Une nouvelle technologie innovante pour détecter les neutrinos testée à grande échelle au CERN

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Les scientifiques de la collaboration ProtoDUNE au CERN ont commencé à tester un tout nouveau prototype de détecteur de neutrinos, en utilisant une technologie très prometteuse, appelée "double phase". Si les premiers résultats obtenus se confirment, cette nouvelle technologie sera utilisée à une plus grande échelle pour l’expérience internationale DUNE aux États-Unis. Les scientifiques français des laboratoires IN2P3 et du CEA jouent un rôle de premier plan dans le développement et la mise en route de ce détecteur innovant.

L’expérience internationale DUNE, dont le démarrage est prévu d’ici à 2026 au Fermilab, près de Chicago, aura pour mission d'éclaircir les mystères des neutrinos, les particules de matière les plus abondantes de l'Univers. Mais ces neutrinos sont des particules extrêmement difficiles à détecter, traversant la matière par milliards chaque seconde sans laisser de trace. Les détecteurs de l’expérience DUNE seront donc des détecteurs à la fois géants et extrêmement précis. 

Depuis la fin du mois d'août, un des deux prototypes testés au CERN dit « double phase » enregistre ses premières traces de particules. Avec 800 tonnes d'argon liquide, ce démonstrateur fait à peu près la taille d'une maison de trois étages. L’autre prototype dit « monophase » - en fonctionnement depuis septembre 2018 - utilise une technologie éprouvée qui sera utilisée pour construire le premier module du détecteur DUNE.

Trace produite par un rayon cosmique, observée dans le détecteur ProtoDUNE double phase en août 2019. On peut y voir l'ionisation provoquée par le muon dans l'argon liquide et l'activité électromagnétique induite. Image : ProtoDUNE

DUNE sera composé de deux détecteurs qui observeront les neutrinos produits sur le parcours du faisceau. L’un proche de la source sera situé au Fermilab et l’autre installé 1 300 km plus loin au laboratoire souterrain de Sanford, dans le Dakota du Sud à 1,6 km sous terre. La détection des neutrinos dans DUNE utilisera de très gros volumes d’argon liquide (70 000 tonnes d'argon en tout), utilisé à la fois comme cible pour les neutrinos incidents et de milieu de détection.  L’utilisation d’une chambre à projection temporelle ou TPC, véritable chambre à bulle moderne, permet de reconstruire en trois dimensions une image précise de la trajectoire des particules, d’identifier leur nature et leur dépôt d'énergie dans le détecteur. La technologie monophasée fonctionne avec de l’argon liquide uniquement, tandis que la technologie double-phase utilise aussi une couche d’argon en phase gazeuse au-dessus du liquide qui permet d’amplifier les signaux des particules.

Schéma montrant l’emplacement de la future ligne de faisceau de neutrinos et des deux détecteurs de DUNE. © Sandbox Studios, traduction CNRS/IN2P3

Cette nouvelle technologie, plus novatrice, présente plusieurs avantages qui pourraient bien changer la donne. Le gain obtenu avec des détecteurs fonctionnant dans la phase gazeuse permettra d’abaisser les seuils de détection, ce qui sera crucial par exemple pour détecter des neutrinos issus de supernovæ. La résolution spatiale sera également meilleure. Un autre avantage majeur de la technologie en double phase : tous les composants électroniques pour l’amplification des signaux sont situés dans la couche gazeuse près du sommet du détecteur et resteront donc accessibles même une fois le détecteur rempli d'argon liquide.

Cette technologie double phase est actuellement portée par les équipes françaises du CNRS et du CEA et implique des scientifiques aux États-Unis, au Royaume-Uni, au Japon, en Espagne, en Suisse et au CERN. Un intense programme de R&D, dès 2006, a conduit à la construction de ce démonstrateur de 6x6x6 m3 qui devra valider l’ensemble des choix techniques avant la construction d’un module taille réelle pour DUNE (un module de détection DUNE abritera l'équivalent en taille de vingt prototypes de détecteurs biphasés et fonctionnera à haute tension jusqu’à 600 000 volts.)

La communauté française est impliquée sur l’ensemble des points clés technologiques de cette solution innovante, aussi bien sur les aspects des détecteurs dans la phase gazeuse  (au CEA/Irfu à Saclay), sur l’électronique de lecture de charge (à l’IP2I à Lyon), sur l’électronique de lecture de lumière de scintillation (à l’APC à Paris et au LAPP à Annecy), sur l’acquisition de données (à l’IP2I), sur la mécanique ultra précise des plans de détection, dits ‘CRP’, (au LAPP), sur la mécanique des cheminées permettant l’accès à l’électronique (au LAL à Orsay) ou sur la conception des algorithmes de reconstruction. Ce projet, amené à prendre de l'ampleur, suscite un fort intérêt dans la communauté. Une équipe du LPSC à Grenoble vient d'ailleurs de le rejoindre.

Le prototype double phase collecte actuellement des rayons cosmiques puis recevra à partir de 2021 à la fin du long arrêt technique du LHC (LS2), des particules du supersychrotron à protons (SPS) du CERN.

La collaboration DUNE compte plus de 1000 scientifiques et ingénieur·es de plus de 30 pays répartis sur cinq continents : Afrique, Asie, Europe, Amérique du Nord et Amérique du Sud.

Intérieur du détecteur protoDUNE double phase photographié en cours de construction au CERN en février 2019. Image : Max Brice/CERN

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