Projets 80 Prime : une lauréate et trois lauréats au sein de l'IN2P3

Dans le cadre des 80 ans du CNRS, la MITI (Mission pour les initiatives transverses et interdisciplinaires) a mis en place en décembre dernier l'appel à projet "80 Prime" dans le but de soutenir et renforcer l'interdisciplinarité entre les instituts du CNRS.  Quatre scientifiques des laboratoires de l'IN2P3 (Institut national de physique nucléaire et de physique des particules) figurent dans le palmarès rendu public le 7 mars dernier avec des projets où la physique des particules et la physique nucléaire se marient avec la physique des plasmas, la géologie, la théorie de l'évolution, ou encore la biologie moléculaire. Portraits.

Projet n°1 : Traquer les effets des faibles doses de rayonnements au cœur des cellules

Projet porté par Hervé Seznec chercheur au CENBG (Centre d'études nucléaires de Bordeaux Gradignan) UMR5797

photoSeznec

Intitulé du projet : RADIANCe "Etude des conséquences biologiques radio-induites sur le métabolisme ARN chez Caenorhabditis elegans"

Instituts associés : IN2P3, INSB

Hervé Seznec est biologiste, mais que l'on ne s'y trompe pas il fait bien partie de l'IN2P3. Il opère au CENBG (Centre d’études nucléaires de Bordeaux Gradignan) depuis 2004, et y dirige l'équipe iRiBio depuis 2012. Recruté pour accompagner la mise en place de l’accélérateur de particules AIFIRA (Applications Interdisciplinaires de Faisceaux d’Ions en Région Aquitaine) et jeter les bases d'une plateforme expérimentale spécialisée dans l'étude des effets des rayonnements sur le vivant. Aujourd'hui l'outil dont il dispose est envié par plus d'un chercheur : un faisceau d'ions légers ultra précis, dont le flux peut être dirigé sur une seule cellule vivante à la cadence de 1 particule/sec. Il peut aussi compter sur un microscope à fluorescence pour filmer l'évolution des molécules dans la cellule irradiée. Cet équipement unique, Hervé Seznec va le mettre à profit pour étudier les effets des faibles doses de rayonnement sur le vivant. Mais d'une façon radicalement nouvelle. Plutôt que de s'intéresser aux effets sur l'ADN, il se focalise sur l'ARN, des molécules assez semblables à l'ADN, mais en quantités beaucoup plus grandes dans les cellules, et donc possiblement plus exposées aux faibles doses. Pour y parvenir, il avait besoin d'un véritable spécialiste de l'ARN, et plus particulièrement de l'ARN du petit ver Caenorhabditis elegans, véritable "micro-souris" de laboratoire dont chaque cellule est abondamment documentée. Il l'a trouvé en la personne de Denis Dupuy biologiste à l'IECB (Institut Européen de Chimie et Biologie de Bordeaux) avec qui il s'est associé pour monter le projet 80 PRIME RADIANCe, qui fait aujourd'hui partie des projets lauréats. Ils vont ainsi bénéficier d'un soutien financier de 13 000 euros supplémentaire et avoir le renfort d'un boursier du CNRS pendant 2 ans.

cellules de Caenorhabditis elegans
Suivi et visualisation en temps réel de dommages ADN radio-induits au cours des premières divisions embryonnaires chez Caenorhabditis elegans. Crédits : H. Seznec, Équipe iRiBio, CENBG, IN2P3, CNRS, Université de Bordeaux

Projet n°2 : Plonger jusqu’au centre de la Terre avec les neutrinos

Projet porté par Véronique Van Elewyck chercheuse au laboratoire APC (Astroparticules et cosmologie)

Véronique Van Elewyck

Intitulé du projet : NuSET "Neutrino studies and earth tomography"

