Angeles Faus-Golfe, l’ingénieure des interactions fortes
Responsable de projets au Laboratoire des deux infinis Irène Joliot-Curie, Angeles Faus-Golfe coordonne en cheffe d’orchestre la conception technique des futurs accélérateurs de particules. Sa mission ? Faire travailler ensemble des cultures différentes, pour construire des instruments qui répondent d’abord aux besoins de ses confrères physiciens.
Une ingénieure au service des physiciens : c’est avec réalisme qu’Angeles Faus-Golfe considère sa fonction au sein de l’IN2P3. « Les accélérateurs sont des cathédrales technologiques, mais on ne construit pas des cathédrales juste pour qu’elles soient belles », se justifie-t-elle. Le Large Hadron Collider (LHC), les futurs: International Linear Collider (ILC), Compact Linear Collider (CLIC) et Future Circular Collider (FCC) et tous les autres accélérateurs de particules sur lesquels elle a travaillé sont des instruments mis à disposition de ses collègues pour répondre aux grandes questions que la physique se pose. C’est avec cette conviction transmise dès ses débuts au CERN que l’ingénieure de recherche a mené toute sa carrière. Une carrière tissée, quand elle en retrace le fil, par une succession de rencontres et d’interactions fortes.
Une succession de rencontres et d’interactions fortes
C’est d’abord Jose Bernabeu Alberola, qui lui ouvre les mystères de la mécanique quantique sur les bancs d’une licence de physique qu’elle suivait à Valence, en Espagne, son pays d’origine. « Avec lui c’était magnifique. Il expliquait les choses avec une simplicité incroyable ». Plus de trente ans plus tard, elle garde des liens avec ce premier mentor désormais octogénaire, dont elle admire toujours l’exceptionnelle lucidité.
C’est ensuite son patron de thèse, Joël Le Duff, qui la prend sous son aile au Laboratoire de l’Accélérateur Linéaire (LAL), en 1990, en France. « Un gars qui analysait les résultats d’expérience avec une clarté effroyable. Il m’a transmis sa passion pour le travail ». Puis ses supérieurs, au CERN où elle entame un post-doc en 1994 pour travailler sur les optiques du LHC. « Mon superviseur, André Verdier, m’a révélé tous les petits secrets de l’optique ». Elle gardera aussi des contacts étroits avec Frank Zimmermann, un collègue du même âge qu’elle, avec qui elle échange des conseils.
Et de son retour à l’université de Valence, elle évoque surtout, là encore, celui qui lui donne ses premières vraies responsabilités : Jorge Velasco Gonzalez, le directeur de l’Institut de Physique Corpusculaire (IFIC), qui la laisse concevoir l’optique (les éléments électromagnétiques qui focalisent le faisceau) d’une expérience menée sur le LHC. « Il a eu confiance en moi », le remercie-t-elle, continuant à avoir, avec lui et Maurice Haguenauer, son collaborateur dans ce projet, des conversations régulières pour mieux comprendre le sens physique des mesures que ses instruments réalisent.
Responsable de projet, pas cheffe !
Tous ont été autant de particules fortes sur lesquelles sa carrière a rebondi pour gagner en énergie. Tout comme sa famille. « J’ai toujours beaucoup voyagé pour mon travail. Comme mon mari ne voyageait pas, il s’occupait des enfants. J’ai été très chanceuse, sans le soutien que j’ai eu, jamais je n’aurais pu faire tout ce que j’ai fait ». Sa famille l’a donc suivie, en 2014, quand une chaire s’est libérée à l’université de Paris Saclay. Retour en France, dont elle écorche encore la langue de ses tonalités ibériques. « Je sais que j’ai un accent terrible, mais je ne peux rien y faire », s’excuse la cheffe de projets, qui corrige aussitôt son titre : « responsable » de projets. « Le terme de « chef » suggère l’autorité », se justifie-t-elle. On devine pourtant un caractère de fer dans ce gant de velours. Commander ne l’effraie pas et elle se définit volontiers comme « un peu autoritaire ». Ne comptez donc pas sur elle pour jouer les forces faibles.
