Première détection de l'émission rémanente d'un sursaut gamma à très haute énergie

Résultats scientifiques Astroparticules et cosmologie

Après dix ans d'efforts, des scientifiques ont détecté pour la première fois l'émission de très haute énergie d'un sursaut gamma. Cette découverte a été faite en juillet 2018 par le télescope géant de 28 mètres du réseau H.E.S.S. en Namibie. Ce sursaut gamma, un flash extrêmement énergétique produit à la suite d'un cataclysme cosmique, a de façon inattendue émis des rayonnement gamma de très haute énergie longtemps après l'explosion initiale.

Le 20 juillet 2018, le détecteur de sursauts gamma GBM (Gamma-Ray Burst Monitor) à bord du satellite Fermi, suivi quelques secondes plus tard par le télescope spatial Swift, a émis une alerte sur les réseaux mondiaux concernant un sursaut gamma, appelé alors GRB 180720B. Dans la foulée de cette alerte, plusieurs observatoires terrestres ont immédiatement pointé dans la direction du sursaut gamma. Pour le réseau de télescopes H.E.S.S. (High Energy Stereoscopic System), cette position sur le ciel n'était observable qu'une fois la nuit tombée, 10 heures plus tard. Néanmoins, l'équipe de H.E.S.S. a décidé d'observer cette position afin de rechercher une éventuelle émission, durant la phase rémanente du sursaut. Après avoir cherché pendant plus de dix ans une signature de ces cataclysmes à très haute énergie, la collaboration a donc vu ses efforts porter leurs fruits.

Des explosions cosmiques extrêmement énergétiques sont à l'origine de sursauts gamma (GRB, pour Gamma Ray Bursts), durant quelques dizaines de secondes seulement. Ce sont les explosions les plus lumineuses de tout l'Univers. Ces sursauts sont suivis par une phase plus longue d'émission dite rémanente principalement en optique et en rayons X, émission décroissant rapidement au cours du temps. L'émission prompte en rayons gamma de haute énergie (HE), correspondant au sursaut initial, est composée essentiellement de photons de milliers à des millions de fois plus énergétiques que ceux composant la lumière visible, photons qui ne peuvent être observés que par des instruments spatiaux. Tandis que les observatoires spatiaux ont détecté une poignée de photons d'énergie légèrement plus élevée, la question d'une éventuelle émission gamma de très haute énergie (THE, au moins 100 milliards de fois plus élevée que celle de la lumière visible, et uniquement observables depuis le sol) était restée en suspens jusque là.

Une telle émission de très haute énergie a maintenant été détectée par le grand télescope de H.E.S.S., spécialement conçu pour des observations de ce type. Les données collectées durant 2 heures, entre 10 et 12 heures après le sursaut, ont mis en évidence une nouvelle source d'émission gamma, ponctuelle, et coïncidant avec le sursaut. Si la détection d'émission gamma de très haute énergie en provenance d'un sursaut était assez largement anticipée, le fait que cette émission se prolonge des heures après le sursaut initial, pendant la phase rémanente, a constitué une véritable surprise. La découverte du premier sursaut gamma détecté à de telles énergies est annoncée dans une publication de la collaboration H.E.S.S. dans la revue Nature, ce jour.

 Le sursaut GRB 180720B en rayons gamma de très haute énergie, entre 10 et 12 heures après le sursaut, tel que vu par le grand télescope de H.E.S.S.. La croix rouge indique la position de GRB 180720B, déterminée à partir des mesures en optique.
Le sursaut GRB 180720B en rayons gamma de très haute énergie, entre 10 et 12 heures après le sursaut, tel que vu par le grand télescope de H.E.S.S.. La croix rouge indique la position de GRB 180720B, déterminée à partir des mesures en optique.
Image : Abdalla et al./H.E.S.S. Collaboration

Le sursaut GRB 180720B a été très intense et a duré environ 50 secondes, une durée relativement élevée indiquant probablement la mort d'une étoile massive. Dans ce processus, le cœur de l'étoile s'effondre pour donner un trou noir en rotation rapide. Le gaz environnant forme alors un disque d'accrétion entourant le trou noir, accompagné de jets de gaz éjectés perpendiculairement au disque d'accrétion et qui sont à l'origine des sursauts gamma : des particules accélérées dans les jets à des vitesses relativistes interagissent avec la matière et/ou le rayonnement et produisent alors ne nombreux photons gamma.

