Quentin Raffy « Pour moi la prématuration, c’est avant tout la possibilité de pouvoir transformer l’essai »

Série valorisation : épisode 5

La valorisation de la recherche est un long processus. Au début de celui-ci, il y a la phase de prématuration dont l’objectif est de démontrer qu’une idée de valorisation est techniquement réalisable. Le CNRS soutient financièrement ces premières étapes permettant le développement de projets innovants afin de faciliter leur transfert vers le monde industriel. Quentin Raffy, maître de conférence à l’Université de Strasbourg et chercheur à l’IPHC nous parle de son expérience avec son projet de prématuration sur des dosimètres sous forme de gels ultra-fins appliqués dans le traitement des cancers.

Comment en êtes-vous arrivé à participer à un projet de prématuration ?

C’est le fruit de plusieurs conjonctions, et ce n’est pas arrivé tout de suite dans ma carrière. Depuis 2009, je suis maître de conférences à l’Université de Strasbourg et chercheur en chimie à l’IPHC, au département de recherches subatomiques, où je suis spécialisé dans les processus de radiolyse de l’eau et de biomolécules. Je développe cette thématique dans un contexte de thérapie contre le cancer. Mon objectif est de comprendre les dégâts causés par les rayonnements ionisants sur les biomolécules constituant la matière vivante. Dans ce cadre, je suis amené à exploiter des molécules qui produisent des espèces fluorescentes quand elles sont irradiées en millieu aqueux. Il y a quelques années, j’ai fabriqué sur un coin de paillasse un gel contenant une de ces molécules fluorescentes, et je me suis rendu compte alors que la fluorescence pourrait être assez efficace pour estimer la dose de radiations déposée. Cette idée de gel me semblait potentiellement exploitable, mais sans savoir encore sous quelle forme.

Comment est venu l’idée d’utiliser ce gel dans une application en médecine ?

J’en ai discuté avec un collègue de l’IPHC, Nicolas Arbor, qui collaborait alors avec l’ICANS (Institut de cancérologie Strasbourg Europe). Les physiciens médicaux étaient très intéressés par  la possibilité de mesurer précisément la dose déposée par les radiations dans la peau des patients lors d’un traitement par radiothérapie. Celle-ci peut en effet parfois entraîner des brûlures en tant qu’effets secondaires du traitement. Or actuellement, on ne sait pas mesurer la dose exacte reçue par une couche aussi mince que la peau. Nos discussions ont permis d’envisager une application pour des gels tels que celui que j’avais obtenu. En effet, en imaginant qu’il soit possible de créer un gel suffisamment fin sous la forme d’un patch appliqué sur la peau des patients, il serait possible d’estimer la dose de radiation déposée, par la fluorescence, et d’avoir ainsi une meilleure idée des dommages causés à la peau. C’est cette idée de gels fluorescents ultra-fins qui bénéficie actuellement d’un projet de prématuration. Ceux-ci pourraient également trouver des applications industrielles, dans le domaine de la radio stérilisation notamment.

Concrètement qu’est-ce que c’est qu’une prématuration ? 

Pour moi la prématuration, c’est avant tout la possibilité de pouvoir transformer mon essai de gel. Nous avions déjà obtenu le financement d’un projet DECLIC par le CNRS, à hauteur de quinze mille euros pendant un an. Ce financement nous a permis de valider le concept et sa faisabilité, et donc qu’il y avait un réel intérêt à aller plus loin. C’est à partir de là que débute la prématuration, une fois que l’intérêt du projet a été démontré. En fait, la prématuration vient en aide aux scientifiques qui ont une idée, et à qui on donne des moyens adaptés et un an et demi pour prouver la faisabilité de leur idée. Pour nous cela vient à peine de commencer. Avec un soutien d’environ cent-vingt mille euros, la prématuration va nous donner les moyens de développer des prototypes de dosimètres possédant les caractéristiques recherchées. Cela nous a permis de recruter une ingénieure de recherche à plein temps sur le projet. A l’issue de la prématuration, il n’y aura probablement pas encore le produit final mais les bases technologiques pour entrer cette fois-ci dans un processus de maturation qui conduira à une mise sur le marché ou à une large distribution.

Est-ce que vous avez été soutenu dans la mise en place de votre projet ?