Sa spécialité ? Les faisceaux d’électrons de taille nanométrique. « On focalise toutes les particules dans un tout petit espace pour avoir un maximum de collisions », explique-t-elle, tandis qu’un autre groupe essaie d’obtenir de tels faisceaux ultrafins avec des positrons, plus difficiles à produire. Son défi actuel ? Préparer avec d’autres le futur collisionneur circulaire, ou FCC, qui pourrait prendre la relève du LHC après 2040. Elle court donc de réunion en réunion, d’une visioconférence à l’autre, au CERN à Genève, à KEK au Japon, aux États-Unis et ailleurs, pour orchestrer le travail des partenaires, identifier les compétences nécessaires et les intégrer au projet.
S'adapter à la façon de travailler de chacun
Pour y parvenir, elle a dû apprendre à composer avec la diversité des profils et des cultures. « Les Allemands seront souvent plus rigides dans leur pensée, de par leur éducation. Les Français débattront sans fin de méthodologie. Jusqu’à ce qu’un Anglais arrive et demande simplement : mais pourquoi ne pas faire juste comme ça ? Les italiens seront dynamiques et directs : faisons-le, d’une façon ou d’une autre. Tandis que les Japonais n’aimeront pas avoir à se distinguer des autres ». Elle s’adapte aux façons de travailler de chacun, « parce que sinon, il n’y a pas moyen d’avancer. Même pour les horaires, il y a des gens du matin, d’autres du soir et d’autres encore qui aiment travailler la nuit ». Le travail de conception permet heureusement beaucoup de flexibilité. Seuls l’insupportent ceux qui refusent de jouer le jeu d’une science collective. « On ne travaille pas pour l’industrie, on est payé par de l’argent public, nos recherches doivent rester publiques. J’aime la compétition mais pas celle, malsaine, qui force les gens à s’accaparer le travail des autres ». Surtout lorsqu’on conçoit des projets qui ont vocation à s’étaler sur plusieurs décennies.
L’International Linear Collider, sur lequel Angeles Faus-Golfe a beaucoup travaillé depuis 2002, sera peut-être bientôt lancé. Ou peut-être pas. « On ne sait jamais. Mais s’il ne l’est pas, ce ne sera pas la fin du monde : les techniques développées, comme les faisceaux nanométriques ou les cavités supraconductrices, peuvent être transférées sur d’autres projets ». L’accélérateur linéaire XFEL – Free Electron Laser ou laser à électrons libres - de Hambourg a ainsi déjà bénéficié des recherches menées sur les cavités de l’ILC.
Rappeler l'utilité sociale des accélérateurs
A 56 ans, de quoi rêve Angeles ? De revenir peut-être à l’insouciance des années de thèse. A cette liberté perdue de se consacrer entièrement à son petit sujet d’étude. « Ce serait magnifique », avoue-t-elle. Mais pour l’heure, l’ingénieure se bat pour qu’émerge un jour le futur collisionneur FCC. Et les défis suivants ne manqueront pas. « Il va nous falloir une machine de précision pour le boson de Higgs. Mais surtout, il va falloir faire comprendre à la société que ça va coûter beaucoup d’argent ». D’où l’importance de rappeler que ces accélérateurs ont aussi une utilité sociale, des applications pratiques. « J’ai beaucoup travaillé sur des utilisations médicales, en radiothérapie. L’époque où l’on travaillait pour la gloire de la physique, c’est fini. Il ne faut gaspiller ni l’argent ni l’énergie et veiller à ce que l’instrument n’ait pas d’impact majeur sur son environnement, parce qu’il n’est pas implanté au milieu de nulle part ». L’experte des machines a appris, au fil des ans, l’importance de l’humain. « Faire du bon travail, c’est important, mais c’est aussi important de savoir le communiquer aux gens ». De comprendre en somme que l’on est toujours, quoi qu’on fasse, en interactions avec les autres.
Emmanuel Monnier (Les Chemineurs)
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