L'émission gamma de très haute énergie ainsi détectée démontre pour la première fois la présence de particules accélérées à des énergies extrêmes dans les sursauts gamma, et indique également que ces particules existent encore, voire sont créées longtemps après le sursaut initial. L'hypothèse sous-jacente la plus vraisemblable est la présence d'une onde de choc créée par l'explosion initiale, onde de choc se comportant comme un accélérateur cosmique de particules. Avant les observations de H.E.S.S., on pensait que cette éventuelle émission gamma de très haute énergie ne serait observable que pendant les premières secondes ou minutes après l'explosion, mais pas des heures après.

Au moment des mesures effectuées par H.E.S.S., l'émission en rayons X de la phase rémanente avait déjà décru de façon considérable. Cependant, et de manière tout à fait remarquable, les intensités et formes spectrales sont très similaires entre les domaines des rayons X et des rayons gamma. Plusieurs processus physiques permettent d'expliquer l'émission de photons gamma de très haute énergie par des particules accélérées à des énergies très élevées. Les résultats de H.E.S.S. permettent de poser des contraintes fortes sur deux des mécanismes potentiels d'émission. « Si l'un des mécanismes semble favorisé pour des considérations énergétiques, la dureté du spectre mesuré par H.E.S.S. et l'extension en énergie de cette émission tardive représente un défi pour les deux types de modèles » indique Mathieu de Naurois, directeur adjoint de la collaboration et chercheur au Laboratoire Leprince Ringuet.

Cette découverte majeure apporte un nouvel éclairage sur la nature des sursauts gamma. Comme l'indique  Quentin Piel, doctorant au Laboratoire d'Annecy de Physique des Particules ayant participé à l'analyse des données, « Cette détection a révolutionné l'étude des sursauts gamma avec les télescopes à effet Cherenkov atmosphériques. Grace à cette détection et aux leçons qui en ont été tirés, nous avons déjà amélioré notre stratégie d'observation. Dans le futur, nous nous attendons à la détection d'un grand nombre de sursauts gamma à très haute énergie, et à une compréhension bien plus fine de ce phénomène. »

 

H.E.S.S. Collaboration et al: A new very-high-energy component deep in the Gamma-ray Burst afterglow, Nature, 2019

Auteurs Correspondants: Edna Ruiz Velasco, Quentin Piel, Robert Daniel Parsons, Elisabetta Bissaldi, Clemens Hoischen, Andrew Taylor, Felix Aharonian, Dmitry Khangulyan

 

Le réseau de télescopes H.E.S.S.

Les résultats ont été obtenus avec le réseau de télescopes H.E.S.S. (High Energy Stereoscopic System) en Namibie. Ce réseau de 4 télescopes de 13 m de diamètre encadrant le télescope géant de 20 m de diamètre (H.E.S.S. II) est le détecteur de rayons gamma de très haute énergie le plus performant au monde. Les télescopes de H.E.S.S. enregistrent les images ténues produites lorsque des rayons gammas interagissent avec l'atmosphère terrestre et émettent des flashs de lumière bleue (appelée lumière Cherenkov), flashs qui sont réfléchis par les grand miroirs et focalisé sur des caméras extrêmement rapides et sensibles. Les images de ces flashs Cherenkov permettent à H.E.S.S. de reconstruire les caractéristiques des photons gamma ayant interagi dans l'atmosphère et de remonter à leur origine.

La collaboration H.E.S.S. est constituée de plus de 200 scientifiques originaires de France, Allemagne, Royaume-Unis, Namibie, Afrique du Sud, Irlande, Arménie, Pologne, Australie, Autriche, Pays-Bas, Japon et Suède, soutenus par leurs agences de financement respectives.

Pour en savoir plus sur H.E.S.S. www.mpi-hd.mpg.de/HESS  et ses instruments : www.mpi-hd.mpg.de/HESS/pages/about/

Le réseau de télescopes H.E.S.S.
Le grand télescope central de H.E.S.S. télescope, doté d'un miroir de 614 m2, et en second plan deux des quatre télescopes de plus petite taille,équipés chacun d'un miroir de 107 m2. (Image: MPIK / Christian Föhr

Contact

Mathieu Jacobé de Naurois
Responsable du groupe H.E.S.S. France
Berrie Giebels
Directeur-adjoint de l'IN2P3
Clémence Epitalon
Chargée de communication