Université de Lille
- Laboratoire « Chimie et interdisciplinarité : synthèse, analyse, modélisation » CNRS/Université de Nantes
Suivant sa configuration quantique, une molécule aura une réactivité qui changera du tout au tout. Ici, on peut voir les deux orbitales frontières du polonium associé à 6 atomes de chlore. L'étude permettra de trouver la configuration exacte pour différents systèmes chimiques. Image Rémi Maurice / SUBATECH
Projet n°4 : Du « deep learning » pour doper l’imagerie X
Projet porté par Yannick Boursier chercheur au CPPM (Centre de physique des particules de Marseille) UMR 7346
Intitulé du projet : DePIcT « Deep-Learning Data Processing of spectral PC-CT longitudinal Studies to Design and Optimize combined Immuno-Anticancer Treatments in Liver Cancer Mouse Models »
Instituts associés : IN2P3, INSB
Du « deep learning » pour doper l’imagerie X
Avec ses collègues de l’équipe imXgam du CPPM (1), Yannick Boursier conduit pas à pas une petite révolution de l’imagerie aux rayons X. Tout est parti de la valorisation de technologies développées pour les détecteurs de particules du CERN dans les années 2000. En l’occurrence, les détecteurs à pixels hybrides. Derrière cette appellation obscure, il faut imaginer un capteur dont chaque pixel est équipé d’une électronique propre, si rapide qu’il détecte 1 à 1 les photons X qui passent. Résultat, ces capteurs donnent des images plus propres et contrastées tout en n’utilisant qu’une fraction de la dose de rayons X habituellement nécessaire. En d’autres termes, avec cette technologie les radiographies peuvent se succéder sans créer de dommages notables dans les tissus biologiques.
Un scanner X pour de l'imagerie fonctionnelle
Mieux encore, le fonctionnement de ces pixels hybrides peut être réglé pour ne tenir compte que des photons dont l’énergie est plus grande qu’une valeur prédéfinie. « Ce réglage aide à faire ressortir des zones particulières d’un organisme en utilisant des agents de contraste que l’on caractérise d’après la manière dont les rayons X interagissent avec eux, explique Yannick Boursier. Par exemple, des nanoparticules de Baryum sont utilisées pour révéler et évaluer la taille de tumeurs du foie, ou la vascularisation de ces mêmes tumeurs est révélée grâce à des agents de contraste iodés. » En somme le scanner à rayons X devient une véritable technique d’imagerie fonctionnelle, au même titre que la TEP (tomographie par émission de positons) ou l’IRMf (imagerie par résonance magnétique fonctionnelle), mais en plus simple. Le CERIMED (2), sur le Campus Santé de la Timone ne s’y est pas trompé, lui qui inaugurera en 2020 le premier exemplaire de ce scanner au sein de sa plateforme R&D préclinique.
L'intelligence artificielle va améliorer l'image
Mais l’aventure ne s’arrête pas là, et l’équipe imXgam cherche par tous les moyens à améliorer la technique. Avec le financement 80PRIME et l’appui de l'équipe de Flavio Maina de l’IBDM (3), Yannick Boursier, spécialiste du traitement mathématique des signaux, compte gagner en qualité d’image et en rapidité d’analyse en faisant appel au « deep learning ». « Nous avons développé avec l’aide de Sandrine Anthoine de l’I2M (4), un programme de reconstruction tomographique très performant auquel nous souhaitons adjoindre de l’intelligence artificielle. Pour cela nous allons entrainer un réseau de neurones pour qu’il apprenne à identifier et localiser un agent de contraste et à en mesurer la concentration, le tout en moins d’une minute au lieu des 30 minutes à 1 heure nécessaires actuellement », poursuit l’enseignant-chercheur. « On a bon espoir qu’il soit encore plus robuste face aux petits écarts de calibration du scanner et qu’en réduisant le bruit de quelques dB il nous restitue des images d’une qualité encore supérieure.»
- Centre de physique des particules de Marseille (CNRS / Aix Marseille Université)
- Centre européen de recherche en imagerie médicale (CNRS / Aix Marseille Université)
- Institut de biologie du développement de Marseille (CNRS / Aix Marseille Université)
- Institut de mathématiques de Marseille (CNRS / Aix Marseille Université / École Centrale de Marseille)
Progression tumorale vue à plusieurs jours d’intervalle avec le scanner à pixels hybride de l’équipe imXgam. On y constate notamment la régression de la tumeur sous l’effet du traitement. Le projet PRIME80 va permettre notamment de réduire le bruit des images et augmenter la qualité de la restitution des textures. Image Christian Morel et Flavio Maina, iScience
GEOMOUT, un projet dans lequel l'IN2P3 est associé :
Le projet GEOMOUT emmené par Eric Garine Wichatitsky, chercheur au LESC (1), avec la participation de plusieurs scientifiques dont Cédric Sueur, éthologue à l'IPHC (2), propose de conduire une étude fine de sociétés pastorales en combinant simultanément des approches anthropologiques, éthologiques et écologiques. En effet, les membres de ces sociétés se perpétuent grâce à la mobilité spatiale, la flexibilité de leurs stratégies techniques et économiques, mais aussi du fait de la précision des ré-aménagements perpétuels des relations entre les humains et leurs bétails. Cette étude vise donc à observer et croiser ces divers ordres de diversité pour mieux comprendre les logiques pastorales contemporaines. Ce projet porté par l'INSHS, implique 6 laboratoires CNRS dépendant de l'INEE, l'INSB et l'IN2P3.
- Laboratoire d'ethnologie et de sociologie comparative, UMR 7186, CNRS/Université Paris Nanterre
- Institut pluridisciplinaire Hubert Curien, UMR 7178, CNRS/Université de Strasbourg