Ursula Bassler, une diplomate sans particule
Allemande de naissance mais française d’adoption, Ursula Bassler avait le profil idéal pour présider le Conseil scientifique du CERN. Une fonction très protocolaire qu’elle a assurée à sa façon : avec simplicité et chaleur. De retour à la direction scientifique de l’IN2P3, elle continue d’y jouer les ambassadrices de la science.
Présidente du Conseil du CERN, directrice adjointe scientifique de l’IN2P3… Ursula Bassler est la première surprise d’une telle réussite. Quand on lui demande son secret, elle esquive, avoue souffrir du syndrome de l’imposteur et cherche mille fausses raisons à son succès. « C’est parce que je suis allemande et qu’on m’alloue les qualités que les Allemands sont supposés avoir », plaisante-t-elle. Ses origines modestes sont sans doute pour beaucoup dans cette sensation de n’être arrivée là que par une facétie du destin.
Un parcours à son image : passionné et passionnant
Quand on insiste, elle se reconnaît tout de même une qualité : elle est joviale. Elle assume sans complexe son côté « dirigeante next door », accessible et chaleureuse, qui ponctue ses phrases d’un éclat de rire communicatif. Ursula Bassler rigole de tout, et surtout d’elle-même.
Son parcours est à son image : passionné et passionnant. Pourquoi diable s’installer en France ? « Parce qu’on y mange bien », répond-elle du tac-au-tac. Bac en poche, la lycéenne du Bade-Wurtemberg, qui nichait à quelques encablures de l’Hexagone, avait surtout dans les années 1980 des envies de liberté. « Un organisme catholique organisait des séjours de filles au pair, ce qui donnait suffisamment confiance à mes parents pour me laisser partir. Il proposait Londres ou Paris. Je me suis dit qu’à Paris on mangeait beaucoup mieux qu’à Londres. »
La voilà donc partie pour la cité des Lumières, dont elle tombe aussitôt amoureuse. « Tout y était tellement beau, par rapport aux villes allemandes détruites et reconstruites dans les années 1960. » Elle s’y entiche aussi d’un artiste américain sans le sou, qui mène la vie de bohème. Musique et peinture pour lui, études plus austères pour elle. Car si ses parents paient son séjour, malgré les ragots sur la « vie parisienne », cette confiance a un prix : Ursula doit réussir chaque année pour les convaincre de financer l’année suivante.
Étudier l’Univers avant qu’il ne disparaisse
Elle choisit la physique pour plaire à son frère, dont l’agrément aide beaucoup pour convaincre les parents. « J’aurais aussi aimé faire de la littérature, mais ça aurait été bien plus compliqué d’avoir un soutien familial ». Partir à la conquête d’un bastion masculin n’est pas non plus pour déplaire à son féminisme bien trempé. D’autant que la jeune Ursula est déjà taraudée par des questions existentielles. « J’étais obsédée par l’idée que le Soleil allait exploser dans 4 milliards d’années. Quel intérêt, du coup, d’étudier les poèmes de Goethe ? Étudions plutôt l’Univers pour comprendre comment il fonctionne avant que tout ne soit détruit ».
Son entrée à l’université (Paris VI, section F réservée aux bacs technos et aux étudiants étrangers) est un cauchemar. « À l’époque, les cours étaient atroces, avec un professeur qui nous tournait le dos pour griffonner des équations au tableau, sans même s’être présenté. Heureusement que les méthodes pédagogiques ont évolué depuis. ». Et son français approximatif lui joue des tours. « Les angles d’Euler sont longtemps restés une énigme : que venaient faire des angles dans l’air ? ».
Ursula pourtant s’accroche. Et travaille d’arrache-pied. Trop, au goût de son « Américain à Paris », qui l’éjectera de son groupe de musique « parce que je n’avais plus assez de temps pour répéter ». Fin d’une belle romance...Qu’importe, elle soutient sa thèse en 1993, sur la structure du proton, devant un père en larmes. Dans la même semaine, elle obtient un poste au CNRS, pour continuer l’expérience qu’elle mène en collaboration avec le DESY de Hambourg. Mais tandis que le père est fou de joie, la fille déprime : « Je me suis demandé si j’allais vraiment continuer à faire ça jusqu’à la retraite ». Peur de s’enkyster dans la routine, focalisée sur une portion epsilonesque du tableau global de l’univers. « En fait, j’ai eu une carrière extrêmement riche », estime-t-elle aujourd’hui.
Paris Chicago, pendant près de dix ans
Car le Tevatron, aux Etats-Unis, lui fait très vite de l’oeil. Ursula Bassler s’envole en 1998 vers l’Illinois pour travailler sur cet accélérateur de particules. Et fera chaque mois l’aller-retour entre Paris et Chicago, pendant près de dix ans. « Je n’imaginais pas fonder une famille là-bas », se justifie-t-elle. Quant à avoir un enfant… Le spectre de la Rabenmutter, cette « mère corbeau » qui néglige ses enfants pour travailler, la hante comme beaucoup de femmes allemandes. Ursula n’aura une fille que sur le tard.