Oui, nous avons reçu beaucoup d’aide. Nous avons pu bénéficier des conseils d’agents dédiés à la valorisation à la délégation toute proche du CNRS et du soutien de l’IN2P3. Ainsi, Stephan Beurthey, chargé de mission « Partenariats industriels et valorisation » à l’IN2P3, nous a aussi très rapidement contactés et très bien orientés en nous mettant en contact avec les bonnes personnes. D’autre part, grâce aux crédits que nous avons eus avec le projet DECLIC, j’ai bénéficié d’un accompagnement par Valoritech, une entreprise spécialisée dans l’aide à la valorisation pour les projets de prématuration ou maturation. Enfin, la SATT Conectus a également soutenu notre projet au moment du dépôt de notre candidature. Toutes ces aides, à la fois financières et techniques, ont eu un réel impact positif sur le développement du projet de prématuration, que je n’aurais pas engagé sans elles.

Qu’est-ce que cela vous apporte à l’IPHC et à vous de participer à ce projet de prématuration ?

Quand on fait de la recherche fondamentale, l’impact de nos travaux sur la vie courante peut se manifester bien après nos travaux, et de manière parfois difficilement mesurable. Cela n’a rien d’étonnant car en science fondamentale on accepte que nos travaux n’aient pas d’applications immédiates. Ce projet de prématuration pourrait me fournir la possibilité d’avoir un impact très concret et très réel sur le quotidien de patients traités par radiothérapie. Il doit y avoir en France quatre millions de traitements de ce genre par an, avec des effets secondaires, dont des brulures parfois très douloureuses. Diminuer l’occurrence de ces effets secondaires est donc une vraie motivation pour moi. Il y a un autre aspect plus pragmatique qui est que les développements que l’on met en place pour le projet de prématuration vont irriguer dans le même temps nos recherches fondamentales. Par exemple en ce moment, nous développons pour le projet de prématuration un système de lecture de gel. C’est un nouveau type de matériel qui n’existait pas sous cette forme avant et qui pourra être exploité pour nos recherches plus fondamentales. Il y a donc une interpénétration entre les projets de valorisation et la recherche fondamentale.

Est-ce que cette logique de transfert vers le secteur économique fait parfois grincer des dents ?

Pas vraiment, mais c’est peut-être une question de génération et de domaines de compétences. Il y a vingt ou trente ans, la frontière entre le secteur public et le secteur privé était probablement plus étanche, mais c’est moins le cas maintenant. A l’IPHC, nous sommes sensibilisés aux questions de valorisation, donc la chose vient assez naturellement. Ce n’est certainement pas vrai dans tous les domaines, mais il en existe dans lesquels la valorisation est quelque chose d’assez évident. Par exemple, dans le cas de la chimie des polymères, la valorisation va probablement de soi, avec des applications souvent très concrètes. C’est un domaine dans lequel il y a un secteur industriel florissant et très dynamique, où la collaboration entre la recherche fondamentale et le monde socio-économique vont de pair. Il y a aujourd’hui a priori une volonté du CNRS de nous inciter à faire des projets de prématuration et de maturation. En ce qui me concerne, je considère toutefois que ces questions ne doivent pas me prendre un temps trop important par rapport à mon travail de recherche fondamentale, qui est ma mission principale, au côté de l’enseignement.

Quelles sont les prochaines étapes pour votre projet de prématuration ?

Avec le recrutement d’une ingénieure de recherche particulièrement dynamique, le projet a bien démarré. C’est le début du processus qui nous conduira à disposer d’un démonstrateur technologique de gels fins fluorescents. Nous allons notamment sélectionner les molécules d’intérêt, les matrices de gels et les tester dans les bonnes conditions. Nous allons analyser ces prototypes de gels sous irradiation afin d’évaluer leur réponse en fonction de la dose, et d’optimiser leurs propriétés. Finalement, nous aboutirons à au moins une famille de gels qui nous permettra de faire de la dosimétrie sur des épaisseurs très fines. D’ici un an et demi, une fois la prématuration achevée, nous entrerons dans un processus de maturation à proprement parler, qui peut aboutir d’ici trois ou quatre ans à plusieurs possibilités. Soi nous licencions le produit à un industriel qui en assurera la production et la distribution, soit nous créons une start-up dans ce but. Ce n’est que le début pour ce projet !

 

Contact

Quentin Raffy
Maître de conférence à l'Université de Strasbourg et chercheur à l'IPHC
Stephan Beurthey
Chargé de mission "Partenariats industriels et valorisation"
Fabien Houy
Chargé de communication à l'IN2P3