Instituts associés : IN2P3, INSU

Jules Vernes n’en croirait pas ses yeux. C'est pourtant bien un voyage au centre de la Terre que nous propose Véronique Van Elewyck spécialiste des neutrinos au laboratoire APC (Astroparticules et Cosmologie) dans son projet NuSET, lauréat des PRIME 80 du CNRS. Ne rêvons pas, il n'est pas question de se frayer un chemin jusqu'au noyau terrestre. Mais à défaut la chercheuse propose d'utiliser des émissaires pour y descendre à notre place. En l’occurrence, les neutrinos atmosphériques. Ces particules produites dans les hautes couches de l'atmosphère à chaque impact de rayon cosmique pleuvent en nombre à la surface du globe, et vu qu'elles n'interagissent que très peu avec la matière, traversent croûte, manteau, et noyau comme s'ils n'existaient pas. Ou presque, car ces particules en gardent tout de même quelques séquelles. En l’occurrence, le ratio de neutrinos de différentes saveurs (électroniques, muoniques et tauiques) est sensible à la densité électronique des couches terrestres traversées. Forte de ce constat, Véronique Van Elewyck propose de détourner le télescope à neutrinos ORCA qui sera prochainement installé au fond de la méditerranée par la collaboration KM3NeT pour scruter la composition chimique des entrailles de la Terre. De quoi piquer au vif la curiosité d'Edouard Kaminski et James Badro géophysiciens à l'IPGP (Institut de physique du globe de Paris) qui espèrent bien mettre à profit cette première tomographie du globe utilisant les neutrinos, pour jeter un regard nouveau sur la composition du noyau terrestre. NuSET sera aussi l'occasion de donner un coup de booster à cette nouvelle technique. A la fois en développant des télescopes spécifiquement optimisés pour la tomographie terrestre, mais surtout en incitant les nombreux autres télescopes à neutrinos en projet, à se tourner eux aussi vers le sous-sol. Quand plusieurs télescopes opéreront, le voyage au centre de la Terre pourra alors se faire en 3D.

Le télescope à neutrinos ORCA, en déploiement au fond de la méditerranée, détectera des neutrinos après qu’ils aient traversé l’épaisseur de la Terre. Crédit V Elewyck Laboratoire APC

Projet n°3 : Modéliser les sources d’ions pour mieux les contrôler

Projet porté par Thomas Thuillier chercheur au LPSC (Laboratoire de physique subatomique et cosmologie de Grenoble) UMR5821

Thomas Thuillier

Intitulé du projet : SPIM "Simulation plasma de l'extraction d'ions multichargés"
Instituts associés : IN2P3, INSIS

Au Laboratoire de Physique Subatomique de Grenoble, Thomas Thuillier perpétue une véritable tradition : la fabrication de sources d'ions ECR (Résonance Cyclotron Electronique) pour les accélérateurs de particules. Ces sources ont en effet été inventées par un ancien chercheur grenoblois, Richard Geller dans les années 70, et ce sont elles qui équipent la plupart des accélérateurs de particules aujourd'hui. "La source se présente sous la forme d'un cylindre sous vide, de la taille d'une bouteille d'eau minérale, dans lequel un plasma d'ions est magnétiquement piégé et entretenu avec des ondes hyperfréquence. Un orifice judicieusement aménagé en surface laisse "fuir" les ions du plasma qui sont alors récupérés et accélérés" explique Thomas Thuillier. L'appareil fait merveille. Mais sa compréhension reste très empirique tant les phénomènes en jeu dans le cylindre sont complexes. Ce qui limite considérablement son optimisation et sa prédictibilité. Pourtant, si la connaissance du plasma de la source pouvait être améliorée, ce serait une petite révolution dans le monde des accélérateurs, qui n'auraient notamment plus besoin d'être surdimensionnés en section pour transporter le faisceau d'ions. Cette optimisation, Thomas Thuillier, est convaincu qu'elle est à portée de main, mais pour cela il faut parvenir à modéliser dans toute sa complexité le comportement du plasma dans le cylindre. C'est ce qu'il se propose de faire au travers de SPIM le projet 80 Prime dont il est porteur et qui fait partie des lauréats. Projet auquel sont associés des chercheurs du LPGP (Laboratoire de Physique des Gaz et des Plasmas de l'université Paris Sud), et qui se sont déjà frottés à une telle problématique pour la production d'ions H- au CERN. Ensemble ils vont établir un modèle de comportement du plasma dans la source et le contraindre par des mesures expérimentales. Avec l'idée, à terme, de simplifier ce modèle et obtenir des simulations fidèles dans un temps de calcul raisonnable. Un défi de taille : à l'heure actuelle une seule simulation demande plusieurs semaines de calcul à une batterie de 1000 cœurs…

Source d'ions ECR
Source d'ions PHOENIX développée au LPSC. Crédit : Luca Casonato

Projet n°4 : Chercher le rôle de la radioactivité dans l’évolution du vivant

Projet porté par Vincent Breton chercheur au LPC (Laboratoire de Physique de Clermont-Ferrand) UMR6533