Elle se consacre au contraire à 100 % à la recherche, découvrant aux États-Unis une culture qui n’hésite pas à confier des responsabilités aux jeunes. « La bienveillance des seniors y était incroyable. Ils prenaient plaisir à tout vous expliquer. » À Paris, elle se plonge à corps perdu dans la programmation. Beaucoup trop. « Il fallait que j’arrête, ma tête commençait à être dans un mode if… then… else. ».
Elle saisit donc l’occasion de s’aérer l’esprit lorsqu’elle apprend qu’on cherche une physicienne pour participer en 2005 aux Quantum Diaries, un blog sur internet, durant un an, dans le cadre de l’année mondiale de la physique. Elle enchaînera avec la conception d’un film sur le LHC : Collisions. De quoi satisfaire sa fascination pour l’image.
De quoi, aussi, attirer l’attention sur elle. En 2007, le CEA, lui propose de diriger le Service de physique des particules. « C’était parfait parce que j’étais justement à la recherche d’interactions humaines. ». L’expérience dure un peu plus de six ans, jusqu’à ce que l’IN2P3 lui demande, en 2014, d’être directrice adjointe scientifique de la physique des particules et du calcul.
Elle supervise les projets de mise à niveau du grand collisionneur LHC, défendant à l’international le rang de la France. Paradoxal pour une Allemande ? « Disons que mon allégeance, plus qu’au pays, va surtout à la recherche. La mise à niveau du LHC est tellement importante que si chaque pays ne fait pas son maximum on n’y arrivera pas ». Qui mieux qu’Ursula Bassler peut symboliser une science sans frontière ? Ce sont les Allemands qui l’incitent à candidater à la présidence française du Conseil du CERN.
Madame la présidente
En janvier 2019, elle n’est donc plus Ursula mais « Madame la présidente » d’un conseil où siègent deux délégués de chacun des 23 Etats membres. Elle gardera un souvenir amusé de ces formalités protocolaires. Elle commence aussi à comprendre comment fonctionne une grosse administration, et apprend à composer avec les contraintes politiques. La pandémie de Covid aurait pu faire virer l’aventure au cauchemar mais c’est tout l’inverse qui se produit « Grâce à l‘excellent support technique du CERN et la bonne volonté de toutes les délégations, nous avons réussi dès le mois de mars 2020 à travailler en distanciel. Le Conseil a ainsi pu poursuivre son travail et ma présence à la maison pendant 2 ans a fait beaucoup de bien à ma fille ». Après un mandat achevé en décembre 2021, elle revient aujourd’hui à la direction de l’IN2P3 comme directrice adjointe scientifique pour les laboratoires, l’Europe et le rayonnement scientifique. Qu’y fera-t-elle concrètement ? « Il s‘agit surtout d’assurer un soutien transversal à toutes les thématiques de l’institut. »
Dans le même temps, elle se fait plaisir. Elle dirige l’édition d’un livre qui sortira à la rentrée, sur les deux infinis. « On a rassemblé trente contributions de chercheurs de l’IN2P3. J’ai pris un énorme plaisir à les éditer, à jouer avec la langue et les images ». Beaucoup de plaisir, aussi, à redéfinir au passage les questions les plus brûlantes de la cosmologie et de la physique des particules. La physicienne observe que la grande effervescence, qui animait sa discipline dans les années 1970, n’est plus. « Si on veut faire des progrès dans une science devenue mûre, il faut faire désormais plus d’effort. Pour aller à des énergies plus élevées il faut des machines de plus en plus grandes, qui sont de plus en plus difficiles à financer ». Faut-il être pour autant pessimiste sur les avancées à venir ?
Émerveiller le public pour la science elle-même
« Non, je suis davantage pessimiste sur l’envie que notre société gardera de faire de la science. Celle que l’on fait est bonne, et même si certains disent que le coût de nos projets est faramineux, par rapport à d’autres dépenses ce n’est pas si extravagant. Mais il peut arriver que la société n’ait plus envie de construire un discours scientifique et qu’on retourne vers des âges obscurs. » Le grand danger qui nous guette ne serait donc pas la fin du Soleil, mais la disparition d’une envie de Lumières. Comment s’en prémunir ?
« En émerveillant le public pour la science elle-même et pas pour ses retombées technologiques, parce que c’est à la curiosité humaine que sont destinés nos instruments. Tout le monde vous demande des analyses de l’impact socio-économique de ce que vous faites, mais notre plus grand impact, même si le CERN a inventé le web, est d’attirer les gens vers la science, de former une pensée scientifique. »
En fera-t-elle son combat ? À 56 ans, Ursula Bassler avoue éprouver le dilemme d’Achille, partagée entre l’envie d’une vie riche de défis et le besoin de rester parmi les siens, à faire du bien autour de soi. Elle regrette aussi de ne pas s’être engagée davantage dans d’autres causes qui lui sont chères, comme l’environnement et le climat. Mais diplomate du CERN et ambassadrice de la science, ce n’est en définitive pas si mal.
Emmanuel Monnier (les Chemineurs)
Dix portraits de femmes et d’hommes de l'IN2P3
À l’occasion de ses 50 ans, l’institut met en avant 10 portraits de femmes et d’hommes, illustrant la variété des métiers et des expertises rassemblés en son sein. Nous vous invitons à venir découvrir leur histoire et leur aventure à l’IN2P3, et à partager la passion qui les anime.
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