Un institut, deux infinis
Le 14 avril 1971. Le Premier ministre Jacques Chaban-Delmas signe un décret « portant création d’un Institut national de physique nucléaire et de physique des particules ». Sa mission est ambitieuse : « développer et coordonner les recherches » dans ces domaines. Mais les projets qui les animent ne le sont pas moins, et le besoin est grand de doter la France d’une structure robuste et réactive pour maintenir le pays à la pointe de la recherche. Alors que l’IN2P3 célèbre ses 50 ans, bref retour sur une fondation originale...
La physique sur « un coin de table »
À l’aube des années 1970, le nouvel institut ne s’implante pas sur une terre en friches. Il est en effet le dépositaire d’une longue tradition, qui a commencé à s’écrire au soir du XIXe siècle, autour des travaux sur la radioactivité et sur l’atome, et qui a connu des avancées déterminantes à partir des années 1930, avec d’une part les découvertes successives du neutron, de la radioactivité artificielle et de la fission, et d’autre part l’étude des rayons cosmiques. En France, l’arbre généalogique de l’IN2P3 compte ainsi des noms aussi illustres que Becquerel, Curie, Joliot, mais aussi Auger, de Broglie, Leprince-Ringuet...
Le point commun de ces pionniers – et de ces pionnières, notamment Marie et Irène Curie ? Leurs expériences ne requéraient qu’« un coin de table », comme Frédéric Joliot l’a souvent rappelé ensuite avec nostalgie. Certes, l’image est idéalisée : on sait que certaines manips ont par exemple mobilisé l’électroaimant d’Aimé Cotton à Meudon- Bellevue, dont les 120 tonnes auraient nécessité un grand, très grand coin de table ! Il n’empêche qu’un saut d’échelle survient bel et bien à partir des années 1940 et 1950, symbolisé en Europe par la création du Cern1
: les projets, d’envergure nationale et de plus en plus internationale, mobilisent des dizaines, bientôt des centaines de scientifiques, et requièrent des instruments colossaux. L’IN2P3 est l’outil conçu pour accompagner cette évolution.
Vers « les deux infinis »
Pour autant, sa genèse n’a pas été un long fleuve tranquille. Pour preuve, une décennie sépare l’idée originelle, portée à l’aube des années 1960 par le directeur de l’accélérateur linéaire d’Orsay, André Blanc-Lapierre, de sa réalisation en 1971, sous la direction de Jean Teillac, le patron de l’Institut de physique nucléaire voisin. Les débats ont été in- tenses, et parfois houleux, au fil de ces dix années. Envisagé dès le départ comme un « institut national du Centre national de la recherche scientifique » mais doté d’une forte autonomie, l’IN2P3 a suscité des craintes au CNRS : n’allait- on pas créer – oh le mauvais procès que voilà ! – une baronnie au sein même de notre organisme ?
Mais l’obstacle le plus coriace est venu de l’extérieur du CNRS : le CEA n’a pas montré un enthousiasme débordant, c’est peu de le dire, face à l’émergence d’un nouvel acteur sur le terrain de la recherche nucléaire. Pour parvenir à inaugurer l’IN2P3 en 1971, il a donc fallu s’y reprendre à plusieurs fois, en associant à chaque étape un haut-commissaire à l’énergie atomique coriace même s’il était plutôt bien disposé à l’égard du CNRS : Francis Perrin n’était autre que le fils de Jean Perrin, et on se délecte devant les archives qui le dévoilent en train de disputailler avec l’institution fondée par son propre père ! Fort heureusement, passées ces premières réticences, les relations de l’IN2P3 et du CEA n’ont plus été ensuite, comme chacun sait, qu’une longue et belle histoire d’amour...
Nécessité a donc fait loi, ou décret : celui du 14 avril 1971 marque le début d’une formidable aventure scientifique et humaine, dont nos collègues de l’IN2P3 fêtent en 2021 les innombrables réalisations. Sans chercher à leur couper l’herbe sous le pied, l’une d’elles, en particulier, vaut d’être mentionnée : notre institut national a été un acteur clé de l’association des deux physiques, nucléaire et des particules, et de la convergence fertile de l’infiniment petit et de l’infiniment grand. Et, quand on y réfléchit bien, rapprocher deux infinis, c’est déjà une sacrée réussite !
Article à lire dans CNRS Le journal, n° 303, mars 2021 (p. 66).
- 1Voir « Le Cern, quelle histoire ! », CNRS Le journal, n° 278, automne 2014