Physique des particules : CMS mesure la masse du boson W avec une précision record

Physique des particules Résultats scientifiques

La masse du boson W, particule clé du Modèle Standard, fait l’objet de mesures toujours plus précises pour tester les fondements de la physique des particules. Après la publication par CDF d’une valeur non compatible avec les prédictions théoriques et les résultats des expériences précédentes au LEP et au LHC, la collaboration CMS livre une nouvelle mesure, la plus précise jamais réalisée au LHC, qui confirme les prévisions du modèle. Explications.

 

Le boson W, l'un des médiateurs avec le boson Z de l'interaction faible, est une particule clé du Modèle Standard. À partir de paramètres tels que la masse du boson de Higgs et du quark top, la valeur de la masse du W prédite par la théorie est de 80 355 ± 6 MeV.  La masse du boson W, du boson de Higgs et du quark top sont structurellement reliées dans le Modèle standard, une précision accrue sur les mesures expérimentales de ces paramètres peut donc révéler des tensions qui seraient un signe de nouvelle physique.

Événement candidat pour la production d’un boson W au cœur du détecteur CMS se désintégrant en un muon (ligne rouge) et un neutrino qui échappe à la détection (flèche rose). Image : CMS/CERN

Après analyse d’une partie des données collectées au LHC en 2016, soit environ 100 millions d'événements liés aux bosons W, le plus grand échantillon jamais utilisée pour cette mesure, CMS a annoncé en septembre 2024 avoir atteint la précision la plus élevée à ce jour au LHC, avec 𝑚𝑊 = 80 360.2 ± 9.9 MeV. Ce résultat, en parfait accord avec la prédiction théorique, renforce les fondations du Modèle Standard, en dépit de la divergence notable annoncée par la collaboration CDF en 2022. Cette dernière avait mesuré une valeur incompatible avec les prédictions théoriques et avec les résultats obtenus par d’autres expériences telles que celles menées au LEP, au Tevatron ou par les collaborations ATLAS et LHCb (cf encadré).

Défi expérimental majeur

Alors que les bosons W sont produits en abondance au LHC, la mesure de leur masse constitue un défi expérimental majeur. En effet, lorsqu'ils sont produits au centre du détecteur CMS lors d'une collision proton-proton au LHC, ils se désintègrent presque instantanément en d'autres particules. La masse ne peut donc pas être mesurée de façon directe sur les bosons, mais uniquement à travers l’analyse très fine des produits de leur désintégration. Les scientifiques de la collaboration CMS ont donc choisi de se concentrer sur la désintégration simultanée en muon et en neutrino des bosons W. Les neutrinos échappant à la détection directe par le détecteur, seuls le quantité de mouvement des muons peut être déterminée avec précision. Le résultat de CMS repose donc sur une mesure très précise des distributions de la quantité de mouvement transverse et de la pseudorapidité, en s’appuyant sur une reconstruction et une calibration extrêmement précises des muons, ainsi que sur des prédictions théoriques de pointe. 

L'une des principales difficultés de cette analyse a été de valider que la modélisation des données était correcte et que la valeur de la masse du W extraite n'était pas biaisée. Pour ce faire, CMS s’est référé à une autre particule, le boson Z dont la masse est bien connue et se désintègre en deux muons qui sont clairement détectés par CMS. En ignorant l'un des deux muons, c'est-à-dire en le traitant comme un neutrino, ils ont pu mesurer la masse du boson Z exactement de la même manière que celle du boson W. Ceci est rendu possible par un étalonnage de l'impulsion du muon déterminé sans utiliser de données sur le boson Z. Une cohérence remarquable est observée dans ces tests, ce qui exclut la présence de toute source de biais expérimental dans la mesure.

En France, les membres de la collaboration CMS du Laboratoire Leprince Ringuet (LLR, CNRS, École Polytechnique) ont joué un rôle important dans cette analyse sophistiquée, tant dans son développement que dans sa révision, effort qui s’est étendu sur plusieurs années : Andrew Gilbert a apporté un leadership essentiel au cours des deux dernières années en tant que coordinateur du groupe des mesures du Modèle Standard, guidant le processus de révision. Par ailleurs, Roberto Salerno, actuellement coordinateur de la physique de CMS, continue de superviser et d’appuyer ces travaux.

Comparaison des différentes mesures de la masse du boson W rapportées au fil des ans par des expériences menées dans le monde entier. La mesure de CMS est la plus précise jamais réalisée au LHC et sa précision est comparable à celle de la mesure CDF. Image : CMS/CERN

La mesure de la masse du boson W : une histoire à rebondissements

Depuis sa découverte au CERN en 1983, la mesure de la masse du boson W est une priorité majeure pour la physique des particules. Les expériences du LEP au CERN ont établi une première référence avec une précision combinée de 33 MeV. Par la suite, les collaborations D0 et CDF au Tevatron ont permis d'affiner cette précision. Le LHC a pris le relais, avec des résultats marquants annoncés par ATLAS en 2016 et LHCb en 2021, tous en accord avec les prédictions du Modèle Standard. 

Mais en 2022, la collaboration CDF du Tevatron a publié une valeur étonnamment élevée de 80 433,5 MeV avec une incertitude de seulement 9,4 MeV. Cette mesure divergeait significativement de la prédiction théorique, suscitant un vif débat dans la communauté scientifique. En 2023, la collaboration ATLAS a publié une mesure améliorée (80 366,5 MeV avec une incertitude de 15,9 MeV) obtenue à partir d’une nouvelle analyse de données issues de la première période d’exploitation du LHC qui est conforme à l’ensemble des mesures effectuées précédemment, à l’exception de la mesure de CDF.  Dans ce contexte, la nouvelle mesure de CMS apporte une contribution décisive avec une précision comparable à celle de CDF et confirme la prédiction du Modèle Standard.

Contact

Andrew Gilbert
Responsable du Groupe d'analyse de la physique du modèle standard de CMS et chercheur au LLR (Palaiseau)
Laurent Vacavant
Directeur adjoint scientifique "Particules et Hadronique" (IN2P3)
Perrine Royole-Degieux
Chargée de communication (IN2P3)