Vincent Breton

Intitulé du projet : TIRAMISU : "biodiversité des sources minérales radioactives"

Instituts associés : IN2P3 (LPC, CENBG, Subatech), INC, INEE

Vincent Breton chercheur au LPC (Laboratoire de Physique de Clermont-Ferrand) le précise d'entrée de jeu. Son projet TIRAMISU lauréat des PRIME 80 du CNRS n'a rien à voir avec la gastronomie. Néanmoins il n'en est pas si loin vu que l'essentiel de son projet porte sur de l'eau de source. Une source d'Auvergne naturellement enrichie en radionucléides. "Dans son parcours millénaire au travers des couches granitiques l'eau s'est chargée d'uranium, de thorium, et de leurs descendants. Elle est aussi riche en radon" explique le chercheur. Cette source est ainsi un milieu unique pour tester une idée qui taraude de longue date Vincent Breton. Est-ce que la radioactivité forte de la source aurait une influence mesurable sur l'évolution des espèces microscopiques qui y vivent ? Plus précisément pourrait-elle en être un moteur ? Reste que pour réaliser une telle démonstration, la source doit être étudiée sous toutes ses coutures : sa composition physicochimique dans le temps et l'espace, la nature des organismes, leur métabolisme, la dynamique des populations... Autant de considérations qui dépassent de loin le cadre des activités du laboratoire. Mais ça tombe bien, Vincent Breton travaille déjà avec d'autres chercheurs dans le cadre d'une Zone Atelier "Territoire uranifère" : des chimistes de l'INC (Institut de Chimie), mais aussi des spécialistes des milieux naturels de l'INEE (Institut Écologie et Environnement). Les mêmes acteurs, se sont donc naturellement retrouvés au sein du projet TIRAMISU. Ensemble ils vont caractériser la source et ses organismes vivants dans toute leur complexité. Et pour renforcer les résultats, l'étude portera même sur les organismes fossilisés dans les concrétions depuis des milliers d'années. Au final, l'équipe IN2P3 utilisera ces résultats pour créer un modèle de prédiction de l'effet biologique de la radioactivité ambiante sur les organismes du milieu. Et qui sait, apportera une nouvelle pierre à l'édifice de la théorie de l'évolution du vivant.

Diatomées
Parmi les organismes étudiés figurent les diatomées, ici vues au microscope électronique. Crédit: A. Beauger, CNRS

Les autres projets lauréats dans lesquels l'IN2P3 participe :

Le projet DaMe Fer emmené par Marco Cirelli du Laboratoire de physique théorique des hautes énergies, et avec la participation IN2P3/LUPM (Laboratoire univers et particules de Montpellier) de Johann Cohen-Tanugi entend vérifier, sur la base des données du satellite Fermi, l'hypothèse selon la laquelle la matière noire de l'univers serait constituée de trous noirs primordiaux.

Le projet HYPOGLIOTEP, emmené par Monique Dontenwill, du Laboratoire de Bioimagerie et Pathologies (INSB) avec la participation IN2P3/IPHC (Institut pluridisciplinaire Hubert Curien) de Patrice Laquerriere, vise à valider in vitro puis in vivo une thérapie contre les gliomes de haut grade basée sur l'inhibition d'HIF-2.

Le projet XK-GEN emmené par Chrystèle Sanloup de l'Institut de minéralogie, de physique des matériaux et de cosmochimie, avec la participation IN2P3/CENBG (Centre d'études nucléaires de Bordeaux Gradignan) de Denis Horlait s'intéresse à la question du xénon manquant dans l'atmosphère terrestre. L'hypothèse à valider étant qu'il aurait été piégé par incorporation chimique dans les profondeurs de la croûte terrestre.

Le projet AlDynQua emmené par Clotilde Fermanian du Laboratoire d'Analyse et de Mathématiques Appliquées (LAMA), avec la participation IN2P3/LUPM (Laboratoire univers et particules de Montpellier) de Yohann Scribano, entend optimiser les méthodes de modélisation en dynamique moléculaire par une double approche hybride quantique-classique. L'enjeu, entre autre, est de déterminer par simulation la dynamique et la spectroscopie de molécules présentes dans les nuages interstellaires ou les atmosphères d'exoplanètes, et soumises à des conditions très différentes de celles qui règnent sur Terre.